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Raul Magni-Berton est politologue et enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble (IEP). Il travaille essentiellement sur les questions suivantes : démocratie, immigration, révoltes, redistribution, citoyenneté, élections.
Planet : De très nombreux candidats se sont positionnés sur les questions de la succession ; alors même que ce sujet ne concerne qu'une partie des électeurs. Comment expliquer qu'un discours prônant l'allègement des frais à payer sur la transmission ait autant d'écho auprès de la population ?
Raul Magni-Berton : Rappelons d’abord combien il peut se montrer difficile de répondre à une telle question. Il est vrai qu’une partie considérable des Françaises et des Français n’auront pas à payer de frais de succession. Pour autant, les uns et les autres apparaissent très sensibles à ce qu’ils possèdent et ce qu’ils pourraient donc transmettre. L’hypothèse de devoir payer à l’avenir, voire de ne pas pouvoir léguer leurs possessions, a de quoi se montrer très contrariante.
Héritage & impôts : si les Français ne veulent pas payer, c’est parce qu’ils n’ont pas confiance dans notre modèle de fiscalité
Dans le cadre précis du débat sur l’héritage, il importe aussi de soulever un certain nombre d’autres aspects. Les Françaises et les Français, en moyenne, transmettent assez peu. Ceci étant, il est assez normal d’espérer pouvoir transmettre davantage. Tout un chacun à théoriquement le potentiel - et l’espoir ! - de s’enrichir assez pour laisser davantage à ses enfants. En outre, il n’est pas rare de sur-évaluer la valeur des ses propres biens.
L’impôt, et c’est là un principe général qui s’applique notamment à la question des droits de succession, est généralement questionné quand il finance des services considérés peu équitables ou peu efficients. Quand les services publics fonctionnent normalement, le sujet n’est jamais aussi proéminent.
Je ne crois pas, dès lors, que l’imaginaire collectif soit erroné à ce sujet : les électeurs ne pensent pas nécessairement que les droits de succession sont plus importants qu’ils ne le sont en réalité. A mon sens, c’est là l’illustration claire et nette d’une demande de plus de transparence. Le système d’imposition à la française est très obscur et compte son lot de niches fiscales, qui permettent à quelques-uns de ne pas respecter les règles du jeu. C’est un problème qui fait consensus : tout le monde, sur le spectre politique, s’accorde à dire qu’il faut plus de clarté.
Héritage : faut-il supprimer toutes les niches pour rétablir la confiance ?
Planet : La réduction des frais de succession est communément admise comme une politique susceptible de profiter à toutes et tous. Est-ce effectivement le cas ?
Raul Magni-Berton : Il va de soi que ce n’est pas une politique qui profite à l’ensemble de la population. Le principe même de succession pose des problèmes sociaux qu’il est important de souligner, particulièrement dès lors que les principaux concernés évitent la taxation. Les Françaises et les Français y sont très attachés sur le plan émotionnel, mais sur le fond, il faut reconnaître que l’on touche mécaniquement à l’égalité des chances.
Si les uns et les autres sont convaincus de la nécessité de baisser les frais de succession, y compris parmi les classes socio-professionnelles moins aisées, c’est encore une fois parce que l'utilisation de l’impôt n’est pas assez claire. Rares sont ceux qui sauraient dire avec précision où l’argent va, ce qu’il finance et cela engendre mécaniquement un flou qui crée lui-même du soupçon. A ce stade là, il y a de quoi juger qu’il vaut mieux payer moins d’impôts.
La complexité d’un système fiscal est généralement très révélatrice de la place des lobbys dans une société. C’est à ces derniers que l’on doit des avantages spécifiques pour une partie de la population. Quand les niches fiscales pullulent au point d’être attribuées à toute catégorie de la population, c’est que le problème est assez important pour être observé sans même avoir à le chercher. Dès lors, toute clarification passe par l’élimination de toutes les exemptions.
Héritage : qui paiera l’allègement des droits de succession ?
Planet : La réduction des frais de succession ne coûte-t-elle pas cher à certaines catégories de la population, du fait de son financement ? Ces rentrées en moins pour l'Etat impliquent potentiellement un affaiblissement de celui-ci…
Raul Magni-Berton : C’est un choix de société. La question est la suivante : souhaite-t-on un Etat moins fort, qui assure moins efficace le bien-être de ses citoyens mais qui leur laisse aussi davantage d’opportunités pour se lancer, plus de place à l’initiative (professionnelle, notamment), un coût du travail moins élevé ou préfère-t-on un système de solidarité plus prégnant ? Ce dernier met naturellement un frein à la croissance mais il a aussi tendance à l’harmoniser entre les différentes strates de la population. En somme, c’est la question classique qui permet, traditionnellement, de différencier la droite de la gauche.
La réduction des frais de succession pourrait effectivement coûter cher au welfare state. Dans une situation comme la nôtre, c’est-à-dire avec une croissance en berne et une dette importante, les politiques sont contraints d’épargner sur le rapport dépenses publiques-recettes. Il leur est alors possible de supprimer ou de réduire une prestation au profit du financement d’une autre, mais c’est une option rarement retenue. Si l’on part du principe, par exemple, qu’un candidat pourrait vouloir supprimer le RSA pour financer l’allègement des droits de succession, il a aussi accès à des options moins risquées politiquement… Et donc plus couramment utilisées.
La plupart du temps, il s’agit en effet de rendre de telles prestations plus difficiles d’accès. Dès lors, elles sont moins versées et l’on peut se défendre de les avoir modifiées. Seulement, c’est convaincre les électeurs que les services publics sont peu efficaces : ils ont beau payer beaucoup d’impôts, la qualité du service décroît.