La soumission chimique, quand la drogue devient l’arme secrète des agresseurs © Coust Laurent/ABACAabacapress
À quelques heures du verdict du procès hors normes des viols de Mazan, le pharmacien Zack Frasni nous éclaire sur ce phénomène encore trop peu connu qu'est la soumission chimique. Éléments de réponse.
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Comment douter de l’homme qu’on aime, du père de ses enfants jusqu’alors exemplaire ? Pendant près de dix ans, Gisèle Pelicot a été droguée par son mari Dominique qui lui administrait un mélange d'anxiolytiques et de somnifères à son insu, afin de la violer et de la livrer sexuellement à des dizaines d’inconnus recrutés sur le web. Le verdict est attendu ce jeudi 19 décembre, plus de trois mois et demi après le début de ce procès qui jette une lumière crue sur le phénomène de la soumission chimique dans la sphère privée

“La soumission chimique est le fait d’administrer une substance psychoactive à une personne à son insu. Cette substance va agir directement sur le cerveau en altérant l’état de conscience de la victime à des fins délictuelles, une agression sexuelle ou une escroquerie par exemple”, nous explique Zack Frasni, pharmacien parisien de 27 ans. 

Une altération de la mémoire à court terme 

Le plus souvent, les agresseurs utilisent des substances inodores, incolores et solubles dans l'eau. C’est le cas des benzodiazépines, une classe de médicaments psychotropes couramment prescrits par les médecins pour leurs effets calmants et tranquillisants. “Les benzodiazépines sont couramment utilisés pour leurs effets sédatifs, anxiolytiques, décontractants, anticonvulsivants et amnésiants. Le médecin ne peut pas les prescrire plus de trois mois car il y a un risque d’amnésie antérograde, c'est-à-dire d'altération de la mémoire à court terme”, poursuit le spécialiste. 

Les substances peuvent être amnésiantes 

Les drogues gagnent également du terrain ces dernières années. “Au-delà du Rohypnol, qui n’est plus commercialisé en France depuis une dizaine d’années, on note l’utilisation de drogues comme le GHB (acide gamma-hydroxybutyrique) normalement prescrit pour traiter les personnes qui sont narcoleptiques ou la kétamine, très rarement prescrite. Il y aussi l'alcool. C’est d’ailleurs l'une des principales substances utilisées pour ses effets anesthésiants”, précise-t-il. 

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Parmi les substances que Dominique Pelicot diluait dans les boissons de sa femme, on retrouve du Temesta, un anxiolytique couramment délivré et parfois prescrit pour son effet sédatif. Mais administré à forte dose à une personne qui n’a pas l’habitude d’en prendre, il “altère la conscience”, ce qui explique les troubles répétés de Gisèle Pelicot comme ses pertes de mémoire. 

Les victimes ne sont pas forcément endormies 

Au-delà de l’effet sédatif, certaines substances comme les drogues et l’alcool vont désinhiber les victimes, sans forcément les endormir. C’est le cas notamment du GHB, surnommé “drogue du violeur”, qui a fait l’objet d’un plan national de lutte initié par le gouvernement en 2022 après que plusieurs victimes aient été droguées en boîte de nuit.

“J’ai bu la moitié de mon verre et 15-20 minutes après j’ai commencé à ressentir un pic d’euphorie puis des grosses bouffées de chaleur jusqu’à ne plus pouvoir respirer. J’ai couru aux toilettes pour vomir”, nous explique Sarah (le prénom a été modifié). Dans la nuit du 30 au 31 octobre 2021, la jeune femme d’une vingtaine d’années profite d’une soirée entre amies dans un bar parisien situé à Pigalle lorsqu'elle commence à perdre le contrôle d'elle-même. “Après être revenue auprès de mes amies, j’ai commencé à enchaîner les malaises, ne plus pouvoir tenir sur mes jambes et me sentir extrêmement faible”, poursuit-elle. 

Face à l’indifférence des agents de sécurité de l’établissement, son amie contacte les pompiers. “J’ai été prise en charge et hospitalisée tout le reste de la nuit afin de passer plusieurs tests”. Les médecins ont rapidement conclu à une intoxication au GHB. Mais il faut agir vite car une fois ingérée, cette drogue disparaît rapidement de l’organisme, la rendant très compliquée à déceler. 

Des troubles évocateurs

Gisèle Pelicot n'a jamais soupçonné une soumission chimique, pas plus que son entourage ou les spécialistes qu'elle consultait. Mais pour la déceler, il faut déjà savoir qu’elle existe. “On ne trouve que ce qu’on cherche. Pour conclure à une intoxication, il faut réaliser des analyses toxicologiques. Et le plus souvent, ce sont des drogues dont le temps de demi-vie est très court dans le sang. Le lendemain, il n'y a quasiment plus rien”, explique Zack Frasni. 

Alors quels signes permettent de la détecter ? “Il n’y a pas forcément de symptômes spécifiques mais des troubles évocateurs. En cas de sous-dosage, c'est comme une grosse gueule de bois : nausée, vomissements, somnolence, fatigue, problèmes de concentration, troubles du sommeil, anxiété”. Ces effets disparaissent rapidement sans laisser de séquelles. “Ce qui est embêtant, c'est la prise sur le long terme de ces médicaments. En plus des risques d'accoutumance, ils affectent fortement le système nerveux et favorisent le risque de développer la maladie d'Alzheimer”, précise le spécialiste. 

Les femmes sont majoritairement victimes 

Selon une enquête menée par le centre d'addictovigilance de Paris (AP-HP), on relève une augmentation de plus de 69 % des signalements suspects en 2022 soit 1 229 personnes qui pensent avoir été droguées à leur insu. Et les femmes sont victimes dans 82% des cas. 

La plupart du temps les victimes ne déposent pas plainte. Sarah, elle, s’est rendue au commissariat. “Je suis allée porter plainte le lendemain au commissariat. Quelques mois plus tard, ils m'ont appelée pour me faire passer un test capillaire dans un centre spécialisé. Un an après, j’ai reçue un nouveau coup de téléphone pour me dire que la plainte avait été classée sans suite parce qu’ils n’avaient pas assez d’éléments”, nous confie-t-elle. 

Si le fait d’avoir été suivie par une psychologue l’a beaucoup aidée, la jeune femme est restée plus d’un an sans consommer d’alcool après les faits. “Ça m’a créé pas mal d’angoisses, de crises d’angoisses. Je me sentais en insécurité permanente, surtout de me retrouver au milieu de beaucoup de monde que je ne connaissais pas”, explique-t-elle avant de conclure “J’ai toujours pensé que ça n’arrivait qu’aux autres mais malgré ma vigilance c’est tombé sur moi”. 

Après avoir découvert les atrocités que faisaient subir son “géniteur” à sa mère, Caroline Darian, la fille du couple Pelicot, a fondé l’association  "M'endors pas" pour venir en aide aux victimes de soumission chimique. Un combat dont Gisèle Pelicot est devenue la figure après avoir demandé la levée totale du huis clos du procès. “Ce n'est pas pour moi que je témoigne, mais pour toutes ces femmes qui subissent la soumission chimique" avait-elle annoncé à la barre le 5 septembre dernier. Car aujourd’hui plus que jamais, la lutte contre ce fléau doit être collective et dépasser les frontières de la France.

Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919. Numéro gratuit et anonyme, accessible 24/24 et 7/7. En cas de danger immédiat, contactez le 17.