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16 novembre 2019, forêt de Retz. Ce jour-là, au milieu des arbres, Christophe Ellul retrouve la dépouille mutilée de sa compagne, Elisa Pilarski. Le corps déjà froid, les bras et les jambes criblés de morsures, le visage tuméfié : l'homme alors âgé de 45 ans tente de la réanimer, en vain. En toile de fond, les aboiements et l'agitation d'une chasse à courre qui se déroulait au même moment. Impassible et stoïque, le chien de Christophe, Curtis, est là, assis près du cadavre.
Deux ans plus tard, l'animal est tenu responsable de la mort de la vingtenaire. Comment cette paisible promenade au beau milieu de la nature a-t-elle pu se transformer en un tel bain de sang ? Pour le comprendre, il est nécessaire de faire un bond dans le temps et de retracer cette terrible journée d'automne, minute par minute.
Christophe Ellul et Elisa Pilarski avaient un avenir tout tracé ensemble. Depuis peu, la jeune femme avait quitté sa ville natale du Béarn où elle vivait avec sa famille, pour rejoindre son homme. Ensemble, le couple attendait un petit garçon, Enzo. Rien ne laissait présager qu'un tel drame puisse s'immiscer dans le bonheur de cette famille en devenir.
La dernière balade du chien Curtis
Ce jour d'automne 2019, Christophe Ellul et Elisa Pilarski ne passent pas la journée ensemble. Si la jeune femme reste avec leurs cinq chiens à Saint-Pierre-Aigle, le quadragénaire va prendre son poste de pisteur à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, situé à une heure en voiture - environ - de son domicile. En ce milieu de journée, Elisa Pilarski va promener Chivas à quelques centaines de mètres de la maison, sur un plateau où elle a ses habitudes. Très active sur Facebook, elle poste un message dans lequel elle explique avoir eu une altercation avec un homme "agressif" qui promenait lui aussi son chien.
Après Chivas, c'est au tour de Curtis d'aller se dégourdir les pattes avec la jeune femme. Selon l'emploi du temps retracé par l'enquête, il est aux alentours de 13 heures lorsqu'ils se mettent en route, pour se rendre en forêt et non sur le plateau où elle a promené Chivas. À 13h16, Elisa Pilarski appelle une première fois son compagnon, qui ne répond pas. À 13h19, elle réussit à le joindre et a avec lui une conversation qui reste, aujourd'hui encore, mystérieuse.
Le coup de téléphone qui a tout changé
Christophe Ellul explique aux enquêteurs que leur échange n'a duré que quelques secondes, puis que son téléphone est tombé sur le sol de sa voiture, rendant impossible toute conversation. De nombreuses zones d'ombre existent autour de cet appel et surtout de sa durée. Selon le compagnon d'Elisa Pilarski, elle aurait affirmé être attaquée par plusieurs chiens menaçants, lui demandant de l'aide.
Me Guillaume Demarcq est l'avocat du Rallye La Passion, organisatrice de la chasse à courre présente ce jour-là dans la forêt domaniale. Très tôt, il a des doutes sur la durée réelle de cette conversation. Auprès de Planet, il se dit "intimement convaincu, en voyant la durée de l'appel, que ce n'est pas ce que madame Pilarski a dit à son compagnon". Selon lui, "pendant 2 minutes 30, elle peut dire d'autres choses, parce qu'en plus, selon Christophe Ellul, elle ne parvient même pas à lui dire où elle est". Si la durée de l'appel est connue, la conversation reste un mystère. Pour l'avocat de la chasse à courre - qui a été pointée du doigt dès le départ dans l'affaire - la version donnée par le compagnon de la victime est "du baratin". Contacté par Planet, l'avocat de Christophe Ellul n'a pas répondu à nos sollicitations.
Retour en forêt de Retz. Christophe Ellul arrive à Saint-Pierre-Aigle vers 14 heures et se rend directement dans cet écrin de verdure, où il sait qu'Elisa Pilarski a l'habitude de promener les chiens. Selon la chronologie retracée par l'enquête, il découvre son corps une demi-heure plus tard et prévient les secours vers 14h40. Arrivé sur place aux alentours de 15h30, le médecin du Samu déclare la mort de la jeune femme de 29 ans.
A quelques dizaines de mètres de cette macabre découverte, les aboiements des chiens signalent que la chasse à courre n'est pas terminée. Christophe Ellul explique avoir croisé des cavaliers en arrivant sur les lieux et, très vite, les coupables semblent tout trouvés pour lui, comme pour une partie de l'opinion publique. Il est temps de percer le secret de la forêt de Retz.
Les chasseurs, responsables tout trouvés ?
Le matin du samedi 16 novembre, les membres du Rallye La Passion célèbrent la Saint-Hubert, le patron des chasseurs. Après une messe donnée vers 10 heures, ils prennent la route en direction de la forêt de Retz, accompagnés d'une vingtaine de chiens. L'heure exacte de leur arrivée est soumise à contradiction par les deux parties, mais, selon des photos fournies par l'équipage aux enquêteurs, le lâcher de chiens aurait eu lieu aux environs de 13h28 et pas avant. Auprès de Planet, Me Guillaume Demarcq rappelle que les membres de l'équipage "ont pris les chiens, sont allés à un endroit et, à la fin, tous les chiens étaient là".
Peu de temps avant la découverte du corps de sa compagne, Christophe Ellul croise un membre de la chasse à courre. Il identifie ce dernier comme Jean-Charles Metras, alors patron des gendarmes de l'Aisne, et qui aurait participé lui aussi au rassemblement. Il pourrait également s'agir de Jean-Michel Camus, un des participants de la chasse à courre. Interrogé par L'Union en novembre 2019, le compagnon d'Elisa Pilarski explique : "J'ai demandé à l'un d'eux de faire attention car ils avaient leur meute de chiens et je ne savais pas si le mien était attaché ou en liberté. Il m'a répondu ‘Je m'inquièterais plus pour votre chien que pour les miens', avec un sourire narquois". Pour l'avocat de la chasse à courre, interrogé par Planet, Christophe Ellul "n'a eu de cesse d'accuser des gens étrangers au drame". Sollicité par la rédaction, le conseil de ce dernier n'a pas souhaité nous répondre.
Jean-Michel Camus s'est exprimé à son tour, quelques mois plus tard, auprès de BFMTV. Il se souvient alors avoir croisé effectivement Christophe Ellul dans la forêt ce jour-là et avoir échangé quelques mots avec lui. Seulement, d'après ce qu'il raconte, les propos auraient été tout autre : "Ce monsieur était sur le chemin et il criait, donc je suis allé vers lui pensant qu'il avait un problème. Il m'a alors dit : ‘Je cherche mon chien, faites attention à vos chiens car le mien est très dangereux'. Ce qui m'a laissé un peu sceptique, je lui ai répondu que nos chiens n'étaient pas méchants, mais lui m'a répété que son chien était ‘très très méchant' et qu'il fallait faire attention". Selon le chasseur, Christophe Ellul aurait également expliqué que le chien était avec sa femme et qu'il la cherchait.
Quelques heures seulement après sa macabre découverte, il est emmené au commissariat avec son chien, où un accident va se produire.
L'étrange comportement de Curtis
Quelques heures plus tard, Christophe Ellul et sa sœur se rendent tous les deux au commissariat, accompagnés du Pitbull. Une source proche du dossier, présente ce soir-là, rapporte le comportement troublant de Curtis. Le chien avait les crocs plantés dans l'une des manches du blouson que portait la jeune femme. "Il s'accrochait à cette veste-là sans vouloir lâcher. Elle a enlevé la veste et le chien est resté accroché", nous explique-t-on. Selon l'expertise de cette même source, Christophe Ellul "contrôlait parfaitement" son animal. Le maître de Curtis était-il le seul à pouvoir lui ordonner d'arrêter de mordre ?
Si les soupçons se dirigent rapidement vers le Pitbull, quelques doutes subsistent autour des chiens de la chasse à courre qui se déroulait au moment du drame. Pour Maître Demarcq, cela ne fait aucun doute : le rallye de la Passion se trouvait "au mauvais endroit au mauvais moment". Selon l'homme de loi, chacun se trouvait à l'endroit où il avait le droit d'être au moment où il devait l'être. "Ma conviction est faite en dix minutes et pas parce que j'aime la chasse à courre : on me dit qu'il y a une jeune femme qui est morte dévorée par des morsures de chien. Je répond que ça n'est jamais arrivé depuis que la chasse à courre existe (...) je sais comment sont ces chiens, ça me paraît très surprenant", nous confie l'avocat du rallye.
Attention toutefois : si Maître Demarcq est convaincu que les chiens de vénerie n'ont aucune responsabilité dans la mort d'Elisa Pilarski, il n'accuse pas pour autant le Pitbull : "Je n'ai rien contre Curtis. Je dis que ce ne sont pas les chiens de chasse, c'est tout. Je n'ai pas d'a priori contre Curtis", insiste-t-il. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes prennent la défense du chien, qu'elles considèrent lui aussi comme une victime.
Mélodie [le prénom a été changé, NLDR] faisait partie de ces internautes les plus actifs. Elle explique à Planet : "Les premiers temps, j'étais persuadée que c'était la chasse à courre, donc j'ai voulu défendre le chien. Par contre, on m'a caché des choses". La jeune femme lance alors une cagnotte sur Internet, afin de lui trouver une structure d'accueil et même un avocat. Les dons sont rapides et nombreux, mais un jour tout bascule : "J'ai eu un dernier échange avec Christophe Ellul avant la fermeture de la cagnotte, dans lequel je lui dis que ces chiens ne sont pas en règle et que je ne veux pas être mêlée à un trafic de Pitbull".
À ce moment-là, explique Mélodie, "il m'a attaquée et m'a dit qu'il fallait qu'on ferme la cagnotte". Les semaines qui suivent, la jeune femme demande à la plateforme qui héberge la cagnotte de rembourser tous les participants et de ne pas verser la somme récoltée. Cette dernière refuse et l'argent est donc transféré aux bénéficiaires. Aujourd'hui encore, la jeune femme attend "les justificatifs promis" et ne sait donc pas ce qu'est devenu l'argent récolté. "Sur le drame d'Elisa, Christophe Ellul s'est fait à peu près 10 000 euros", estime Mélodie, citant la vente de t-shirt, la cagnotte et des dons à son travail. Contacté par Planet, l'avocat de Chritophe Ellul n'a pas répondu à nos sollicitations et n'a donc pas pu confirmer ce montant.
Les deux clans violemment opposés se renvoient la balle autour de ce que l'on connaît désormais sous le nom de l'affaire Pilarski. D'un côté, les amateurs de la chasse à courre qui jugent inadmissible qu'un chien de vénerie soit suspecté de s'être attaqué à la femme enceinte, et de lui avoir ôté la vie. De l'autre, les défenseurs des chiens classés et les soutiens de Christophe Ellul qui n'envisagent pas que son Pitbull ait pu se retourner contre Elisa. Dans cette cacophonie, il faudra pourtant trouver un coupable…
Notre enquête sur la mort d'Elisa Pilarski. Episode 3 : à qui la faute ?