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Expertise psychiatrique : à quoi sert-elle ?
"Ce que je voulais, c’est qu’elle se taise", aurait froidement avoué Jonathann Daval, qui sera jugé en 2020 pour le meurtre de son épouse, Alexia. Plus d’un an après la première expertise psychologique, il a récemment fait l’objet d’une seconde analyse, psychiatrique cette fois. Résultat ? Pour le premier spécialiste, rappelle L’Est Républicain, l’informaticien est "dangereux sur le plan criminologique". Il n’évoque cependant aucune maladie mentale. Des conclusions d’ailleurs partiellement rejetées par l’avocat du mis en examen, pour qui la criminologie serait "une science molle".
Pourtant, le deuxième expert semble aller dans le sens du premier. Ce nouvel examen clinique souligne en effet une personnalité "de type obsessionnel", ainsi qu’une "pathologie de personnalité", sans pour autant mettre en avant de trouble psychique ou neuropsychique susceptible d'altérer son discernement, le soir des faits, rapporte Le Point (article abonné). Parce qu’aucune "dangerosité psychiatrique" n’a été décelée, la responsabilité pénale de l’accusé peut donc être engagée.
Jonathann Daval n’est évidemment pas le seul à avoir été soumis à une batterie d’examen de ce genre. C’est également le cas de Nordahl Lelandais, chez qui l’experte avait décelé une "insensibilité morale et une imperméabilité au sentiment de culpabilité", mais aussi une "mythomanie constante" ainsi qu’une capacité à "manipuler", précise L’Express (article abonné).
Mais à quoi servent, concrètement, ces expertises menées sur différents sujets soupçonnés des pires méfaits ? D’après le site spécialisé en droit Ooreka, l’analyse psychiatrique judiciaire vise avant tout à identifier la responsabilité d’un ou d’une accusé(e). "La question est de savoir si la personne expertisée est malade mentale et donc irresponsable de ses actes", écrit le site. Elle permet aussi d’identifier le degré de dangerosité, c’est-à-dire le risque de récidive.
Expertise psychiatrique : comment procèdent les psychiatres ?
"Quand il s’agit d’analyser un sujet, nous pouvons les rencontrer autant de fois que nous le souhaitons. La durée des entretiens, elle aussi, peut s’avérer variable. Certains durent une heure, d’autres trois…", explique Alexandre Baratta pour Planet. Psychiatre et praticien hospitalier, il est expert auprès de la Cour d’appel de Metz. "Ces entretiens permettent de dresser une espèce de CV du sujet, de refaire son parcours personnel et de reprendre les éléments marquants de sa vie. C’est pour cela que l’expert psychiatre questionne le sujet. Cependant, pour l’essentiel, cet exercice repose sur l’écoute. Les réponses que formulera l’individu sont importantes, mais pas autant que la façon dont elles seront avancées", poursuit le praticien.
L’écoute du sujet s’accompagne aussi, explique-t-il, d’une mise en perspective avec les éléments objectifs du dossier. "C’est pour cela qu’il arrive que des expertises concluent à la non-dangerosité d’une personne avant d’être ensuite contredites par d’autres examens cliniques : afin de nous prononcer, nous cherchons des facteurs de risques objectifs. Un sujet qui est inséré, n’a jamais été violent par le passé, n’est pas réputé pour sa consommation de drogues et qui travaille n’en présente pas. En première expertise, il est donc difficile de conclure qu’il est dangereux sur le plan criminel, s’il n’a pas de casier judiciaire connu, par exemple", précise-t-il encore. Et lui d’ajouter : "en matière d’expertises psychiatriques et/ou psychologiques, les divergences sont courantes".
Le spécialiste, qui cite le cas Pierre Bodein, ne manque d’ailleurs pas d’exemples. "Lors du jugement de Pierre Bodein, un tueur en série français surnommé Pierrot Le Fou, plusieurs experts ont fait part de leurs désaccords durant l’audience. Bodein a été envoyé en hôpital psychiatrique, mais on a découvert plus tard qu’il simulait la folie", rappelle-t-il. C’est que l’exercice n’est pas sans limites...
Les failles de l’expertise psychiatrique
Le cas de Pierre Bodein l’illustre bien, les experts psychiatres sont susceptibles de se tromper. "Ce n’est pas une science exacte, il peut nous arriver de faire des erreurs", reconnaît d’ailleurs Alexandre Baratta.
Pour autant, la première des faiblesses de l’expertise psychiatrique ne trouve peut-être pas sa racine chez les praticiens. "En termes d’analyse, nous sommes évidemment limités aux dires du sujet. Plus il parle, plus il nous sera possible de le cerner", résume le docteur.
La parole du sujet n’est pas toujours fiable. Certains n’hésitent en effet pas à simuler. Cela peut même, parfois, s’avérer dans leur intérêt, explique l’expert auprès de la Cour d’appel de Metz.
"Dans le cas de Jonathann Daval ou de Nordahl Lelandais, il est tout à fait envisageable qu’il y ait eu simulation. Parce qu’ils n’ont pas été condamnés et compte tenu des enjeux, ils ont tout intérêt à brouiller les pistes. Par ailleurs, ils ont tous les deux menti ou simulé pendant l’enquête", note encore le spécialiste.
Est-ce à dire que ce type d’examen reste peu utile lors d’un procès ? Pas nécessairement. "Ils nous éclairent sur les pratiques psycho-pathologiques du sujet et permettent potentiellement d’identifier les raisons d’un passage à l’acte", estime le psychiatre.
Reste une question : qui sont ces experts qui, lors d’un procès, sont habilités à résumer un individu qu’ils auront préalablement examiné ? Quel profil se cache derrière les hommes et les femmes qui questionnent les suspects ? Il s’agit toujours d’un médecin "inscrit au tableau de l’Ordre et soumis au Code de déontologie médicale", rappelle Ooreka. "Il est soit psychologue, soit psychiatre et doit s’inscrire sur une liste de Cour d’appel. À partir de là, le médecin est susceptible d’être saisi par la justice", détaille Alexandre Baratta, qui rappelle tout de même qu’il existe une formation (optionnelle) en criminologie pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir leur maîtrise en la matière.