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- 1 - Planet : Dans votre ouvrage Le fabuleux destin des baby-boomers, vous dressez le portrait de cette génération, scindée selon vous entre les "oiseaux du matin" et ceux de "midi". Qui sont ils ?
- 2 - D’aucuns accusent parfois les baby-boomers d’avoir eu la vie plus facile que les autres. Que leur répondez-vous ?
- 3 - Que pensez-vous de l’expression "Ok boomer", populaire sur les réseaux sociaux ? Illustre-t-elle une certaine défiance à l’égard de votre génération ?
- 4 - Certains de ces griefs ne sont-ils pas compréhensibles ?
- 5 - Vous évoquez aussi le rôle des boomers dans les transformations sociales en France. Quel pourrait-il être à l’avenir ?
- 6 - De quel héritage les boomers ont-ils bénéficié ? Par comparaison, quel sera celui qu’ils vont laisser ?
Planet : Dans votre ouvrage Le fabuleux destin des baby-boomers, vous dressez le portrait de cette génération, scindée selon vous entre les "oiseaux du matin" et ceux de "midi". Qui sont ils ?
Michèle Delaunay : Très simplement, il faut comprendre que la génération des boomers a évolué. Les "oiseaux du matin", dont je fais partie d’ailleurs, constituent la première vague de baby-boomers. Ils ont été encore marqués par leurs parents, leurs familles, leurs connaissances politiques tout simplement, mais aussi par les guerres. De ce fait, ils ont une vision particulière du monde.
Par ailleurs, et je crois que cela fait partie des différences à noter entre les oiseaux du matin et ceux de midi, ce sont eux les premiers - et surtout les premières - à avoir conquis l’accès à l’école secondaire, ainsi qu’à l’université. Contrairement à ce qu’on entend souvent, cette première vague a vécu dans une assez grande sobriété. Ils ne connaissaient pas encore, du moins dans leur toute jeunesse, la publicité ou les achats excessifs par exemple. En tant qu’étudiants, ils ont vécu dans des conditions assez spartiates qui sont, et tout le monde en est d’accord aujourd’hui, très largement globalement inférieures à celles de la plupart des étudiants actuellement.
Ce ne sont pas, dans la première partie de leur vie au moins, ces hyper-consuméristes que l’on a décrit ensuite.
La seconde vague, les oiseaux de midi, se réveille à la consommation en même temps que la publicité — qui a eu un effet très nocif sur ce consumérisme, je dois dire. Ils se sont aussi réveillés sur le progrès technologique. Contrairement à la première génération de boomers, où ce sont les parents qui ont progressivement introduit le réfrigérateur ou le poste de télévision, ils obtiennent pour eux même des avancées technologiques telles que le tourne-disque ou des appareils de radio pour ne citer que ceux-là.
Ce sont des consuméristes débutants, quoique fanatiques. Et comment ne le serait-on pas en face de progrès techniques tout à fait considérables ? Je dirais que ceux-là sont un peu comme les millenials d’aujourd’hui, qui changent de téléphone portable tous les quatre matins. Ceux-là aussi, parce qu’ils veulent écouter de la musique ou voire des spectacles s’ancrent davantage dans la consommation que leurs aînés.
La première vague, je le rappelle, était avant-tout composée de conquérants de la promotion scolaire, universitaire ensuite, mais aussi sociale pour finir. C’est particulièrement vrai dans le cas des femmes qui, jusque là, n’avaient pas - ou beaucoup moins - accès à l’ensemble des professions.
Pour autant, s’il existe effectivement un décalage entre ces deux générations, elles sont liées par l’événement aussi passager que fondamental que représente Mai 68. Toutes les deux ont contribué à un décorsetage majeur de la société. Elles ont nourri un appétit pour une plus grande liberté, sous toutes ses formes. Y compris, bien évidemment et en particulier pour les femmes, pour une certaine émancipation sexuelle.
C’est cette conquête de plus de liberté qui réunit ces deux vagues. C’est pourquoi il existe entre elles une union fondamentale.
D’aucuns accusent parfois les baby-boomers d’avoir eu la vie plus facile que les autres. Que leur répondez-vous ?
En effet, ils ont vécu une période bénie du fait des progrès technologiques. On oublie toujours de citer les progrès médicaux et en soin qui ont été exponentiels. Ils seront à l’origine de la longévité que nous allons, et je parle là de nous autres boomers, rencontrer.
Dans cette zone de progrès et d’appétit de vivre, nous avons connu un plein-emploi qui n’a rien à voir avec la situation actuelle. Cependant, il ne faut pas pour autant penser qu’il aurait suffit à l’époque de lever le petit doigt pour trouver du travail. Je me lève contre cette idée. N’oublions pas que le marché du travail était en train de se partager entre les hommes et les femmes. Dans les professions comme celle de médecin, dont je parle parce que cela fut la mienne, la rivalité dans les amphithéâtre et ensuite à l'hôpital - par exemple - constituait une nouveauté. Et pour cause ! Auparavant il n’y avait que des hommes. Il y avait donc nécessité d’un fort engagement dans le travail, qu’il ne faudrait pas nier aujourd’hui.
Autre aspect important à ne pas oublier : nous vivions dans une ère d’optimisme. Les guerres étaient terminées et il existait chez nous une vraie croyance dans le progrès. Par conséquent, nous étions beaucoup plus optimistes que ne peut l’être la génération d’aujourd’hui. Or, il s’agit là, je pense, d’un élément tout à fait déterminant. Non seulement nous avions plus de chance dans l’emploi mais en plus nous pensions que les choses pouvaient bouger. A l’époque, nous nous mobilisions pour différentes causes : la paix au Vietnam, la liberté sexuelle, davantage de facilités politiques par exemple.
Dorénavant, il me semble que les jeunes se mobilisent davantage contre. Le seul sujet à les mobiliser, c’est l’environnement. Mais malgré tout, même cette thématique est traitée sous un prisme plutôt négatif : on nous explique ce qu’il ne faut pas faire plutôt que le contraire. Je ne tiens pas à mettre nos deux générations en opposition, bien au contraire. Pour autant, il est certain que nous n’étions pas dans le même état d’esprit.
En outre, je pense qu’il est important de rappeler la dimension sociale que présentaient nos combats. Cet aspect-là, me semble-t-il, a disparu. Je n’entends pas un jeune se mobiliser pour défendre la cause des réfugiés, par exemple.
Que pensez-vous de l’expression "Ok boomer", populaire sur les réseaux sociaux ? Illustre-t-elle une certaine défiance à l’égard de votre génération ?
Je ne veux pas prendre cette expression trop au sérieux. C’est une mode que je trouve, au fond, plutôt drôle. Il est normal qu’une génération critique la précédente, voire s’en moque un peu. Il ne faut pas, à mon sens, comprendre "Ok boomer" comme une vraie guerre des inter-générationnelle.
Cette dernière n’existe d’ailleurs pas : aujourd’hui, la génération des boomers est bien davantage la génération pivot. Dans un pourcentage considérable, ils aident leurs vieux parents et font des transferts financiers - mais aussi en termes de temps accordé - tout à fait considérable vis à vis de leurs descendants. Mécaniquement, cela renvoie l’idée de conflit générationnel au plan théorique.
Certains de ces griefs ne sont-ils pas compréhensibles ?
A mon sens, c’est le combat environnemental mené par les jeunes qui motive le "Ok boomer". Ils nous reprochent, à raison, d’avoir trop roulé en voiture ou d’avoir pris l’avion trop volontiers. Nous sommes effectivement passés à côté de l’enjeu environnemental, en France comme ailleurs.
Et pourtant, dans l’Hexagone, un certain René Dumont briguait l’élection présidentielle en 1974. Il disait à l’époque des choses tout à fait avant-gardistes mais néanmoins très vraies. Il n’a réuni qu’un seul pour-cent des voix. Cependant, ce maigre résultat ne peut être imputé aux seuls boomers : en 74, il fallait atteindre 21 ans pour pouvoir voter. Très peux d’entre nous ont pu le faire cette année-là.
Cependant, comme nous avons pu le faire avec le climat, les millenials passent à côté d’un autre enjeu, cette fois-ci social. Il est pourtant en train de devenir tout à fait essentiel ! La population mondiale augmente de manière considérable. Or cette croissance se fait en premier lieu à partir des pays les moins riches. Elle entraîne donc une émigration inévitable. La question n’est pas de la refuser mais bien de l’organiser de façon optimale afin de ne pas engendrer de déséquilibre trop fort entre les différents pays qui l’accueillent. Malheureusement, nos jeunes ne réalisent pas la portée de cette situation.
Cela illustre bien, me semble-t-il, le fait que chaque génération a son flambeau. C’est pourquoi j’ai écrit mon livre. Je voulais montrer que nous avons pris en conscience, en vieillissant de l’enjeu environnemental. Il s’agit aussi de rappeler que nous avons vécu sans doute un peu moins caricaturalement que ce que peuvent en dire les millenials.
Je persiste cependant à croire qu’il est normal que les générations s’accrochent à quelque chose, en cherchant de trouver leur identité. Ce qui est important c’est donc que le "Ok boomer" demeure une interpellation non-aggressive.
Vous évoquez aussi le rôle des boomers dans les transformations sociales en France. Quel pourrait-il être à l’avenir ?
C’est tout l’objet de mon ouvrage. Les boomers doivent avoir certaines exigences : il faut faire tomber les barrières d’âge, ou au moins les perméabiliser largement. On ne peut pas concevoir que d’ici peu, un presque tiers de la population fort d’une expérience, d’un riche vécu politique, soit mis de côté. Particulièrement quand on sait le bon état sanitaire qui est celui de ces citoyennes et citoyens.
Les boomers doivent donc se manifester pour participer à ce nouveau monde qui se met en place. Nous en sommes partie prenante, et même l’une des plus essentielles.
L’élément le plus notable de cette transformation est sans aucun doute le changement climatique. Mais c’est aussi le changement démographique. Quand j’étais ministre, j’ai demandé en vain que mon ministère soit désigné comme celui de la Transition démographique et de la Longévité. Je voulais qu’il devienne un ministère transversal : je voulais pouvoir m’occuper, main dans la main avec le ministres compétent à ce sujet, de la question du logement, pour n’en citer qu’une. Si Emmanuel Macron voulait vraiment figurer le nouveau monde, il aurait du créer un ministère de ce genre.
C’est un point essentiel. Nous mettons ces questions de côté et nous avons tort. Les boomers doivent s’emparer de ce sujet.
Par ailleurs, ne pas accepter un prolongement de la durée d’activité engendrera des tensions. Un retour à la retraite à 60 ans pour tout le monde, sans retrait du système par répartition, signifierait que les actifs dont le salaire est faible continueront à payer la retraite des plus vieux pendant 30 ans. Ce n’est pas imaginable. C’est pourquoi nous avons besoin d’une prise de conscience très positive, et aussi très calme puisqu’il faut éviter la guerre sociale entre les générations, pour ramener ce sujet sur le devant de la scène.
De quel héritage les boomers ont-ils bénéficié ? Par comparaison, quel sera celui qu’ils vont laisser ?
L’immense chance dont ont bénéficié les boomers, c’est cette société de progrès (technique, médical, etc), qui s’est assortie d’une époque sans conflit. Cela représentait beaucoup pour les jeunes boomers que nous étions : nos parents et nos grands-parents avaient tous porté ou supporté la guerre avec beaucoup de deuils. Nos grands-frères avaient fait la guerre d’Algérie. Nous avons joui de cela et aussi d’optimisme. De la croyance que nous pouvions faire quelque chose. Que le Progrès, avec un P, était possible.
Nous devons, comme je le détaille sur un chapitre presque complet de mon livre, montrer la chance que représente la longévité. Nous avons gagné 20 ans d’espérance de vie, qui doivent être utilisés positivement. Il nous incombe donc de nous mêler de la marche de la société et abolir les barrières d’âge. Il faudra évincer cette discrimination par l’âge qui se fait dans tous les domaines, y compris à l’intérieur de nous. Nous arrivons toujours un peu coupable, face à des jeunes qui arrivent, eux, la fleur au fusil. Plus que jamais, je crois, les générations ont besoin les unes des autres.