Ce lundi 25 novembre est celui de la journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes. Zoom sur The Sorority, cette application réservée aux femmes et aux minorités de genre qui propose de leur...
Mai 68 : "j'en garde un souvenir de liberté"
Florence Prudhomme est philosophe, écrivaine et journaliste. Elle avait 20 ans pendant les événements de mai 68. Aujourd'hui, elle tient un blog sur Mediapart et a créé l'ONG Rwanda avenir. Elle est l'auteure de plusieurs livres, parmi lesquels Rwanda, l’art de se reconstruire (éditions atelier Henry Dougier) et de Cahiers de mémoire, Kigali, 2014 (éditions classiques Garnier), écrit sous sa direction.
Planet : Vous aviez 20 ans en mai 68. Quel souvenir en gardez-vous ?
Florence Prudhomme : Un souvenir de liberté. De mai 68, je garde le souvenir d’une véritable prise de liberté. Elle était à la fois prévisible et inatendue. Pour beaucoup d’entre nous, on s’est senti soudainement emportés par le vent de la liberté et de la contestation.
A lire aussi :Mai 68 : vos 20 meilleures anecdotes
Pour ma part, j’étais étudiante à la faculté de Nanterres. L’animation politique et intellectuelle y était forte depuis deux ans déjà. Quand mai 68 est arrivé, nous étions préparés. En vérité, je m’attendais même à ce que cela arrive plus tôt. J’étais sûre que nous ferions la révolution dès 1966 ou 1967.
Quand cela a commencé, j’étais heureuse. J’ai participé à toutes les manifestations à tous les rassemblements. J’ai fait la journée du 22 mars, à la faculté de Nanterre. J’étais là, pendant la nuit des barricades. De tous ces moments, je conserve un souvenir relativement flou. Je me souviens davantage d’une ambiance, d’une atmosphère. Nous ressentions une certaine euphorie, une audace même. Parfois, comme lors de la nuit des barricades, nous avions peur aussi.
Planet : Selon vous, que doit-on à mai 68 aujourd’hui ?
Florence Prudhomme : Nous ne devons rien à mai 68. Chacun d’entre nous, nous avons continué notre chemin. Certains d’entre nous ont arrêté la politique. D’autres, c’est mon cas je crois, sont restés dans l’inspiration du mouvement. Enfin, d’autres s’en sont détournés.
Gardons à l’esprit que mai 68 n’est pas un modèle. C’est un événement politique et historique comme l’étaient la Commune ou le Front Populaire.
Naturellement, cela ne signifie pas que nous n’avons pas obtenu des avancées sociales. Mai 68, c’est aussi une série de changements fondamentaux dans les mentalités. Dans celles de la jeunesse, certes, mais pas que ! Dans celles des professeurs, de la famille aussi, par exemple. A cet égard c’est quelque chose d’inoubliable, je pense. Nous avons mené la lutte et nous avons ébranlé les autorités de l’époque, qu’il s’agisse de celles qui régissaient les entreprises, la famille, l’école… Nous sommes sortis d’une certaine forme de soumission : nous voulions travailler dans des conditions dignes ! La jeunesse nourrissait des questionnements quant à son avenir, qu’il soit professionnel ou amoureux.
Planet : A certains égards, mai 68 représentait-il l’opportunité de devenir acteur de sa propre vie ?
Florence Prudhomme : Oui, c’est ça. Mai 68, c’était un passage à l’acte. Nous sommes sortis de la passivité. La jeunesse de l’époque, dont je faisais partie, voulait pouvoir questionner son avenir. C’est ce qui a fait la force du mouvement, j’imagine. Nous pensions un avenir et un monde plus justes, moins autoritaires.
Mai 68 : "il règne sur le pays un climat assez similaire"
Planet : Tirez-vous une certaine fierté d’avoir participé à cet événement historique ? De ses conséquences ?
Florence Prudhomme : Non, je n’en suis pas spécialement fière. Le mot n’est pas le bon. En revanche, je suis heureuse d’avoir contribué à mai 68, d’une façon ou d’une autre. J’ai rapidement rejoint le mouvement des femmes.
Quand on me pose la question "combien de temps a duré mai 68" je réponds de deux façons : soit un mois… Soit 50 ans. Mai 68 m’a très largement aidée à me construire et à construire la suite de ma vie. Depuis, il me semble, je suis restée la même personne.
Planet : On entend parfois dire que les femmes de mai 68 ont été invisibilisées. Partagez-vous cette analyse ?
Florence Prudhomme : Quelque part, c’est drôle : tout le monde me pose la question aujourd’hui. Pourtant, en 68, la question ne se posait pas dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. Le sujet de l'histoire, c'était davantage les jeunes étudiants hommes.
Cependant je n'ai pas le sentiment d'avoir été opprimée par mes camarades à ce moment précis. Nous étions timides, sans doute, et n'avions pas l'habitude de prendre la parole sur le plan politique.
Par ailleurs, nous n'avions pas exactement les mêmes préoccupations. Pour les femmes le concept de liberté sexuelle n'existait pas encore véritablement. Non pas qu'elles soient tout à fait libres aujourd'hui, mais à l'époque il y avait encore de gros tabous. Sans compter les risques ! Vivre sa liberté sexuelle complètement, à une époque où la pilule arrivait tout juste, c'était courir le risque de tomber enceinte. Avec toutes les contraintes que cela impliquait… Celles qui avaient de l’argent pouvaient aller avorter à l’étranger, les autres devaient le faire clandestinement, en France.
Planet : Les étudiants qui bloquent des universités appellent de leurs vœux un "mai 2018". Les grévistes de la SNCF, entre autres, appellent à la convergence des luttes. La comparaison entre ces deux moments fait-elle sens à vos yeux ?
Florence Prudhomme : Certains points de comparaison sont pertinents, oui. Toutefois, la situation n’est évidemment pas la même et la comparaison ne peut pas se faire à l’identique. En 2018 comme en 1968, le 22 mars a été un jour de mobilisation et de manifestation, par exemple. C’est un élément intéressant à noter. Il règne sur le pays un climat assez similaire, il me semble.
En 1968, la société était très fermée. La jeunesse n’avait pas, semble-t-il, d’avenir. Il lui était refusé. J’ai le sentiment que ce qui se passe dans les universités découle de la même logique.Quand on refuse une orientation à un étudiant, on lui refuse d’une certaine façon son avenir.
Ce n’est pas le seul point commun. La répression policière pousse les étudiants et les grévistes à réemployer certains slogans de mai 68… Ce que font également les groupuscules fascistes qui disent encore vouloir "casser du bolcho". Ils paraissent plus nombreux aujourd’hui qu’à l’époque.