De nouvelles règles d’indemnisation entreront en vigueur en avril 2025 et impacteront durement les plus âgés.
- 1 - Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Pourquoi moi ? »
- 2 - Quels souvenirs gardez-vous de ce 10 juin 1944 ?
- 3 - Ce jour-là, vous avez aussi perdu votre maman et deux de vos trois sœurs…. Comment l’avez-vous appris ?
- 4 - Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Je ne voulais pas partir »
- 5 - Vivre à Oradour, après un tel drame, n’a-t-il pas été difficile ?
- 6 - Un jour, vous avez décidé de raconter cette histoire, de témoigner, pour que personne n’oublie Oradour…
- 7 - Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Le Bataclan, une copie conforme d’Oradour »
- 8 - Agathe, vous vous êtes très tôt intéressée à l’histoire de votre grand-père…
- 9 - Robert, la guerre qui sévit en Ukraine en ce moment ravive-t-elle des mauvais souvenirs chez vous ?
C’est un souvenir encore douloureux, qui a marqué profondément l’histoire de la France, et encore plus, celle des habitants de la région.
Le 10 juin 1944, au cœur de la Seconde guerre mondiale, un détachement de la divison SS Das Reich pénètre dans le village paisible d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, avec une seule mission : tout détruire.
Ils ordonnent aux habitants de sortir de chez eux, et séparent la foule en deux groupes : les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre. Les premiers seront fusillés en pleine rue, les autres, brûlés vifs dans l’église du village. 643 personnes périssent au total. L’horreur est absolue.
C’est le plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes. Dans le village limousin devenu martyr, 7 miraculés réchapperont au massacre. Parmi eux, il y a Robert Hébras, un jeune homme de 19 ans.
Ce jour-là, Robert est en train de discuter avec ses amis, dans le village, lorsque les troupes nazies arrivent sur des blindés. Personne ne prend véritablement la mesure de ce qu’il va advenir. Les Allemands rentrent dans les maisons, sortent les occupants et leur ordonnent de se regrouper sur la place, où ils seront ensuite séparés : les femmes et les enfants sont emmenés, tandis que les hommes restent au milieu du bourg.
Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Pourquoi moi ? »
Robert et ses camarades doivent se tenir debout face à la grande, où quelques minutes plus tard, une détonation sonnera le départ de la fusillade. Les SS tirent sur tous les hommes. Robert est touché, mais encore vivant. Il décide de rester « caché » sous les corps, jusqu’à ce que l’incendie provoqué par les Allemands l’atteigne. Il retrouve ensuite 5 autres rescapés et passe le reste de la journée à éviter le feu et les soldats qui rôdent encore.
78 ans plus tard, il est le seul survivant du drame à être encore en vie. Il a transmis son histoire à sa petite-fille Agathe, une historienne âgée de 29 ans qui travaille à la Fondation du Patrimoine, et ensemble, ils ont co-écrit un ouvrage, qui vient de paraitre aux éditions HarperCollins : Le dernier témoin d'Oradour-sur-Glane. Entretien.
Quels souvenirs gardez-vous de ce 10 juin 1944 ?
Robert Hébras : Les souvenirs sont encore très vifs, ils persistent. Et c’est souvent pire aux alentours du 10 juin, cela s’accentue.
Ce jour-là, on ne s’attendait absolument pas à un tel drame, il n’y a aucun doute. On s’est rendu compte que quelque chose n’allait vraiment pas quand les Allemands ont commencé à nous regrouper, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.
J’étais à côté de mon meilleur ami, Martial. Lui est tombé sous les balles, et pas moi. Je me demande souvent : pourquoi moi, je suis là ? Et je ne sais vraiment pas…
Ce jour-là, vous avez aussi perdu votre maman et deux de vos trois sœurs…. Comment l’avez-vous appris ?
Robert Hébras : Le soir, je parviens enfin à m’échapper du village, et je n’étais pas si malheureux : je savais que mon père était à l’extérieur, et je pensais que les femmes et les enfants avaient été épargnés et emmenés dans un autre endroit, pour qu’elles ne voient pas le drame. Hélas, ça n’a pas été le cas.
Lorsque que je retrouve mon père, je lui raconte. Il n’a rien dit, et il a pris son vélo jusqu’à Oradour. Il a regardé, s’est approché, et c’est là qu’il a vu le charnier de l’église. Ils avaient brûlé les femmes et les enfants dans l’église du village. Il m’a dit en revenant que ma mère et mes deux sœurs avaient été brulées vives. Le choc a été violent, terrible pour moi. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre.
Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Je ne voulais pas partir »
Vivre à Oradour, après un tel drame, n’a-t-il pas été difficile ?
Agathe Hébras : Pour moi, ayant grandi dans les années 1990, j’ai évolué dans le village sans difficultés. Il n’y avait plus la période de deuil, c’était moins compliqué. A l’école, bien sûr, on nous parlait de l’histoire d’Oradour, d’un point de vue pédagogique, et je m’y intéressais à titre personnel. Mais pour mon grand-père, cela a dû être différent… Il a d’abord vécu dans des baraquements avant de retourner vivre dans le village reconstruit, mais vide…
Robert Hébras : Oui, c’était dur, mais j’avais mon travail et je voulais réussir. J’avais monté un garage automobile dans le village, et je ne voulais pas partir. Passer devant les ruines tous les jours, c’est dur, mais on n’en parlait pas. Mes clients, mes fournisseurs, ne connaissaient même pas mon histoire.
Un jour, vous avez décidé de raconter cette histoire, de témoigner, pour que personne n’oublie Oradour…
Robert Hébras : Oui, je n’ai pas vraiment décidé d’un seul coup, mais les occasions ont fait que j’ai témoigné, on m’a sollicité et j’ai accepté car c’est important. Et puis, j’ai aussi guidé des visites du village, en racontant mes souvenirs. Durant ces évènements, j’ai même fait la connaissance d’Allemands, fils de soldats, qui étaient traumatisés de me rencontrer. Je suis encore en contact avec certains d’entre eux régulièrement.
Agathe Hébras : J’ai très souvent accompagné mon grand-père quand il faisait ses visites, et puis, quand il a été trop fatigué, il disait aux gens « allez-y avec ma petite fille » !
Aujourd’hui, quand j’ai le temps, quand je peux, je continue de le faire.
Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour : « Le Bataclan, une copie conforme d’Oradour »
Agathe, vous vous êtes très tôt intéressée à l’histoire de votre grand-père…
Agathe Hébras : Oui, j’ai grandi dans le nouveau village, mais avec les ruines toujours en arrière-plan, et j’ai très vite posé des questions, mais j’étais trop jeune. On m’a expliqué, petit à petit, mais à 5 ans je savais déjà plus ou moins qu’il y avait eu la guerre, et qu’on avait exterminé la population. J’ai beaucoup appris à la maison, en regardant les livres, les photos… On a vraiment commencé à m’en parler quand je voyais les photos des sœurs et de la maman de mon grand-père et que je demandais qui elles étaient.
Je me suis ensuite passionnée pour Oradour, et l’historie de la Deuxième guerre mondiale et à 13 ans déjà, j’ai décidé d’entreprendre plus tard des études d’histoire dans ce sens. J’ai ensuite fait un master en valorisation du patrimoine, marquée toujours par Oradour, mais je ne savais pas si un jour je pourrai y travailler.
Je ne voulais pas être légitime seulement parce que je suis la petite-fille d’un survivant, par mon nom de famille, mais par mes diplômes. Mais Oradour a été une influence constante dans ma vie. Aujourd’hui, je veux continuer à protéger son histoire.
On avait l’idée de faire un livre depuis longtemps avec mon grand-père, et finalement, l’occasion s’est présentée.
Robert Hébras : Je suis très fier de ma petite-fille. On me fait plein de compliments sur elle, et je la remercie du fond du cœur de faire ce qu’elle fait. Mon témoignage ne s’arrêtera pas à mon décès grâce à elle.
Agathe Hébras : Beaucoup de survivants n’avaient pas de famille directe qui ait pu s’investir dans la protection de l’histoire d’Oradour. Le témoignage de mon grand-père, et tout ce qu’il a fait ensuite pour Oradour, c’est important que cela soit quelqu’un de sa famille qui le transmette ensuite, il y a une charge émotionnelle et un lien très particulier entre nous, on est très attachés l’un à l’autre et on partage ce projet, ce combat.
Robert, la guerre qui sévit en Ukraine en ce moment ravive-t-elle des mauvais souvenirs chez vous ?
Robert Hébras : Oui, beaucoup de choses me ramènent à des mauvais souvenirs d’Oradour. Il n’y a pas de mots assez forts pour définir l’horreur de la guerre en Ukraine. Le Bataclan, en 2015, cela m’a énormément frappé aussi. Pour moi, c’était vraiment la copie conforme d’Oradour : des individus qui rentrent et qui tirent dans la foule. Et maintenant, la guerre… J’espère que cela n’ira pas plus loin, et que mes enfants, mes petits-enfants et mes arrières petits enfants ne subiront pas plus d’atrocités.
C’est aussi pour cela qu’il est important d’en parler.
Agathe Hébras : Cela fait 78 ans que l’on explique ce qu’est Oradour-sur-Glane, mais malgré tout il y a des choses qui se répètent, des évènements similaires. Il faut, par le biais de l’histoire de ce village martyr, faire passer des messages qui peuvent nous permettre de réfléchir sur les drames plus récents de notre société contemporaine.
Le dernier témoin d'Oradour-sur-Glane, Mélissa Boufigi avec Robert et Agathe Hébras, 18€, éditions HarperCollins