Capitalisation ou répartition : peut-on encore espérer une retraite décente sans épargne, en France ?Istock
Le niveau de vie des retraités régresse lentement mais sûrement, au moins comparé à celui des actifs. Pourra-t-on toujours s'en sortir sans avoir recours à l'épargne et à la capitalisation dans quelques années ?
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"Si on ne fait pas de réforme des retraites en positif, les retraites vont se casser la figure", observait récemment l’économiste Michaël Zemmour.  L’expert était invité par Mediapart pour commenter (notamment) le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (Cor) portant sur la dégradation du niveau de vie des Françaises et des Français ayant d’ores et déjà liquidé leurs droits. Si récente soit-elle, cette tendance à l’appauvrissement progressif des assurés - d’une génération à l’autre plutôt qu’au sein d’une même génération - n’est pas nécessairement nouvelle. Loin s’en faut : c’était déjà le cas en 2020, rappelle le site spécialisé La Retraite en Clair qui évoquait le problème à l’époque. D’une façon générale, comme le précisait Planet au début du mois de Juillet, les réformes successives survenues ces dernières années sont toutes allées dans ce sens.

D’aucuns soupçonnent d’ailleurs que l’Etat Français, incarné par les divers dirigeants qui l’ont manoeuvré au cours de leurs mandats respectifs ne soit tenté de rogner le système de répartition sur lequel se repose notre modèle de retraite, au profit d’un dispositif incorporant davantage (a minima ?) de capitalisation. A titre informatif, le premier repose sur la solidarité intergénérationnelle : ce sont les actifs qui, au travers des cotisations versées au titre de l’Assurance vieillesse, paient les pensions de leurs aînés. Le second se base en revanche sur la capacité de tout un chacun à se constituer son propre patrimoine dans le but de s’assurer des revenus décents une fois survenue la cessation d’activité.

Retraite : pourrait-on véritablement sacrifier la répartition au profit de la capitalisation ?

En pratique, explique l’économiste Alexandre Delaigue, il n’est pas envisageable de mettre un terme pure et simple au système de répartition. "Pour abandonner complètement le système de répartition au profit d’un modèle par capitalisation, il faudrait que les actifs soient à la fois en mesure de mettre de côté pour leur propre retraite… et qu’ils puissent tout de même continuer à payer les pensions de leurs aînés en parallèle. C’est invraisemblable", rappelle d’entrée de jeu le professeur agrégé d’économie-gestion, qui enseigne à l’université de Lille 1, après être passé par l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. 

 "L’autre solution est tout aussi inconcevable : il s’agirait alors de dire aux retraités d’aujourd’hui que leurs pensions ne seront plus payées ; ou en tout cas plus en intégralité. Ce n’est pas envisageable", tranche-t-il encore. Cependant, tout cela ne signifie pas qu’il ne soit pas possible de transformer le dispositif de retraite français pour le rendre plus compatible avec la capitalisation… Certains ne demandent d’ailleurs que ça.

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"Rappelons d’abord que tout un chacun est évidemment en droit de capitaliser en vue de sa retraite. Il n’y a pas d’obstacle à ce type de gestion de patrimoine. Ce sur quoi veulent s’appuyer les acteurs de l’industrie financière française, c’est sur de véritables incitations à la capitalisation portées par une restriction suffisamment importante des pensions pour créer un système complémentaire à ce qui existe d’ores et déjà", observe le spécialiste pour qui le gouvernement n’a pas nécessairement d’agenda très précis sur la question. "La majorité actuelle souscrit très clairement à l’idée que les retraites coûtent trop cher et qu’il faut réduire les dépenses. De la même façon, elle n’hésite pas à pousser les gens à l’épargne", souligne-t-il cependant.

Est-ce à dire que, sauf à s’être volontairement constitué un matelas "hors-système", il ne sera plus possible de vivre de la répartition en France ?

En France peut-on encore prétendre à une retraite décente sans épargner ?

"Rappelons d’abord que, statistiquement, les retraités français bénéficient d’un meilleur niveau de vie que les actifs. C’est un état de fait qui résulte d’un système historiquement assez généreux à leur endroit", souligne immédiatement Alexandre Delaigue. En dépit du rééquilibrage aujourd’hui à l’œuvre, les Françaises et les Français ayant liquidé leurs droits demeurent globalement moins malmenés que les autres — au moins sur le plan financier. "La question, ensuite, c’est celle de la définition même d’une retraite décente. Certains assurés profitent aujourd’hui de montants très élevés dont on pourrait questionner la légitimité. Cela ne veut pas dire qu’on pourrait les changer du jour au lendemain : il faut prendre en compte l’inertie des pensions quant on prévoit de transformer le système", analyse encore l’enseignant agrégé.

"En l’état actuel des choses, il ne me semble pas mécaniquement nécessaire d’avoir épargné dans le courant de la carrière pour prétendre à une pension viable si on prend le cas d’un individu d’ores et déjà à la retraite aujourd’hui. Ne perdons pas de vue que les dépenses courantes sont aussi moins importantes en moyenne : pour l’essentiel, les retraités sont propriétaires de leur logement et n’ont souvent plus d’enfant à charge ; ce qui implique des besoins financiers moins importants", rappelle encore l’économiste. Les prochaines générations ne seront peut-être pas aussi chanceuses… 

"Quelqu’un qui se lance maintenant sur le marché du travail peut légitimement vouloir se protéger à l’aide de l’épargne. Cependant, la question ne se pose pas seulement en ces termes : il est certain que d’ici le départ à la retraite d’un arrivé sur le marché, le système aura changé. Ce sont ces incertitudes qui posent question sur l’attitude à adopter", estime Alexandre Delaigue. 

Compte tenu de la situation économique de la nation ; des ressources des actifs à l’approche de la cessation d’activité… Épargne ou capitalisation doivent-elles être vues comme des outils de salut pour les futurs retraités ?

Retraite : faut-il craindre la capitalisation ?

La question, insiste Alexandre Delaigue, est peut-être moins économique qu’elle n’est politique. "Dans le système par répartition actuel, les pensions se dégradent, mais démarrent d’assez haut. Notre modèle repose, par ailleurs, sur d’importants prélèvements sur les salaires. La question de sa pérennité se pose donc davantage en termes politique qu'économique : tant qu’il fait consensus, ce qui semble être plutôt le cas aujourd’hui, il demeure légitime", juge en effet l’enseignant-chercheur. 

Du reste, cela ne signifie pas qu’il faille mécaniquement craindre l’introduction potentielle de capitalisation dans notre système par répartition. "Sur une économie d’ensemble, il s’agit de deux modèles relativement équivalents : la capitalisation a elle aussi un impact sur le salaire des employés au final. En revanche, il s’agit de deux outils différents avec des forces propres. Ainsi, la capitalisation est forte en cas de rendement du capital élevé et de croissance faible, ce qui est notre cas depuis maintenant des années", rappelle en effet l’économiste.

"Peut-être faudrait-il donc réfléchir à la création de mécanisme permettant aux Françaises et aux Français de créer un capital qu’il pourrait ensuite utiliser ainsi que bon leur semble. Quand le capital apparaît plus fort que le travail, ne faudrait-il pas le redistribuer ?"interroge enfin le professeur agrégé.