L'affaire du pain maudit : des Français empoisonnés par la CIA ?AFP
En 1951, des centaines d'habitants de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, sont pris d'hallucinations après avoir mangé du pain dont la farine aurait été avariée. 58 ans plus tard, un journaliste américain révèle que la CIA l'aurait volontairement contaminé au LSD.

Quand un aliment du quotidien se transforme en poison. Les Français sont connus dans le monde entier pour leur amour du pain, qu’ils mangent à chaque repas et dont ils sont les plus fiers représentants. Imaginez donc l’horreur si ce dernier était responsable de sévères intoxications alimentaires dans le pays, allant parfois jusqu’à la mort. Un scénario catastrophe ? Non, un épisode, encore mystérieux aujourd’hui, qui s’est déroulé au début des années 1950.

Pain maudit : de l’intoxication aux hallucinations

C’est durant l’été 1951 qu’éclate l’affaire dite « du pain maudit » dans l’Hexagone, avec un épisode particulièrement inquiétant et meurtrier dans la ville de Pont-Saint-Esprit, dans le département du Gard. À partir du 16 août, de nombreux habitants se ruent chez les deux médecins de la ville pour des problèmes digestifs. Nausées, vomissements, bouffées de chaleur et frissons… Les symptômes d’une intoxication alimentaire ne font aucun doute. Pourtant, l’état des malades ne fait qu’empirer dans les jours qui suivent et tous connaissent des crises hallucinatoires impressionnantes voire dangereuses.

Très vite, les médecins de Pont-Saint-Esprit soupçonnent le pain d’être à l’origine de ces contaminations en série, ce qui pousse les habitants à se rabattre sur les biscottes. Pourtant, rien ne change et le pire arrive la nuit du 25 au 26 août 1951, toujours appelée la « nuit de l’apocalypse » par ceux de la région. Ce soir-là, 23 personnes, qui souffrent de sévères hallucinations, doivent être internées dans des hôpitaux psychiatriques, d’autres se jettent par les fenêtres et un enfant de 11 ans essaie même d’étrangler sa mère. En tout, 5 à 7 décès sont répertoriés, qu’ils soient directement liés à la consommation du pain ou aux conséquences de la crise hallucinatoire.

Mais alors, qui a voulu autant de mal aux habitants de Pont-Saint-Esprit ? S’agit-il d’une erreur humaine ? D’un accident dans la fabrication du pain ? Plusieurs pistes ont été évoquées ces dernières années, dont celle d’un empoisonnement volontaire des Français… Par la CIA.

Vidéo du jour

Pain maudit : la piste de l'ergotisme

Les habitants de Pont-Saint-Esprit veulent savoir qui est responsable de leur malheur. L’enquête ouverte ne permet pas de conclure de manière formelle à une piste plutôt qu’une autre. Au départ, la justice penche pour l’ergot du seigle, un champignon qui contient notamment de l’acide lysergique, dont est dérivé le LSD. Les symptômes observés par les médecins font en effet penser à de l’ergotisme, aujourd’hui disparu comme maladie humaine. Un meunier de Saint-Martin-la-Rivière (aujourd’hui Valdivienne, dans la Vienne) est arrêté pour avoir mélangé du seigle avarié à la farine et de l’avoir livré à la ville de Pont-Saint-Esprit. Placé en détention, il est finalement innocenté deux mois plus tard, car aucune trace d’ergot de seigle n’a finalement été retrouvée dans le pain ou la farine…

Alors que la justice penche pour une bête intoxication de la farine, la thèse d’une implication des Etats-Unis éclate 58 ans plus tard, en 2009.

Pain maudit : du pain contaminé au LSD par la CIA ?

Les trois années qui suivent ces incidents, la justice se penche donc sur la piste de l’ergot du seigle mais aussi de l’agène, utilisée pour blanchir artificiellement le pain dans des machines importées d’Allemagne mais dont l’utilisation était interdite en France. Les symptômes liés à l’ingestion d’agène étant assez similaires à ceux de Pont-Saint-Esprit, la piste est évoquée, avant d’être totalement refermée par la justice, sous la menace d’un syndicat de meunerie.

58 ans durant, l’affaire a continué d’intéresser les locaux, mais aussi les toxicologues, bien qu’elle n’ait jamais été élucidée. Pourtant, en 2009, le journaliste américain Hank Albarelli publie un livre intitulé « A Terrible Mistake » et dans lequel il évoque les expériences de contrôle mental dirigées par la CIA dans les années 1950. Le LSD aurait alors été testé comme une arme de guerre sur des populations civiles, en étant pulvérisé dans l’air ou ajouté à des aliments de consommation.

Des documents déclassifiés auxquels le journaliste a eu accès évoquent notamment « l’incident de Pont-Saint-Esprit ». Des témoignages d’anciens chercheurs de la CIA affirment que la petite ville du Gard aurait subi une pulvérisation aérienne de LSD dans les années 1950, qui aurait été suivie par la contamination de produits de consommation. Si aucune déclaration officielle n'a jamais confirmé une telle version, Bill Clinton s'était excusé en 1995 pour les expérimentations sur des cobayes involontaires au moment de la guerre froide. Avait-il aussi Pont-Saint-Esprit en tête ?

Crédit photo : ©AFP