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Le dimanche 6 octobre est célébrée la Journée nationale des aidant(e)s. Un rôle, nous allons le voir, indissociable de soins palliatifs dignes de ce nom. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vievient d'ailleurs de publier un guide destiné aux particuliers comme aux professionnels de santé, Etre un proche aidant. Il sera bientôt disponible en téléchargement, et est en ce moment distribué dans tous les réseaux qui traitent de ces problématiques. Notre article le plus récent sur les aidants en démontre l'utilité.
Nous avons interrogé Julien Carretier, Docteur en santé publique, et responsable santé publique au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, superviseur de l'élaboration du guide précité, ainsi que Giovanna Marsico, Directrice du Centre depuis deux ans.
Les soins palliatifs deviennent une priorité
Planet.fr : les soins palliatifs sont-ils encore tabous en France ?
Giovanna Marsico : le débat qui s'est déroulé pendant les deux dernières années a échauffé les esprits sur un sujet qui est très technique, très "médico-centré". Nos sociétés modernes ne sont pas prêtes à en discuter alors qu'il concerne tout le monde. Le bienfait de ce débat national, démarré par la remise de l'Avis 139 du Comité consultatif national d'éthique, la Convention citoyenne et tous les travaux réalisés par les ministères pour aboutir à une stratégie décennale et un projet de loi, a remis les soins palliatifs en haut de l'agenda non seulement politique mais aussi social.
Les soins palliatifs vont se développer à domicile
Planet.fr : la situation aurait donc évolué ?
Giovanna Marsico : oui. La population population française est mieux renseignée sur la fin de vie, notamment ceux qui sont dans ce dernier parcours et ceux qui les accompagnent. La spécifité en France est que le système de santé est très axé sur l'hôpital. Les soins palliatifs y étaient systématiquement prodigués car il y avait certaines maladies qu'on ne savait pas soigner sur une période longue. Aujourd'hui, voire depuis 10 ans, il y a une recrudescence des maladies chroniques, qui peuvent être graves, lourdes, mais aussi stabilisées et permettent de prévoir une éspérance de vie à 10 ans, 20 ans, 30 ans et plus.
Planet.fr : qu'est-ce que cela change en matière de santé publique ?
Giovanna Marsico : aujourd'hui l'espérance de vie est plus grande, il y a un vieillissement de la population française. L'hôpital n'est ainsi plus en mesure de répondre à tous les besoins et n'est plus adapté. Autrefois, pour un cancer du sein, on y restait un mois. Désormais, après une chirurgie, on sort de l'hôpital et il y a une prise en charge qui se fait à domicile avec des traitements et un suivi adéquats. Cela permet aux patients de rester en contact avec leurs proches, d'avoir une vie sociale.
Planet.fr : et au niveau de l'hôpital justement ?
Giovanna Marcico : il peut ainsi être réservé à ceux qui ont vraiment besoin de plateaux techniques importants. Mais en ce qui concerne la fin de vie, le virage n'est pas encore totalement pris : nous avons encore 52 % des décès qui se passent à l'hôpital. C'est énorme. En Italie par exemple, où le système de santé n'est pas aussi socialement développé, ce chiffre se situe entre 30 et 35 %.
Planet.fr : mais que souhaitent les Français au final : une fin de vie à domicile ou sa prise en charge à l'hôpital ?
Giovanna Marcico : après la prise en charge de la souffrance, le deuxième point le plus important pour les Français est de mourrir entouré de leurs proches, dans un lieu qui permette à la fois de les accueillir et de continuer l'accompagnement. C'est pour ça qu'il faut faire une distinction entre "les différents soins palliatifs". Vous avez les professionnels qui assurent le suivi dans la période palliative mais qui ne sont pas forcément des spécialistes des soins palliatifs : ça peut être le médecin généraliste, un infirmier libéral, un kinésithérapeute, un ergothérapeute, etc. Il y a aussi des actes qui relèvent des soins palliatifs mais qui correspondent parfois à la prise en charge de la douleur, des symptômes. Ils peuvent être également caractéristiques d'une pathologie, je pense à l'oncologie. Et il y a les lieux dédiés aux soins palliatifs.
Il n'y a pas de désert médical en France pour les soins palliatifs
Planet.fr : justement, quels sont ces lieux, c'est ce que se demandent beaucoup de Français ?
Giovanna Marcico : il y a des unités de soins palliatifs qui sont les unités les plus abouties dans la prise en charge de situations complexes, lourdes, douloureuses, et il y a d'autres lieux, comme les "lits identifiés" qui ne sont pas dans une unité dédiée mais qui ont tout un plateau technique qui permet à la personne hospitalisée en médecine générale ou autre d'avoir des soins équivalents. Il y a aussi l'hospitalisation à domicile qui ramène l'hôpital chez le patient, avec le plateau technique, le personnel et le suivi. Et bien sûr les EHPAD.Quand on dit qu'en France il n'y a pas assez de propositions de soins palliatifs, c'est faux. En revanche il y a des territoires ou effectivement il n'y a pas d'unités dédiées mais où les soins peuvent être réalisés via les lits identifiés ou d'autres services.
Planet.fr : pourquoi les Français se plaignent de ne pas y avoir accès ?
Giovanna Marcico : on peut dire bien sûr que les personnes qui ont besoin de soins palliatifs n'y ont pas toutes accès. Pourquoi ? Pour des questions d'organisation, d'information, de formation des professionnels même. C'est beaucoup moins attractif d'être médecin dans ce domaine que d'être oncologue par exemple. Il y aussi un problème de "culture" de la stabilisation et de la guérison qu'ont certains soignants, quitte éventuellement à rentrer dans une surenchère thérapeutique très importante. Cette culture passe parfois avant la "déséscalade thérapeutique" et la prise en compte des préférence des patients.
Planet.fr : on parle de guérison avant tout aux dépends des souhaits du patient ?
Giovanna Marcico : c'est une approche faite dès le début de la maladie comme une "guerre", la "bataille qu'il faut gagner" et cette volonté de faire du patient le "battant", le "guerrier". Si on ne lui parle jamais de l'issue, de la possibilité de la mort, quand elle arrive à la fin, alors qu'elle n'est pas prête à l'entendre. C'est un problème. On constate que les séjours en soins palliatifs ont une durée très limitée. C'est environ deux semaines, alors que nous prônons une prise en charge très précoce, avec des traitements adaptés à la pathologie mais complétés par des soins palliatifs, ce qui permet ainsi de faire interagir les deux types de prise en charge, et quand les traitements deviennent inutiles on peut basculer sur le "tout palliatif" sans que la personne ne se sente abandonnée.
Planet.fr : concrètement qu'est-ce que va changer la prise en compte de cette problématique par les politiques ?
Giovanna Marcico : les deux dernière années, il y a eu tout un travail auprès des politiques pour pouvoir justement "accoucher" d'une stratégie décennale qui a vocation à solutionner les difficultés évoquées et aller vers beaucoup plus de prise en compte de la mort, et de la phase palliative dans d'autres domaines de la médecine, mais aussi dans la société en général. Car c'est un enjeu de société.
Julien Carretier :il y a une vraie volonté politique et institutionnelle de renforcer l'offre en soins palliatifs sur tous les territoires. Avec justement un ancrage territorial extrêmement fort. Soit essayer de les doter au maximum d'une organisation. Les collectivités doivent prendre une place beaucoup plus importante. Il y a une ambition pour que des acteurs jusqu'ici moins mobilisés comme les conseils départementaux, les régions, les mairies, les associations locales, ces fameuses communautés, collectifs d'entraide, au niveau de la ville et pas de l'hôpital, puissent répondre aux besoins. La place des médecins généralistes est aussi importante pour les soins primaires par exemple.
Planet.fr : sur le terrain, cela se passe comment ?
Giovanna Marcico : on compte beaucoup sur la création de ce qu'on appelle les "collectifs d'entraide" ou "communautés compatissantes", qui permettent dans un cadre informel de mutualiser les ressources sur un territoire donné pour que les personnes puissent être accompagnées même par des non-professionnels. L'accompagnement de la fin de vie, en fonction des besoins évidemment, peut se faire par des gens pas forcément hyper spécialisés.
Julien Carretier : d e nouveaux dispositifs vont pouvoir être créés comme les maisons d'accompagnement, ou des outils de discussion et d'anticipation de la fin de vie, d'information sur "l'après", de renseignement et de préparation des proches sur les démarches à réaliser quand le moment fatidique arrive.
Planet.fr : la détection précoce est-elle un élément important pour la prise en charge ?
Giovanna Marcico : oui car elle permet une meilleure organisation. C'est-à-dire comment le professionnel de santé peut utiliser des outils d'évaluation pour savoir si la personne, dans un an par exemple, sera encore là ou non. Et dans un premier temps déjà, lui faire une proposition d'offre de soins, adaptés, et surtout de commencer à discuter avec elle. Il pourra ensuite réévaluer dans le temps les besoins et préférences du patient. Cela rentre dans la stratégie décennale et le projet de loi qui visent notamment à développer un plan personnalisé pour que ceux qui le prennent en charge puissent s'adapter.
Planet.fr : quel rôle jouera le Centre après ces avancées ?
Julien Carretier : dans toutes ces mesures d'anticipation, le Centre a pour vocation de fournir des outils et des dispositifs. Il y en a certains qui ont été lancés auprès de professionnels qui n'étaient pas sufisamment dotés de moyens pour favoriser cette discussion anticipée, notamment dans les EHPAD ou les établissements médico-sociaux et donc nous avons accompagné des gens qui développent leurs propres outils pour y parvenir et il y a le fameux guide, qu'on vient de lancer. L'ambition était de fournir un document très complet, très détaillé. Un document "ressource", pour à la fois apprendre à mieux gérer les symptômes, comment identifier chez la personne accompagnée tel ou tel signe qui peut amener à prendre la bonne décision au moment où les problématiques se font sentir, principalement à domicile comme évoqué précédemment.
Planet.fr : c'est là qu'interviennent les difficultés matérielles pour les aidants ?
Julien Carretier : oui, il faut aménager la maison, la chambre, il faut peut-être commander du matériel ou le louer. Et il y a une grande méconnaissance des citoyens sur les ressources disponibles, les démarches. Ca paraît presque insurmontable. On a cette réputation en France d'avoir une phobie administrative qui empêche de se lancer, mais il y a plein de solutions. Comme les plateformes de répit pour les aidants.
Planet.fr : se pose la question de l'argent. Comment subvenir aux besoins d'aménagement par exemple ?
Giovanna Marcico : la stratégie décennale adoptée est dotée d'un budget de plus 100 millions d'euros par an. Soit 1 milliard 200 millions d'euros en 10 ans. S'il ne fait pas machine arrière, je ne pense pas que cela arrive, l'Etat considère que la fin de vie est aussi un enjeu de solidarité. Et que c'est à lui de s'assurer que l'accompagnement soit fait correctement et de façon équitable pour tous. Indépendemment du milieu socio-culturel ou de la situation dans laquelle la personne se trouve. Dans ces 100 millions, une partie sera dédiée comme l'a évoqué Julien aux structures d'accompagnement territoriales, qui sont peu médicalisées et qui vont coûter moins cher qu'un hôpital. Mais qui peuvent répondre aux besoins de prises en charge ni lourdes ni techniques mais plutôt sociales, par exemple de celles des personnes isolées, de celles qui ont des accompagnants âgés, de celles qui sont polypathologiques, qui sont éloignées car elles vivent à la campagne loin des établissements de santé.
Planet.fr : on en revient encore une fois aux soins à domicile ?
Giovanna Marcico : ça n'a pas de sens d'occuper un lit d'hôpital qui coûte une fortune pour compenser un enjeu social. Le retour ou le maintien à domicile garantira aux personnes de bénéficier de toutes les ressources qui doivent être mises en place. Par exemple, tout un système informatique qui permettra d'avoir une coordination réelle entre les différents acteurs, ainsi qu'une visibilité, une traçablité des différentes situations dans lesquelles la personne peut se trouver. En fonction des trajectoires de fin de vie, les besoins ne sont pas du tout les mêmes. Il y en a qui sont très longues et qui sont très douces dans leur déclin, d'autres où les personnes vont très bien et survient un déclin très brutal.
Planet.fr : tout est réalisable en matière de palliatif à domicile ?
Giovanna Marcico : selon les cas, un outillage et appareillage très technique, très poussé et évolué peut être nécessaire mais on peut dire que oui. D'ici 10 ans, on aura la possibilité d'avoir une fin de vie telle que l'on l'imagine quand on y arrive et même de l'organiser avant que le processus démarre. Aujourd"hui, des gens se retrouvent encore à mourir seuls dans le lit isolé d'un hôpital, même chose dans un EHPAD sans médecin coordinateur et ça peut être très traumatisant pour soi comme pour les proches.
Planet.fr : est-ce que les EHPAD renvoient les patients en fin de vie vers l'hôpital ?
Giovanna Marcico : quand la situation n'est pas lourde ou complexe, ils devraient pouvoir faire un accompagnement similaire à celui effectué à domicile. Si le patient n'a pas de souffrance réfractaire et est à l'agonie ça n'a pas de sens d'appeler les urgences. Mais tout ça nécessite de la sensibilation du personnel de l'établissement. Il faut juste qu'il soit capable de l'accompagner durant cette période.
Planet.fr : est-ce que la situation de l'hôpital pendant la pandémie de Covid-19 a été une prise de conscience ?
Julien Carretier : oui c'est sûr que ça a eu un impact, on a commencé à mettre en place des moyens pour soutenir les aidants il y a 3 ou 4 ans.
Giovanna Marcico : et puis il y a eu ce traumatisme des morts isolés. Le dialogue va être repris avec les autorités sanitaires sur la question du droit de visite, sur la garantie que chaque personne qui le souhaite et qui le peut puisse être accompagnée par ses proches à sa guise, pas à celle de l'organisation hospitalière.