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Elle a réussi l’exploit une seconde fois. La fille du Menhir, qui brigue l’Elysée pour la troisième fois en 2022, a réussi à se hisser jusqu’au second tour de l’élection présidentielle. Le dimanche 24 avril 2022, elle affrontera donc de nouveau Emmanuel Macron dans les urnes ; après avoir rassemblé plus de huit millions de voix et 23,1% des suffrages exprimés le 10 avril dernier. Un score honorable, pourraient vanter les les soutiens de Marine Le Pen, qui illustre de fait la progression des idées d’extrême droite dans l’électorat français. D’autant plus que ce dernier ne manquait pas de choix : Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan s’étaient tous deux présentés à cette élection.
Marine Le Pen, que nombre de ses électeurs appellent simplement “Marine”, bénéficie donc pour la première fois d’une véritable réserve de voix. De quoi changer le déroulé du scénario attendu ? Peut-être. Son image, il faut bien le reconnaître, n’est plus la même que celle qu’elle a pu être par le passé. La candidate d’extrême droite ne fait plus aussi peur… Et c’est potentiellement parce que d’aucuns s’évertuent à l’appeler par son seul prénom.
Marine Le Pen : quel est le problème avec le fait de l’appeler par son prénom ?
“Appeler Marine Le Pen par son seul prénom n’est pas anodin. Cela fait partie de la stratégie de dédiabolisation qu’elle a mise en place depuis des années”, observe d’entrée de jeu Christophe Bouillaud, politologue et enseignant-chercheur à l’Institut d’études politiques (IEP, Sciences-Po) de Grenoble. “L’usage, sans doute, s’est d’abord propagé à l’intérieur du parti. Puis, il a infusé dans la sphère publique. C’est important de le noter, parce qu ’il contribue de fait à masquer l’affiliation directe avec Jean-Marie Le Pen, dont la figure demeure très associée à l’extrême droite française”, note encore le spécialiste.
Selon l’enseignant, il s’agit ici de “dédiaboliser par effet de familiarité”. “Cela revient à faire de Marine Le Pen une personne ordinaire, que l’on pourrait personnellement connaître et appeler par son prénom, comme un proche”. A ses yeux, il n’est désormais plus possible de faire reculer le phénomène. “L’usage est désormais trop répandu pour qu’on en change”, juge-t-il. D’autant plus que l’opération demeure, au globale, relativement efficace…
“Si l’absence de nom de famille revient à masquer l’ascendance de Marine Le Pen, c’est aussi une dimension implicitement soulignée : il n’est pas besoin de préciser son nom de famille car tout le monde sait de qui il est question, de la même façon que nul n’évoque Elisabeth Windsor pour parler de la Reine d’Angleterre. C’est donc aussi un signe de qualité et d’héritage”, estime encore le chercheur, pour qui une telle situation n’est possible que si le prénom demeure suffisamment différenciant à l’origine.
Pour autant, c’est loin d’être le seul problème à pointer du doigt, en l'occurrence.
Appeler Marine Le Pen par son seul prénom : une pratique sexiste ?
Marine, Ségolène… En politique, seules les femmes sont appelées par leur seul prénom. Ce n’est d’ailleurs pas le cas de toute - Martine Aubry n’a jamais été appelée “Martine”, par exemple - mais ce n’est pas un phénomène qui touche leurs homologues masculins. Dès lors, faut-il y lire un certain sexisme ? Oui, affirme Christophe Bouillaud.
“Au sein d’un parti, il n’est pas très étonnant d’appeler une figure marquante par son seul prénom. C’est une pratique courante, qui a pu concerner un genre aussi bien qu’un autre. Dans l’espace public, en revanche, cela change du tout. La pratique prend en effet une tournure très sexiste. Force est de constater, d’ailleurs, qu’elle est réservée aux candidates qui ne sont pas prise au sérieux et dont le nom est assez peu commun pour ne pas avoir besoin de s'embarrasser de plus. Cela résonne bien souvent avec un procès insinué en féminité et donc en incompétence”, analyse l’expert, qui reproche tout de même à Marine Le Pen d’en avoir joué.
“Marine Le Pen a volontairement instrumentalisé l’emploi de son prénom dans sa communication politique. C’était pour elle une occasion de se présenter de façon un peu populiste comme proche du peuple dont elle essaye de glaner les voix”, juge-t-il. Hélas pour elle, c’est là une épée est à double-tranchant.
Marine Le Pen a-t-elle tort de se faire appeler “Marine” ?
Bien sûr, se faire appeler “Marine” a permis à la fille du Menhir de se détacher - pour partie, au moins - de l’image de son père. Seulement, cela ne saurait effacer toute l’histoire familiale du Front national, devenu ensuite Rassemblement national. “Le parti dont Marine Le Pen est à la tête a été créé puis dominé tout le long de son histoire par son père. Quand il a finalement laissé la main à sa fille, c’est elle qui l’a transformé. Cette situation - celle de l’extrême droite française - est donc intrinsèquement très liée à celle de la famille Le Pen. C’est le récit d’une dynastie… Ce qui prête mécaniquement le dos à quelques critiques acerbes”, observe encore Christophe Bouillaud, non sans rappeler le peu d’exemple d’un tel fonctionnement politique qu’il peut exister dans le monde contemporain. “En Inde, on a connu la dynastie Nehru. Aux Etats-Unis, il y a eu les Kennedy et les Bush…”, cite-t-il en effet.
“Le problème d’une telle situation, qui permet évidemment d’apparaître moins radicale que son père, c’est qu’elle vient questionner la légitimité dynastique et partisane de Marine Le Pen à occuper son poste. Aurait-elle vraiment pu se hisser là où elle en est aujourd’hui sans venir de là d’où elle vient ? A-t-elle les compétences pour y parvenir ?”, souligne l’expert. Autant de questions qu’il n’est pas aisé d’éviter… Et dont les opposants à la candidate d’extrême droite n’ont de cesse de se saisir.
“Appeler Marine Le Pen par son seul prénom c’est, pour ses adversaires politiques, la dévaloriser à peu de frais. Justement en mobilisant assez aisément cet imaginaire”, soulève l’enseignant-chercheur.