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Dans la vieille ferme orange où elle grandit, sur les hauteurs d'Aumontzey, Louisette est éduquée au rythme des cochons, poules et autres gallinacés qui parfument la cour de la bâtisse. Sa mère, Adeline Jacob, née Gaudel, correspond à la figure maternelle classique : réputée douce, tendre, elle maintient le lien entre ses enfants.
De son côté, Léon, le patriarche, est connu pour être sympathique, tant qu'il se tient loin de la bouteille. Un homme excentrique et versatile dont les sévices sont "excusés", dans la famille, par son passé d'ancien combattant dans la Première Guerre mondiale.
Dans les années 1950, Louisette est la seule enfant à vivre encore entre les murs de la vieille grange d'Aumontzey. Alors adolescente, elle ne sait ni lire, ni écrire, ni déchiffrer l'heure… Mais est dotée d'un certain bon sens, a de la conversation et fait montre d'une excellente mémoire. Et ce, malgré ses éclats de rire aussi déroutants que saugrenus, qui surprennent souvent au milieu d'une phrase, comme un cheveu sur la soupe.
Louisette Jacob : l'enfant remplace sa mère dans le lit conjugal
Quelque temps plus tard, en 1953, Louisette donne naissance à une petite fille qu'elle prénomme Chantal… Et dont personne ne connaît alors le père. C'est là que se trouve le cœur d'un terrible secret que le corbeau fait pourtant mine d'ignorer dans ses infâmes missives. Un jour, la jeune mère finit par révéler l'identité du géniteur, qui n'est autre que Léon, son père.
Suite à une enquête de mœurs menée au domicile des Jacob, le père de famille est placé en cure de désintoxication à l'hôpital de Mirecourt, à quelques dizaines de kilomètres de là. Léon nie en bloc et accuse Albert Villemin, son ennemi juré, d'être l'amant de sa fille.
Léon est bien le père de Chantal
Dans la famille, personne n'est dupe. Devant les gendarmes, Monique Villemin, la sœur aînée de Louisette, répond par l'affirmative : Léon est bien le père de Chantal. "C'est ma mère qui nous a appris qu'elle était enceinte de mon père. Que voulez-vous qu'on dise, nous ? C'était pas facile à vivre. Ma mère n'est pas partie du domicile, mais elle ne couchait plus avec mon père", confie-t-elle.
Dès lors, Adeline, profondément choquée par cette sordide découverte, sombre dans l'alcoolisme et le chagrin avant de quitter le lit conjugal, où Louisette ne tarde pas à la remplacer jusqu'à la mort de son père, en 1972. Adeline, elle, ne lui survit que trois ans, avant de mourir dans son sommeil.
Louisette, victime d'inceste : le tabou et les protecteurs
À la mort de ses deux propriétaires, la grange délabrée des Jacob revient non pas à l'un de leurs enfants mais à leur gendre, Marcel Laroche. Le père de Bernard, qui a laissé son fils entre les mains du couple à la mort de sa femme, Thérèse, s'était dévoué corps et âme pour maintenir la bâtisse de Léon et Adeline en bon état.
Pour toujours fidèle à la famille Jacob, Marcel laisse Louisette habiter la maison pour lui éviter l'hospice… Et pouvoir rester près de sa fille qui, elle aussi, souffre d'une déficience. "Louisette avait un problème mental, mais c'est surtout sa fille, Chantal, fruit de l'inceste, qui était retardée mentalement", articule la journaliste Patricia Tourancheau, autrice de Grégory - La machination familiale (ed. Seuil).
Quand son père meurt d'un cancer en 1982, Bernard Laroche hérite de la maison et se sent investi d'une mission de protection envers Louisette et sa fille. Car si Bernard ne prend pas soin d'elles, qui le fera ? Monique Villemin, aînée de Louisette, préfèrerait ses autres sœurs, selon certains membres de la famille.
Bernard Laroche, le bienfaiteur de Louisette et Chantal Jacob
Il faut dire que, depuis cet été-là, la femme d'Albertn'est plus la bienvenue entre ces murs. Peu de temps après la mort de son père, Bernard Laroche aurait surpris Monique et d'autres membres de la fratrie en train de fouiller dans les tiroirs.
Le père Laroche se rend donc quotidiennement chez sa chère tante, où il dîne, bricole et, quand il le faut, remonte le réveil de Louisette.
Heureusement, selon l'autrice Patricia Tourancheau, il n'était pas le seul à s'inquiéter du sort de ces deux femmes : avec lui, Marcel Jacob et sa femme, Jacqueline, "étaient un peu ceux qui disaient défendre Louisette qui avait une relation incestueuse avec son père Léon et qui en a eu une fille", précise la journaliste.
Une préoccupation qui les mettait déjà en opposition avec une branche bien connue de la famille, les parents de Grégory…
Le couple Jacob a-t-il aussi pris Louisette sous son aile ?
"Le couple Jacob et Bernard Laroche n'aimaient pas beaucoup Jean-Marie et Christine qui étaient considérés, lui comme 'le chef', et elle comme 'la pimbêche''', articule Patricia Tourancheau. Avant d'ajouter : "Ça va jouer un rôle dans les relations entre les Laroche et les Villemin. Bernard Laroche reprochait à son cousin de ne pas s'être bien occupé de Louisette, il disait qu'elle avait été abandonnée à son sort avec sa fille Chantal".
De son côté, l'avocat de Marcel Jacob, Me Stéphane Giuranna, ne confirme pas qu'il existait une relation particulièrement étroite entre Louisette et son client. Au sujet du couple Jacob, il déclare : "Ils étaient proches de tout le monde, très proches de Bernard Laroche car ils habitent à quelques mètres. Tout ce monde s'est côtoyé [...] ce sont des communes très limitées en termes d'habitats, ils ont travaillé dans les mêmes villes".
Un constat que partage son confrère, Me Frédéric Berna, conseil de Jacqueline Jacob. "Je ne confirme absolument pas le fait que Marcel et Jacqueline Jacob aient pu prendre Louisette sous leur aile. Marcel était proche de Bernard Laroche, ils sont voisins, donc quand Bernard Laroche est tué, ce sont les premiers arrivés sur les lieux, ils l'ont vu agoniser, mais je ne vous confirme pas du tout pour Louisette, je n'ai pas vu cela dans le dossier", insiste l'homme de loi.
Le corbeau, un soutien dissimulé de Louisette
Parmi les protecteurs de Louisette, on trouve aussi le nid d'un maudit volatile : le corbeau qui harcèle les Villemin depuis des années.Thibaut Solano, auteur de La Voix Rauque (ed. Les Arènes), soutient auprès de Planet : "Ce corbeau utilise les secrets les plus douloureux pour faire du mal à ses cibles, en jouant sur leurs faiblesses, et pourtant, il y a quand même un secret dont il ne parle jamais à ma connaissance : l'inceste de Louisette par son père Léon".
Ceci étant dit, que peut-on penser de la raison qui pousserait un oiseau pourtant si malfaiteur à cacher un tel dédale ? "S'il voulait faire du mal à Monique, il aurait pu en parler, de son père incestueux. Est-ce parce qu'il était trop proche de ce père-là, de ce secret-là ? Est-ce qu'il était concerné ?", s'enquiert Thibaut Solano. "Elle est protégée, et cela indique quand même quelque chose", souffle de son côté Patricia Tourancheau.
Concernant l'identité de ce ou de ces corbeaux ayant harcelé le couple Villemin, plusieurs noms seront évoqués dans le dossier, jusqu’en 2021 quand de nouvelles analyses stylométriques apportent des précisions inédites. Si cette technique a déjà permis de résoudre plusieurs affaires criminelles aux États-Unis, c’est la toute première fois qu’elle est utilisée dans un dossier judiciaire, en France. Résultat, selon les experts, il existe "une forte probabilité que les 24 lettres du corbeau proviennent (…) de cinq auteurs différents" et il y a "un style hautement similaire à celui utilisé par Jacqueline Jacob". Parmi les lettres qui auraient pu être écrites par Jacqueline Jacob, celle qui revendique l’assassinat du petit Grégory : "J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas l’argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance. Pauvre con".
Meurtre de Grégory Villemin : Louisette, celle qui sait ?
Mais revenons à Louisette. Si elle est surnommée "la simplette", elle est pourtant loin d'être inconsciente des maux qui rongent ses pairs. Elle est même la seule, au sein de sa fratrie, à oser dévoiler le pire : elle confie que son père frappait sa mère à la fourche, et qu'il était violent avec ses enfants.
Dans le chahut de l'affaire Grégory, Louisette Jacob pourrait, là aussi, être l'une des clés du mystère. C'est en effet elle l'alibi de Bernard Laroche et de Murielle Bolle, qui prétendent s'être trouvés chez Chantal et "la tante Louisette" à l'heure du rapt de l'enfant le 16 octobre 1984.
Dans sa première version des faits, livrée le 31 octobre 1984, Murielle Bolle affirme avoir pris le car scolaire à la sortie de l'école, à 17 heures. Elle serait arrivée vingt minutes plus tard chez Louisette Jacob à Aumontzey, où elle aurait rejoint Bernard Laroche et son fils Sébastien. Dix minutes plus tard, ils seraient tous les deux partis pour aller acheter plusieurs caisses de vin au supermarché Champion avant de rentrer, peu après 18 heures.
Bernard Laroche, premier inculpé dans l'enquête pour le meurtre de Grégory Villemin, appuie ces déclarations. Lors de sa première déposition, il aurait même ajouté avoir conseillé à sa tante et sa cousine de s'acheter une boîte de raviolis pour le dîner. Une seule ombre au tableau : les témoignages de Louisette et Chantal Jacob ne peuvent être crédités compte tenu de leur santé mentale et surtout de leur incapacité à lire l'heure.
La boîte de raviolis
Toujours est-il que mère et fille ont été entendues dans le bureau du juge Lambert le 9 novembre 1984, dévoilant un détail qui a toute son importance. Quand on demanda aux deux femmes ce qu'elles avaient mangé le jour de la disparition de l'enfant, elles s'exclamèrent toutes les deux : "Des raviolis !", corroborant ainsi les dires de Bernard Laroche. À noter que cette déclaration du suspect n'avait pas été divulguée dans la presse à ce moment de l'instruction.
Dans son livre L'affaire Grégory - Ou La malédiction de la Vologne (Ed. Archipel), l'avocat de Bernard Laroche, Me Gérard Welzer, déplore plusieurs bévues. Il regrette notamment un détail figurant dans l'arrêt de non-lieu prononcé par la cour d'appel de Dijon en 1993 pour innocenter Christine Villemin. Il est écrit, à la page 69 du document, qu'un nouvel élément a été recueilli grâce au supplément d'information.
Louisette Jacob, la femme incapable de mentir
Plusieurs témoins, y compris Marie-Ange Bolle, veuve de Bernard Laroche, auraient affirmé que la première audition de Louisette Jacob avait pu être négligée en raison de son handicap… Malgré son "bon sens", son "excellente mémoire" et son incapacité à mentir.
Le juge Maurice Simon, qui a repris l'instruction de l'affaire en 1987, avait décidé de faire entendre Louisette devant les enquêteurs de la section de recherches de Dijon avant de recueillir sa déposition lui-même, à deux reprises.
Dans son ouvrage, Me Welzer cite la page 3 du procès-verbal de Louisette : "Quand Grégory a été tué, Murielle, en lisant le journal, pleurait. Elle m'a dit qu'elle était dans la voiture avec Bernard, Sébastien, le fils de Bernard et le petit Grégory, mais qu'elle ne savait pas pourquoi Bernard était revenu tout seul". Un "nouvel impair", selon l'homme de loi.
Louisette Jacob, jeune femme handicapée au destin tragique, était peut-être l'une des seules personnes à pouvoir lever le voile sur cette macabre affaire. Elle meurt en 2007, à l'âge de 72 ans, emportant certainement avec elle la vérité.