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Planet : Pourquoi parlez-vous de tabou des enfants disparus ?
Anne Larcher : Il s’agit en fait d’enfants entre 14 et 18 ans. On s’aperçoit qu’une grande partie des enfants qui fuguent sont de cet âge-là, que souvent ils sont très peu recherchés par les forces de police et de gendarmerie. Plus ils s’approchent de la majorité, moins ils sont recherchés. Ce sont des jeunes qui très souvent, dès 14 ans, se déscolarisent et partent en errance. Ca impacte tout leur avenir. Une jeune fille de 14 ans qui part vivre avec un homme, qui dit l’aimer, qui arrête l’école, et qui subit aussi des sévices sexuels de la part de cet homme, c’est forcément une jeune fille qui est en grand danger et on ne peut pas dire que la société se mobilise pour la rechercher.
Planet : Vous estimez que ces disparitions ne sont pas prises au sérieux par les services institutionnels ?
Anne Larcher : Tout à fait. Mais c’est parce que leur disparition ne sont pas toujours définitives. Très souvent, il y a des traces de vie de ces jeunes. On a un certain nombres de parents qui, par exemple, continuent à recevoir des amendes de transports au nom de leur enfant. Quand ce sont des jeunes qui sont issus de placement, leur disparition est immédiatement signalée, mais une fois que le lieu de placement a signalé sa disparition, ce n’est plus de son ressort. C’est alors à l’aide sociale à l’enfance du département de s’en préoccuper et on voit qu’il n’y a pas de pression faite sur les services de police.
Anne Larcher : L’enfant va être récupéré au hasard d’un contrôle, d’un petit larcin et va être remis dans le circuit de la protection de l’enfance. Mais si par malheur ce jeune est sous l’emprise d’adultes qui ne le laissent plus sortir, à ce moment-là, il n’y a pas plus de signe de vie ou d’occasion de le faire rentrer dans un circuit normal. Il ou elle va devenir majeur sans que personne ne le recherche plus.
Planet : Vous estimez qu’il y a des disparitions dans certaines familles qui sont mieux pris en charge ?
Anne Larcher : Il y a une différence oui. Imaginez une maman prostituée qui va déclarer la fugue de sa fille pour la troisième fois. Le poids de cette maman qui est connue pour des faits de prostitution, va forcément être moins fort que cel ui d’une maman avocate qui va dire ‘’Ma fille a fugué, il faut la retrouver’’. Parce que le discours du parent est différent, le regard porté sur le parent est différent. C’est tristement humain.
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Planet : C’est une injustice sociale.
Anne Larcher : Tout à fait. C’est une vraie injustice sociale. C’est la même chose quand un parent enlève son enfant, quand un des parents part avec son enfant et laisse l’autre démuni. Si le parent est dans un milieu où il a des contacts, son discours va être reçu ou bien entendu. Alors que quand c’est monsieur ou madame lambda qui ne connaît rien au milieu judiciaire et qui ne sait pas quel terme utiliser, sa plainte sera moins entendue. C’est justement pour cela que le 116.000 a été créé, pour permettre aux parents de déclarer la disparition d’un enfant et que ces disparitions soient recensées. Que les parents puissent être accompagnés. On va prendre contact avec les autorités pour expliquer qu’il n’y a pas de délai pour le faire. On entend souvent ‘’Attendez 48 heures ou trois jours’’. Parfois les officiers ne sont pas très au courant dans les affaires de famille qu’il n’y a pas besoin d’un jugement de divorce pour que le départ du parent avec son enfant soit signalé.
Planet : Selon vous, il y a un manque de formation à ce niveau-là ?
Anne Larcher : Oui, mais le déficit est général dans l’ensemble du monde juridique et même pour les avocats. Souvent, ils ne sont pas très au courant de toutes les démarches qui peuvent être mises en place dans les cas d’enlèvement internationaux. C’est une législation très compliquée et il faut vraiment une spécialisation pour bien conseiller les parents. C’est pour cela qu’on cherche à faire connaitre le 116.000, pour que les parents aient tout de suite l’appui de nos juristes et de nos psychologues.
Planet : Ces disparitions taboues, que représentent-elles en termes de chiffres ?
Anne Larcher : Les mineurs de 14 - 18 ans, c’est trois quarts des fugues et il y a entre 48.000 et 50.000 fugues chaque année. C’est un nombre très important de jeunes qui sont en errance pour trois jours ou beaucoup plus longtemps. Un tiers de ces jeunes qui fuguent ne sera pas retrouvé dans les six mois. Sans compter que, quand ils sont retrouvés et remis à leurs parent ou foyer, ils vont très souvent se remettre à fuguer. Quand un jeune a pris l’habitude de l’errance, il ne reste plus dans sa famille. Il y a très souvent un problème de réintégration. Nous intervenons aussi à ce niveau-là. Quand le jeune a fait une première fugue, on suit l’accompagnement des parents, en matière d’attitude à avoir pour reprendre le contact, pour accueillir l’enfant au mieux et pour veiller à ce que tout se passe bien.
Le 116000 Enfants Disparus est le numéro européen gratuit qui a pour mission d'écouter et soutenir les familles d'enfants disparus