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Planet : Pourquoi la nudité gêne-t-elle tant dans l’espace public, alors qu’on s’expose de plus en plus internet ?
Christophe Colera : Sur Internet, il est encore possible pour ceux qui ne souhaitent pas voir la nudité de l’éviter. On peut ne pas cliquer sur les sites où elle s'expose, et protéger les enfants avec un filtre parental.En outre, sur Internet lorsque ce n'est pas une nudité confinée aux sites X ou aux réseaux sociaux dédiés aux rencontres, c'est une nudité plutôt esthétisée qui est présentée.La nudité réelle en revanche ajoute un effet de provocation, qu’on n’a pas devant un écran. Face à quelqu’un qui est nu, on est confronté plus intensément à l'intention de la personne qui s'exhibe.
Planet : La nudité est-elle mieux accepté qu’avant ou pas, et pourquoi ?
Christophe Colera : Dans de nombreuses circonstances elle n'est pas mieux acceptée. Un sondage IFOP TENA montrait il y a 8 ans qu'une majorité de femmes n'aime pas voir une autre femme bronzer nue dans le jardin du voisin, se dévêtir complètement dans un vestiaire de gym ou même s'afficher nue dans une publicité.
Il ne faut pas oublier que la nudité a été une arme de combat chez les celtes de l'Antiquité, dans la Grèce archaïque ou en Afrique. Parce qu'elle représente le dépassement de toutes les normes sociales, le dialogue direct avec la mort. Certains anthropologues rappellent que les singes agitent leur sexe avec leur main pour menacer leur ennemi, et la nudité masculine notamment a gardé ce côté "phallique" menaçant, qui fait que l'exhibitionnisme en particulier masculin mais aussi souvent féminin, a pu passer pour menaçant. Bien sûr tout est affaire de contexte. La nudité peut aussi être synonyme de fragilité, d'aveu de faiblesse, et c'est dans cette dimension là qu'elle est mieux acceptée. Par exemple dans les calendriers de profs ou d'infirmières qui protestent contre la baisse des budgets, lorsqu'il s'agit de dire "j'en suis réduite à vous montrer tout ce que je suis".
La grande différence avec, disons, le temps qui n'a pris fin que dans les années 50-60 (la France étant restée majoritairement rurale et religieuse jusqu'à ce moment-là) c'est qu'il n'y a plus un conformisme social majoritaire pour entacher le corps d'un soupçon d'être l'instrument d'un démon ou la source de complications pour une organisation sociale structurée par la famille. Mais pour le reste, le malaise qui perdure semble ancré dans un patrimoine génétique commun à toute l'humanité.
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Planet : Pourquoi crie-t-on par exemple au scandale face aux tétons d’une femme (même lorsqu’ils sont seulement apparents sous un vêtement), alors que ce n’est pas le cas pour un homme ?
Christophe Colera : Les organes directement associés à la sexualité restent frappés de tabou. Les anthropologues ont constaté la persistance du tabou même dans les sociétés sans vêtements et chez les naturistes : même dans ces cas il y a un tabou au niveau des yeux et il ne faut pas regarder avec trop d'instance les parties génitales.
Sur les seins, il y a eu à partir des années 2000 un mouvement féministe parti de Suède et des Etats-Unis pour banaliser le topless. Mais on observe que les seins restent cachés dans la majorité des civilisations et que, dans les cultures où ils ne le sont pas, il y a un tabou sur le regard les concernant, notamment les seins des jeunes filles. C'est que le sein reste une zone érogène dans une majorité de cas (même si ce n'est pas le cas chez tout le monde). Il joue un rôle important dans l'acte sexuel pour l'orgasme de la femme et celui de l'homme.
La pornographie très répandue depuis 25 ans a popularisé la masturbation masculine entre les seins. Il a été culturellement valorisé comme attribut de la féminité, à diverses époques : les décolletés de la Renaissance, la pin-up américaine des années 50, et encore aujourd'hui, d'où le succès de la chirurgie esthétique mammaire (comme aussi la chirurgie plastique des sexes, de la vulve et du pénis), donc tout cela n'augure pas d'une désexualisation de la nudité.
Planet : Finalement dans la question de la nudité, et de ce en quoi elle peut gêner, est-ce que ce n’est pas la question de la norme des corps qui se joue ?
Christophe Colera : Il s'agit d'une norme de présentation de soi, oui. Se présenter nu signifie toujours quelque chose de l'ordre de la transgression. Et puis il y a la norme esthétique qui entre en jeu aussi. Le combat contre la grossophobie, la maigrophobie, l'âgisme, le racisme, le grandisme, le pettisme, etc est loin d'avoir aboli les normes esthétiques que tout un chacun cultive, et qui sont liées à des prédispositions génétiques (voir les études sur les visages parfaits par exemple) autant que des constructions intimes liées au vécu de chacun, et qui dictent les réflexes de rejet ou d'attraction que tout corps nu nous inspire.