TEMOIGNAGE : "Je suis inspecteur cold case"IllustrationIstock
Raphaël Nedilko a élucidé deux affaires de meurtres plus de vingt ans après les faits. Cet inspecteur profondément humain, en quête permanente de justice, raconte dans un livre, L'Obstiné, la difficulté de résoudre des cold cases et la douleur de familles abandonnées par les institutions. Rencontre.
Sommaire

Raphaël Nedilko en impose : 50 ans, 1,87 m, le visage fermé, le regard droit. Entré à vingt-huit ans au 36, Quai des orfèvres, "j’ai toujours été tourné vers le service aux autres. Ma grand-mère avait une fascination pour tous les métiers de l’ordre. Je regardais Maigret avec elle."

Sept ans plus tard, il quitte le 36 pour la Police Judiciaire de Dijon. Il refuse les "stups", préférant la "crime" : "la matière humaine est pauvre à traiter dans les stups, ce sont de petits crimes motivés par l’argent. Alors que dans la crime, il y a une noirceur… On a tous la capacité de faire le bien ou le mal. Il n’y a pas de monstres, que des hommes qui commettent des actes monstrueux."

Arrivé à Dijon, catalogué comme le petit Parisien prétentieux et pointilleux, Raphaël Nedilko est très vite intrigué par les "disparues de l’A6". Entre 1984 et 2005, au sud de Dijon , douze meurtres de jeunes femmes ont été recensés dans un périmètre de 200 km autour de l’A6. 8 de ces affaires sont toujours non élucidées à ce jour.

Les disparues de l’A6 : "c’était devenu une obsession"

"J’ai immédiatement été ému par les familles des victimes dans l’attente depuis si longtemps. Mais j’ai aussi été consterné par le manque d’investissement de l’institution policière : c’est une injustice qui se rajoute à la douleur de la famille."

Vidéo du jour

La hiérarchie de Raphaël Nedilko fuit la détresse des familles qui attendent la vérité depuis près de vingt ans.Pourtant le temps presse : sans reprise des enquêtes, ces cold cases pourraient être classés sans suite.

"Les enquêteurs comme les magistrats le savent : le pire ennemi d’un dossier est le temps. Le temps qui voit disparaître les preuves ou les protagonistes, déménager les témoins, et se profiler le spectre de la prescription, qui fait qu’après vingt ans en cas de crime – c’était dix ans jusqu’en 2017 – il n’y aura plus de poursuites pénales."

"D’après mon analyse, ce qui fait qu’une affaire devient un cold case, ce sont les approximations dans l’enquête. Un problème dans la méthode, ou une complexité dans la façon dont les faits se sont produits, ou encore parce que le criminel a su rester discret pendant des années."

Les dossiers des "disparues de l’A6" sont, pour la plupart, aux mains de la PJ de Dijon. Ils sont souvent suivis par les mêmes enquêteurs depuis plusieurs années, persuadés d’avoir déjà fait tout ce qui était possible.

"Quand j’ai récupéré le dossier Maillery, j’ai apporté un œil neuf, mon regard n’était pas amoindri par la lassitude de mes prédécesseurs. Je suis fasciné dès le début. Je travaillais sur mon temps libre. C’était devenu une obsession. Mais il ne peut pas en être autrement lorsque l’on croise le regard d’une mère désespérée. Ça prend aux tripes."

Christelle Maillery : enquêter vingt-cinq ans après les faits

Christelle Maillery, âgée de seize ans, a été assassinée en 1986, dans la cave d’un bâtiment de sa résidence au Creusot (Saône-et-Loire), de plusieurs coups de couteau. Vingt ans après, les objets mis sous scellés qui auraient pu contenir de l’ADN ont été détruits, notamment le couteau identifié comme étant l’arme du crime.

"Le premier réflexe des enquêteurs est de demandé des analyses d’ADN, de faire appel à la technologie, de fouiller les téléphones portables. Toute leur enquête va reposer là-dessus, mais si les résultats ne sont pas probants, les enquêteurs se retrouvent démunis."

Alors comment résoudre une affaire vingt-cinq ans après les faits sans ADN ? "C’est beaucoup de schémas ‘patate’, de diagrammes avec des flèches. Le tout sans ordinateur ! J’ai une aversion pour tout ce qui est nouvelle technologie. Ce sont aussi les enquêtes de voisinage, les auditions de témoins."

Christelle Maillery : comment piéger le meurtrier sans preuves formelles ?

Pour coincer le meurtrier de Christelle Maillery, Raphaël Nedilko a utilisé : "des revues de presse ! Je découpe des journaux, écoute des kilomètres de bande, compulse des photos. Puis, je sais quelles sont les informations connues du grand public et celles que seules un meurtrier aurait."

Lors d’une garde à vue, Jean-Pierre Mura, l’assassin, place le corps sur un plan de la cave alors que cette information n’avait pas été donnée par la presse. De la même, lors de la reconstitution des faits dans la résidence où vivait Christelle Maillery, Jean-Pierre Mura s’est arrêté près d’une haie, attendant des questions des inspecteurs. Or, il s’agissait du lieu où, 20 ans plus tôt, il avait jeté l’arme du crime. Une information que les inspecteurs n’avaient pas !

En 2011, Raphaël Nedilko parvient ainsi à trainer Jean-Pierre Mura devant les tribunaux. Il est jugé coupable en 2016 et emprisonné. Après cette réussite, Raphaël Nedilko, très discret et absent des écrans de télévision, décide de s’intéresser à un autre des dossiers des "disparues de l’A6" : celui de Christelle Blétry.

Christelle Blétry : l’affaire de trop ?

Christelle Blétry, âgée de 20 ans, est tuée en 1996, de 123 coups de couteau, près de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). En 2014, Raphaël Nedilko parvient à résoudre le meurtre en utilisant de l’ADN vieux de 18 ans. "Les progrès de la science ont apporté un renfort majeur dans l’affaire Blétry."

Une deuxième affaire résolue pour Raphaël Nedilko, mais une absence de reconnaissance de sa hiérarchie … "Je suis parti parce que j’avais fait la démonstration que tout était possible malgré des conditions défavorables. Je pensais que les gens qui me dirigeaient en tireraient des enseignements, mais ils ne l’ont pas fait. Ils empêchent les familles de connaitre la vérité et mes camarades de vivre leur passion."

En 2016, Raphaël Nedilko quitte volontairement la PJ de Dijon pour le commissariat de Chalon-sur-Saône. "Ça me manque, je suis fait pour les cold cases. Si des pôles d’enquêteur cold cases devaient être créer, je proposerais ma candidature.

Peu de temps après son changement de commissariat, Raphaël Nedilko est terrassé par une crise cardiaque et le surmenage. "On est des pompiers de l’urgence. On rencontre que du tragique. Il n’y a jamais de bons moments pour nous : la scène de crime, l’autopsie, l’audition du suspect, la condamnation."

Deux cold cases élucidés : comment continuer ?

Après son AVC, Raphaël Nedilko décide de briser l’omerta policière et de tout raconter dans un livre, L’Obstiné aux Editions StudioFact : les enquêtes, le silence de sa hiérarchie, les difficultés humaines et professionnelles. "J’ai promis à Marie Pichon, mère de Christelle Maillery, de faire tout ce qui était humainement et policièrement possible. Parler et écrire fait partie de ma promesse. On doit améliorer la façon de traiter les cold cases au sein de notre institution."

"Ce livre était une bouteille à la mer. Je me tâte pour en écrire un deuxième." Et s’il devait reprendre une nouvelle enquête cold case ? Il répond sans hésiter : "l’affaire du petit Grégory". "Plus c’est ancien, plus cela m’attire. Cette affaire m’a marqué, j’avais 12 ans à l’époque des faits. Et puis, j’aimerais reprendre les cas des disparues de l’A6. Ces affaires me tiennent à cœur parce que les familles de victimes n’ont de cesse de se battre."