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Alexandre Delaigue est professeur agrégé d'économie-gestion à l’Université de Lille 1. Il a aussi enseigné à l'académie militaire de Saint-Cyr Coetquidan et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Sexe, drogue... et économie: Pas de sujet tabou pour les économistes (2013).
Planet : La campagne électorale, qui touche à sa fin, aura fait l'objet de nombreuses discussions relatives aux droits de succession. D'aucuns, parmi certains groupes militants à gauche par exemple, peuvent aujourd'hui défendre la nécessité de supprimer l'héritage. Qui sont-ils ? Ce courant de pensée est-il prégnant politiquement ou économiquement ?
Alexandre Delaigue : Exiger la suppression complète de toute notion d’héritage, c’est tenir un discours politiquement et intellectuellement très extrême. Bien sûr, il existe des courants particulièrement hostiles à l’héritage, notamment à gauche. Pour autant, il s’avère très rare de préconiser sa suppression totale. Celle-ci, il faut bien le reconnaître, serait très complexe à mettre en œuvre. Interdire complètement la notion d’héritage, c’est aussi interdire la transmission et donc interdire les dons. Pour prendre un exemple très concret, cela signifie qu’il ne serait plus possible pour une grand-mère de donner de l’argent à ses petits-enfants à l’occasion de leur anniversaire, si l’on pousse la logique jusqu’au bout.
C’est pourquoi l’essentiel des groupes qui militent contre l’héritage envisagent des solutions moins radicales. La plupart du temps, il s’agit surtout de créer des seuils à partir desquels la transmission est imposée à 100%, comme peut le prôner Jean-Luc Mélenchon au-dessus de 12 millions d’euros. Souvent, il est également fait une distinction entre la nature des patrimoines légués. Transmettre la résidence principale de la famille, ce n'est pas la même chose que de transmettre un patrimoine financier.
"Évoquer la suppression de l’héritage pour ouvrir la fenêtre d’Overton”
Ceci étant dit, parler de suppression pure et dure de la succession présente un intérêt : cela ouvre la fenêtre d’Overton. La question de la fiscalité sur l’héritage est un sujet qu’il est particulièrement difficile d’aborder en France, parce qu’il est très sensible. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, une majorité de candidats prônant la méritocratie proposent pourtant d’augmenter les exemptions d’impôts et de réduire la fiscalité sur la transmission. Et ce alors même qu’une récente note du Conseil d’analyse économique proposait une ambitieuse réforme de l’impôt sur l’héritage… La thématique a, de fait, du mal à rentrer dans la conversation. De tels discours pourraient faciliter la tâche.
Anti-héritage : quels sont les arguments à retenir ?
Planet : Comment comprendre les principaux arguments des anti-héritages ? Peut-on y trouver une certaine cohérence ou solidité idéologique ?
Alexandre Delaigue : Il y a, à mon sens, deux types de positions particulièrement hostiles à l'héritage. D’une part, on retrouve la ligne de gauche qui se base essentiellement sur des arguments égalitaristes. La lutte contre la succession est alors motivée par la nécessité de réduire les inégalités de patrimoine et d’éviter qu’elles ne perdurent dans le temps. Des économistes comme Thomas Piketty proposent d’ailleurs divers dispositifs visant à taxer très fortement la succession pour ensuite fournir à l’ensemble des jeunes un capital de départ. Thomas Piketty évoquait, par exemple, un montant de 100 000 euros.
Du côté des libéraux - ou d’une partie d’entre eux, à tout le moins -, l’héritage peut également être perçu comme problématique. Quiconque prône un système méritocratique devrait normalement avoir beaucoup de mal avec l’héritage : celui est composé de revenus non-gagnés. D’une façon générale, l’essentiel des arguments en faveur d’un tel dispositif chez les libéraux portent sur la question pratique ou la thématique morale (la jouissance de propriété ne devrait pas être malmenée, par exemple).
“Utiliser l’héritage pour résoudre le problème de la dette publique”
Planet : Selon vous, faut-il supprimer l'héritage ?
Alexandre Delaigue : Encore une fois, supprimer purement et simplement l’héritage apparaît irréalisable. En revanche, il existe de bonnes raisons de réformer le système français et il ne serait pas nécessairement une mauvaise piste de se référer aux idées du Conseil d’analyse économique. Ses recommandations sont évidemment discutables et peuvent être débattues, mais elles mettent en exergue le mauvais fonctionnement de la fiscalité des successions. Les taux d’impositions sont très complexes, il existe énormément d’exemptions et, d’une façon générale, le système apparaît difficile à comprendre en plus de ne pas être très équitable. Il y a de quoi envisager de le transformer.
Il ne faut pas non plus perdre de vue, comme l’a expliqué Etienne Wasmer, que nous approchons mécaniquement d’un important mouvement dans la succession. La majorité des capitaux et des patrimoines sont aujourd’hui détenus par des contribuables assez âgés, qui devraient les transmettre d’ici à trente ans. Quand on sait que notre système n’est pas juste, ni efficace, il apparaît pertinent d’interroger maintenant ce qu’il est possible de faire pour mettre une meilleure répartition de ces richesses, qu’il serait possible de taxer différemment, et de l’utilisation des sommes récupérées pour résoudre certains des problèmes économiques du pays. A commencer, par exemple, par la dette publique.