Affaire Gabrielle Russier : l'amour hors la loi et impossible au temps de mai 1968AFP
Professeure brillante et appréciée, Gabrielle Russier a 32 ans lorsqu'elle tombe amoureuse de Christian Rossi, son élève de 16 ans. Une histoire hors la loi, rendue impossible par l'époque et qui se termine mal.

Mourir parce qu'on aime. À la fin des années 1960, un vent de liberté souffle sur la France et les mœurs de l’après-guerre ne conviennent plus aux jeunes générations qui ne l’ont justement pas connue, la guerre. Si l’économie du pays n’a jamais été aussi bien portante, la société va mal et se trouve de plus en plus inégalitaire. C’est dans ce contexte qu’éclatent les révoltes de mai 1968, conduisant à de nombreuses grèves et manifestations à travers le pays. C’est aussi cette année-là qu’une histoire d’amour défraie la chronique, entre une enseignante et son élève.

Gabrielle Russier : l'amour au temps des barricades

A la fin du printemps 1968, Gabrielle Russier a 31 ans et est professeure de lettres au lycée Saint-Exupéry de Marseille, où on la salue pour son investissement pédagogique. Jeune, divorcée et mère de deux enfants, c’est une enseignante brillante à qui on promet une belle carrière dans l’éducation. L’année scolaire 1967-1968 marque pourtant un tournant dans la vie de la jeune femme, lorsqu’elle débute une relation avec un élève de seconde, alors âgé de quinze ans lorsqu’elle le rencontre.

Christian Rossi est né en janvier 1952 et a donc fêté ses seize ans depuis quatre mois en mai 1968. Avec Gabrielle Russier, ils se retrouvent dans les manifestations de la fin du mois et entament une liaison aux derniers moments de l’année scolaire. L’enseignante connaît les parents du jeune homme puisqu’ils sont eux aussi professeurs, mais à l’université d’Aix-en-Provence, non loin de Marseille. Mis au courant de l’histoire d’amour de leur fils, ils s’y opposent, sans que cela n’aille plus loin.

Peut-être espèrent-ils que les vacances d’été qui vont débuter éloigneront suffisamment les deux amoureux l’un de l’autre, pour qu’ils oublient cette histoire ? Christian Rossi ne l’entend pas de cette oreille, part en Allemagne et en Italie, où Gabrielle Russier le rejoint. À la rentrée des classes, l’enseignante et l’élève continuent de se fréquenter, malgré l’opposition des parents Rossi. L’histoire d’amour interdite connaît alors son premier virage dramatique.

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Gabrielle Russier : première plainte et premiers interdits

Les parents de Christian Rossi demandent à leur fils de rompre, mais il ne veut pas et va s’installer chez Gabrielle Russier, ce qui les pousse à saisir le juge pour enfant. Ce dernier trouve un compromis, proposant d’envoyer le jeune homme dans une pension d’Argelès (Pyrénées-Orientales), tout en autorisant l’enseignante à lui écrire et même à le voir lors des vacances de la Toussaint. Mais, les lettres de sa compagne interceptées, l’adolescent menace de se suicider et elle est arrêtée lorsqu’elle vient le chercher au lycée. Il fugue le 16 novembre, s’installant chez un ami, où Gabrielle Russier le rejoint. Les parents de Christian Rossi décident alors de porter plainte pour enlèvement et détournement de mineur.

Entre les mois de décembre 1968 et d’avril 1969, Gabrielle Russier est incarcérée plusieurs fois, d’abord quelques jours, puis pendant cinq semaines. Christian Rossi passe d’établissement en établissement, puis est interné par ses parents dans une clinique pour subir une cure de sommeil. À sa sortie, il retrouve l’enseignante et décide de fuguer. Gabrielle Russier est jugée une première fois au mois de juillet, est condamnée à douze mois de prison avec sursis et 1 500 francs d’amende, mais le procureur général fait appel de la décision, ce qui plonge Gabrielle Russier dans une grande dépression…

« Ce n'était pas du tout une passion, c'était de l'amour »

Gabrielle Russier doit être jugée une nouvelle fois en octobre 1969, mais elle vit très mal cette situation, au point de faire une première tentative de suicide à la fin de l’été. Elle se suicide le 1er septembre 1969, s’intoxiquant au gaz après avoir ingurgité des barbituriques et avoir calfeutré toutes les entrées d’air de son logement.

Interné en asile psychiatrique pendant quelques semaines, Christian Rossi garde longtemps le silence sur son histoire d’amour avec Gabrielle Russier. Il ne s’exprime qu’une seule fois dans les médias, auprès du Nouvel Observateur le 1er septembre 1971, soit deux ans après le suicide de celle qui fut sa compagne. « Ce n’était pas du tout une passion. C’était de l’amour. La passion, ce n’est pas lucide. Or, c’était lucide (…) Les souvenirs qu’elle m’a laissés, elle me les a laissés à moi, je n’ai pas à les raconter. Je les sens. Je les ai vécus, moi seul. Le reste, les gens le savent : c’est une femme qui s’appelait Gabrielle Russier. On s’aimait, on l’a mise en prison, elle s’est tuée. C’est simple ».

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