Nordahl Lelandais : comment les enquêteurs font parler un suspect ?AFP
Dans l'affaire Maëlys, pour laquelle il est mis en examen, Nordahl Lelandais nie fermement toute implication. Florent Gathérias responsable de l'unité d'analyse comportementale psychocriminologique de la police nous éclaire sur les différentes techniques pour faire parler un suspect.  

Malgré un faisceau d’indices et des preuves très troublantes, Nordahl Lelandais nie toute implication dans la disparition de Maëlys, survenue à la fin du mois d’août à Pont-de-Beauvoisin. Comme le confiait au Monde  une source proche de l’enquête, "il est peu de dire [que sa personnalité] est au cœur de l’enquête". Et l’adjectif qui revient le plus pour parler de celle du suspect mis en examen pour meurtre est : ambivalente. Décrit comme quelqu’un d’inoffensif par ses proches, d’anciens camarades militaires parlent en revanche d’un homme capable de violence. Les enquêteurs eux évoquent un individu affichant un grand sang-froid et une sérénité troublante.

La personnalité, c’est pourtant l’un des paramètres les plus importants pour faire parler quelqu’un lors d’un interrogatoire, explique Florent Gathérias, psychologue, expert judiciaire et responsable de l’unité d’analyse comportementale psychocriminologique de la police. "On distingue deux grands types de personnalités. Les personnalités extraverties qui parlent facilement et beaucoup. Face à elles, il faut utiliser et présenter les preuves de manière très fine, car ce sont des gens précis dont l’usage de la parole peut se révéler stratégique. Et il y a les personnalités introverties sujettes à la culpabilisation, qui se situent plus sur un plan affectif. Face à elles, il faut montrer et démonter les conséquences que leur parole pourrait avoir pour qu’elles n’aient plus peur de parler. Ce sont des gens qu’il est généralement plus facile de faire parler", détaille-t-il.

Trois techniques d’interrogatoires

Parmi les techniques les plus utilisées par la police, deux ressortent du lot. La première, régulièrement représentée dans les films ou les livres, est celle du bon flic- mauvais flic. L’objectif : "susciter un bouleversement émotionnel qui pousse le suspect à aller trouver du réconfort vers le bon flic". Sauf que cette technique est de moins en moins utilisée aujourd’hui. "Son efficacité n’est pas toujours présente et elle est trop courante. Si bien que certains suspects, dans des cas de crime organisé par exemple, sont préparés à ce genre d’interrogatoire". La deuxième technique est la technique REID. En neuf phases, elle "coince l’individu dans un schéma de vérité contraint. C’est-à-dire qu’il n’a pas d’autre choix que de dire la vérité qu’on lui impose". Seul hic comme l’explique Florent Gathérias, elle est tellement efficace qu’elle a poussé des innocents à s’auto-incriminier…

Enfin, la troisième méthode, la plus récente, est désignée par l’acronyme PEACE, pour : préparation, engagement ou explication, account (témoignage), clôture et enfin évaluation, et se fait en cinq étapes. Dans la partie account, le suspect est invité à parler librement, mais ce qui compte le plus comme l’explique Florent Gathérias, c’est la partie préparatoire. "Avec cette technique, ce qui est très important selon moi, c’est la préparation et la connaissance de la personnalité du suspect. Naturellement les policiers ont tendance à mettre en place cette technique, mais il est important d’adapter ses questions au type de personnalités du suspect", explique-t-il avant d’ajouter : "la technique PEACE est une technique plus respectueuse et donc plus efficace".

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D’autres techniques moins conventionnelles

Depuis quelques années, d’autres techniques entrant dans la sphère de la communication non verbale se sont développées. A ce titre, seule une méthode a été validée scientifiquement, relève Florent Gathérias, la méthode Ekman, du nom de son fondateur : le psychologue Paul Ekman. "Ce chercheur a essayé d’identifier dans toute la population mondiale les fondements des émotions. Ça lui a permis d’établir sept grandes émotions qui se manifestent sous forme de micro-expressions. En réalité cela dure entre 1/7 et 1/25 donc on ne peut pas les voir à l’œil nu", précise-t-il, ajoutant qu'il faut alors diposer de caméré très précises.

Cela n’empêche pas la police judiciaire de dispenser pour ceux qui le souhaitent des formations sur des techniques moins conventionnelles. En 2013, des membres des forces de l’ordre ont pu ainsi suivre une journée de sensibilisation à la synergologie, une méthode de communication non verbale qui interprète plutôt le corps que les propos et notamment popularisée par les séries télévisées et leurs ribambelles de mentalistes.

Ce type de méthode n’est pas prouvé scientifique rappelle Florent Gathérias, qui ajoute que cela n'empêche pas ce type d'approche de faire mouche chez les policiers. "On a fait des tests chez les policiers et sur ce qu’ils croient être le plus visible du mensonge. Pas moins de 40% estiment que cela se voit sur le comportement et non dans le discours de la personne. Mais le comportement n’est significatif que d’émotion et le mensonge n’en est pas un. C’est lié à l’influence de la télévision", détaille-t-il.

Si Nordahl Lelandais continue de nier, aussi bien dans l’affaire Maëlys que dans l’affaire Arthur Noyer pour laquelle il est mis en examen pour assassiat, les enquêteurs poursuivent leur travail avec minutie. Cette semaine, une cellule spéciale a été mise en place pour retracer tout le parcours du trentenaire ces 13 dernières années.