TEMOIGNAGE Qui a tué Paquita Parra ? Le combat de ses frères pour la vérité
Ils ont traversé plus de deux décennies dans l'attente de la vérité. En 1998, Paquita Parra, 30 ans, est retrouvée morte dans sa voiture carbonisée, en pleine forêt, près d'Angoulême. Depuis, sa famille se bat pour comprendre ce qui a pu lui arriver. Car l'enquête s'est longtemps enlisée, de fausses pistes en dysfonctionnements judiciaires. Récemment, une découverte inespérée a relancé les investigations. Et le dossier vient d'être transmis au pôle "cold cases" de Nanterre. Pour les cinq frères de Paquita, et pour leur mère âgée de 90 ans, il est plus que temps de savoir. Car dans ce « cold case », les mystères sont décidément nombreux. Salvador, le frère aîné de Paquita, nous raconte.
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Depuis plus de 23 ans, la famille de Paquita vit avec la rage au ventre, et de trop nombreuses questions.

Le 12 décembre 1998, aux alentours de 3 heures du matin, le corps calciné de Francesca Parra, 30 ans, est retrouvé, calciné dans sa voiture, dans une forêt près d’Angoulême. Qu’est-il arrivé à cette jeune et jolie jeune femme pleine de vie que tout le monde surnommait « Paquita » ? Cette question, ses proches, notamment sa maman Carmen et ses cinq frères, se la posent depuis maintenant 23 ans.

Car dès les premiers instants, l’enquête pour déterminer les causes de sa mort balbutie.

Au départ, les enquêteurs pensent à un suicide. Mais le jour de sa disparition, Paquita s'était présentée à la gendarmerie pour une affaire de chéquier volé. Elle semblait très inquiète, et avait même demandé son placement sur écoute.

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Son ex compagnon est alors suspecté de son meurtre, mis en examen et même placé en détention provisoire. Mais il sera finalement mis hors de cause 10 mois plus tard, et même dédommagé par la justice. Entre temps, plus de plusieurs centaines de pièces d'un dossier en comprenant plus de 3000 seront supprimées, sans que l’on ne sache trop comment ni pourquoi.

Affaire Paquita Parra : la double peine

Puis, de fausses pistes en mauvais suspects, l'enquête fini par s’enliser. Une ordonnance de non-lieu ferme même le dossier en 2012.

Pour la famille de Paquita, c’est la double peine.

Mais en 2018, un coup de théâtre inespéré vient relancer l’affaire. En septembre 2017, une lycéenne en sortie scolaire découvre des effets personnels de Paquita dans un bois ; un pull, des cartes de fidélité et un porte-chèques. Quelques mois plus tard, au gré d’une recherche sur internet, l’adolescente mesure la portée de sa trouvaille, et se rend à la gendarmerie. L’enquête a depuis été rouverte et de nouvelles analyses ont été ordonnées.

L’heure de vérité a-t-elle enfin sonné pour la famille de Paquita ?

Ses cinq frères se battent depuis de longues années pour que justice lui soit rendue. L’aîné de la fratrie, Salvador, a accepté de nous raconter leur difficile combat, et leurs espoirs.

Affaire Paquita Parra : « On n’a jamais cru au suicide »

Comment avez-vous appris ce qui était arrivé à Paquita en 1998 ?

Salvador Parra : Je travaille dans le nord, et à l’époque il n’y pas avait les téléphones portables comme aujourd’hui. A 8h30, ma femme appelle le bureau et me dit qu’il se passe quelque chose de très grave dans ma famille. Je descends immédiatement à Angoulême, je vois les gendarmes, il me faut peu de temps pour comprendre qu’il est arrivé quelque chose à ma sœur.

Au départ, on nous parle de suicide. Je n’y crois pas du tout. On connaissait Paquita, et puis une femme qui s’immole comme ça dans sa voiture, ce n’est pas commun. Je lui avais parlé 3 jours avant, elle était un peu inquiète car on n’était pas d’accord avec ses fréquentations, mais ça allait. Même si je sais qu'elle ne nous racontait pas tout, elle nous préservait.

Quel genre de jeune femme était Paquita ?

Salvador Parra : Une jeune femme très vivante, toujours avec le sourire, plein d’amis… On avait envie d’aller vers elle, elle attirait tout le monde. Elle était très belle, quand elle arrivait quelque part, on la remarquait. Dans notre famille de 6 enfants, c’était la seule fille, c’était notre poupée.

Elle avait un train de vie normal, elle travaillait, elle était autonome, elle avait réussi à s’acheter une petite maison. A 30 ans, elle commençait à se poser des questions, à vouloir fonder une famille, avoir des enfants. Elle n’était pas isolée. Elle aimait la fête mais elle ne se droguait pas, ne buvait pas, mais elle fréquentait des gens qui eux se droguaient, des gens pas clairs. Malgré ça, elle n’a jamais manqué son travail une seule fois.

Affaire Paquita Parra « Parfois, on se demande si on nous prend au sérieux »

Cela fait 23 ans que vous attendez des réponses… Avez-vous toujours espoir ?

Salvador Parra : L’espoir est de plus en plus fin mais il est toujours là, sinon j’arrête tout. Une juge d’instruction, la 6ème ou 7ème, a repris l’affaire il y a plus d’un an, l’instruction a repris.

On attend. L’année dernière, il y a même eu des gardes à vue, des nouvelles pistes. Mais tout n’a pas été exploité. Notre inquiétude c’est que ça avance, au bout de 23 ans après moultes péripéties dans le dossier… Notre affaire fait partie des cold cases, mais il faut qu’on épuise tout ce qui est possible de faire. Parfois, on se demande si on nous prend au sérieux.

Comment expliquer que l’enquête ait connu dans un premier temps autant d’échecs ?

Salvador Parra : Des tas de choses n’ont pas été exploitées dès le départ.

La première juge a instruit à charge sur le premier suspect, un ex-ami de Paquita qui l’avait battue, menacée de mort. Même si on se focalisait peut-être sur lui, nous sa famille, ce n’est pas une raison pour que la justice fasse pareil.

Le deuxième juge, a laissé le dossier dormir. Toutes les autres pistes ont été négligées.

20 ans après, le travail est énorme. Tout ce qui n’a pas été fait à l’époque, on doit désormais le faire aujourd’hui. On a l’impression qu’on ne nous a pas suivi.

Une dizaine d’années après le drame, on a commencé à vouloir médiatiser l’affaire pour que les choses bougent. Il faut des éléments nouveaux pour que le dossier reste ouvert, donc on s’est battus.

Affaire Paquita Parra : « Un scénario digne d’un feuilleton »

La découverte des effets de Paquita dans une forêt en 2018 vous redonne-t-elle de l’espoir ?

Salvador Parra : On ne sait pas qui a déposé ces effets, des années plus tard certainement. Mais on se dit à l’époque que c’est l’élément qu’on attend. C’est un scénario digne d’un feuilleton. Le juge a donc repris l’affaire en main, et c’est reparti sérieusement.

On est tombés sur une équipe d’enquêteurs compétents qui travaillent et qui veulent aller jusqu’au bout de l’affaire.

Mais on ne sait jamais. Il ne faut oublier qu’il y a une victime il y a 23 ans qui a été assassinée dans des conditions atroces. Depuis toutes ses années, on paie les dysfonctionnements de la justice. Ma mère est toujours vivante, elle a 90 ans, elle va peut-être disparaitre et elle ne saura jamais ce qui s’est passé. Moi, j’ai 64 ans je suis à la retraite, je ne vais pas lâcher.

Depuis cette découverte, que s’est-il passé ?

Salvador Parra : Il y a beaucoup de choses en cours. On a retrouvé de l’ADN sur les effets, mais on ne sait rien. Des pistes sont investiguées, il y a eu des mises en garde à vue en juin dernier mais on ne sait pas ce qui se passe.

Ce sont des gens qui étaient dans l’entourage de ma sœur à l’époque. On s’était concentrés sur une personne, alors que Paquita connaissait pas mal de gens…

Tous les noms sont dans le dossier, mais les juges n’ont pas exploité cela. Il y a une liste de noms, ils ont été interrogés, mais quand je relis les PV je me dis : il y a des choses bizarres, il faudrait creuser. Sauf qu’au bout de 20 ans, certaines de ces personnes ont disparu, sont décédés.

Dans le cadre de ces nouvelles investigations, le corps de Paquita a été exhumé… Pourquoi ?

Salvador Parra : On s’est aperçu tout simplement qu’en 1997, il n’y avait pas eu d’autopsie totale.

Au départ, le corps est retrouvé carbonisé, on l’a vu de nos propres yeux à la morgue… C’était difficile au début, mais on se détache, sinon on n’avance pas.

A l’époque, on est persuadés que tout est fait, mais on s’est aperçus après qu’il n’y avait pas eu d’autopsie totale. Les légistes ont seulement fait des constatations permettant d’affirmer que Paquita était morte avant d’être brulée.

Mais au bout de 20 ans, ils ont exhumé le corps, qui est parti à l'Institut Médico-Légal de Paris pendant quelques mois, et n’ont pas retrouvé grand-chose. Au moins, c’est un acte que nous pouvons désormais écarter de la liste des choses à faire.

Affaire Paquita Parra : « L’auteur était quelqu’un qu’elle connaissait »

Comment votre famille a-t-elle essayé de se reconstruire depuis toutes ses années ?

Salvador Parra : Le deuil est très compliqué. Le plus dur, c’est pour notre maman. Elle s’est retrouvée après le décès de mon père à 62 ans, avec Paquita et notre jeune frère à la maison.

Elle a vécu 10 années très difficiles, elle a tenu le coup et on a toujours été là, on s’occupe d’elle.Mais perdre une fille dans des conditions comme ça, on ne peut pas s’en sortir. La vie continue, elle a des enfants, des petits enfants. Mais quoi qu’il arrive, ça ne sera plus jamais pareil pour notre famille.

Entre les frères, chacun a son idée mais il y a un gros sentiment de culpabilité. On n’était pas là, on est passé à côté de ce qui se passait. Je ne sais pas pourquoi… Elle avait peur de se confier à ses frères, je pense.

Vous avez une conviction intime sur ce qui lui est arrivé ?

Salvador Parra : Je pense que c’est des gens qui étaient dans le milieu, qui connaissaient Paquita. Elle avait un caractère fort, mais elle ne se serait pas aventurée toute seule dans un bois. Elle est partie en confiance : l’auteur était quelqu’un qu’elle connaissait.

Elle ne nous parlait pas de ça, elle savait qu’on n’appréciait pas son ex, un artiste prétentieux, un peu bohème, d’un autre milieu que nous. Elle était toujours attirée par des gens un peu en marge.

Après on ne condamnait pas toujours ce qu’elle faisait. Mais on savait qu’il était violent, mes frères étaient intervenus plusieurs fois, il prenait de l’alcool de la drogue, il la frappait.

Début 1998 elle nous annone la séparation, elle se remet avec quelqu’un d’autre mais on s’aperçoit qu’elle continue à le voir. De mon côté je suis persuadé qu’elle restait attachée à ce personnage. C’est pour ça que c’est le premier suspect, il disait que c’était sa muse, sa chose. C’est le coupable idéal, mais on ne sait pas. Il a été blanchi au profit d’une erreur de procédure. Il n’y avait pas que lui de toute manière, il existe d’autres pistes autour de Paquita.

Affaire Paquita Parra : « Des gens savent »

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que depuis toutes ses années, le coupable est en liberté ?

Salvador Parra : Ce qui est terrible c’est qu’il y a un assassin ou deux qui se balade dans la région, et on est persuadés que des gens savent, mais personne n’en parle. Il y a peut-être des amis de Paquita qui sont toujours sous la menace, ils ont peur et se disent : je ne veux pas finir comme Paquita. Son ex avait essayé de dire des choses à l’époque, mais on sentait qu’il ne pouvait pas parler, il craignait quelque chose, on peut comprendre qu’il ait eu peur.

C’est insupportable, c’est un sentiment de frustration, d’impuissance. On se dit qu’on ne va jamais y arriver, on remet tout en cause. On ne peut pas être objectif face au système judicaire, on se demande vraiment pourquoi ils n’y arrivent pas…

Et puis, on se rend bien compte qu’on n’est pas les seuls, dans des tas d’affaires, si la partie civile ne se défend pas, ne se bouge pas, rien n’est fait. C’est à la famille de trouver les éléments, on a l’impression d’avoir affaire à un appareil judiciaire énorme qui n’avance pas. On a l’impression que c’est l’église, on n’en parle pas, les juges font des erreurs, et personne n’assume, on les mute et on n’en parle plus.

C’est difficile de faire confiance à la justice après 23 ans de déconvenues. On comprend qu’il y a des gens qui pètent les plombs, qui se fassent justice eux-mêmes.

J’ai découvert beaucoup de choses ces dernières années en plongeant dans les détails du dossier, on a pris conscience que ce n’était pas aussi simple que ça, de s’orienter vers un seul suspect. On s’en aperçoit quand on prend le dossier, mais ça la justice ne l’a pas vu. On va utiliser tous les recours possibles. Il faut qu’on s’occupe de l’affaire de ma sœur, et que la justice aille jusqu’au bout.

Que souhaitez-vous aujourd’hui ?

Salvador Parra : Nous voulons que la juge fasse son boulot. Après, c’est un dossier difficile. Mon seul espoir, c’est qu’elle aille jusqu’au bout. Ça devient urgent, on a pris tellement de retard.

Et puis, la juge, ce n’est pas la première, on commence à comprendre comment ça se passe : les magistrats restent à Angoulême deux ans trois ans et poursuivent leur carrière, ailleurs. On a peur qu’elle parte et laisse tout tomber.

Il y a aussi le pôle national des « cold cases » (ndlr : dont la mise en place avait été annoncée par le ministère de la Justice à Nanterre pour mars 2022). Je me suis renseigné pour savoir comment ça allait se passer, mais il y aura peu de juges dans ce pôle et de très nombreux dossiers.

D’un côté, on se dit c’est super, un juge va reprendre l’affaire et ça ne va pas changer tous les 3 ans. Mais en même temps, on ne sait pas quels moyens ils pourront vraiment mettre en œuvre, et on se dit qu’on est repartis pour dix ans.

En tout cas, si on voit que la juge d’Angoulême traîne, on ira à Nanterre.

Je veux aussi continuer à en parler aussi pour que ça puisse aider d’autres personnes. Des femmes se font tuer tous les jours. A l’époque, les féminicides n’étaient pas pris au sérieux.

Lorsque Paquita est passée à la gendarmerie pour une histoire de chèque volé, elle veut parler, c’est urgent, elle veut être mise sous écoute. C’était le jeudi soir et on lui dit : revenez samedi. Ce même soir-là , elle se fait assassiner. Il y a vraiment un loupé quelque part. Qu’est-ce qu’elle avait à dire ce jour-là ? On ne saura jamais…Il ne faut rien laisser passer dès le départ dans ces affaires.