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"Don Diego de la Vega" est économiste et travaille pour une société spécialisée, notamment, dans la gestion de l’épargne des Françaises et des Français. Il répond aux interrogations de Planet sous pseudonyme.
Planet : Emmanuel Macron et Valérie Pécresse prônent un report de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Une telle réforme est considérée comme socialement injuste par une partie de la gauche, quand cette dernière n'y voit pas simplement un vrai recul des droits. Peut-on oui ou non leur donner raison ?
Don Diego de la Vega : Dès lors que l’on a cru (et cela été le cas de beaucoup de Français à en croire leurs votes) que la retraite à 60 ans était possible, il est normal de percevoir le report de l’âge légal de départ à la retraite comme une régression sociale. Dans les faits, la même logique s’applique aux 35 heures, que Martine Aubry a toujours présentées comme un progrès : comment, quand on souscrit à cette analyse, ne pas voir toute entrave à ces réformes comme un recul ?
Pour autant, quand l’on sait que la réforme des 60 ans n’a jamais réellement existé comme promis, les 65 ans n’apparaissent pas comme une régression particulière. Il faut bien comprendre, et c’est là quelque chose d’assez consensuel chez les économistes, que les 60 ans n’ont jamais été gratuits : il a fallu que certains les paient et cela a eu un impact conséquent sur notre économie. Les 35h, pour ne pas les oublier, ont constitué une avancée sociale pour celles et ceux qui gagnaient bien leurs vies et pouvaient se permettre de travailler moins. Pas pour une hypothétique caissière de supermarché.
Du reste, il est important de prêter une attention toute particulière au mot social. C’est un "Weasel Word", un mot-fouine, comme pouvait l’expliquer l’économiste Friedrich Hayek, puisqu’il existe autant de visions de la justice que d’individus. C’est encore plus vrai dans le cadre d’une supposée "justice sociale", sur laquelle il est impossible de se mettre d’accord. Qui sait quelle matrice utiliser pour maximiser le bien être social ? Quelle dose d’utilitarisme ? Ces questions ne sont jamais tranchées, sinon jamais posées et le concept même de justice sociale peut être questionné. A-t-il un sens ? N’oublions que la justice, par essence, est supposée être aveugle.
Retraite : "S’il s’agit de maintenir le système par répartition, alors oui il faut repousser l’âge de départ"
C’est pourquoi nos gouvernants organisent une justice sociale à la petite semaine, plutôt que de mettre en place un système de retraite performant, de le laisser fonctionner et d’ensuite corriger les inégalités qu’il peut engendrer à l’aide de versements à l’attention des plus démunis. Ce n’est pas le choix de fonctionnement que nous avons fait aujourd’hui : nous avons opté pour un système de retraite qui, sur une base profondément clientéliste, traite les gens différemment en fonction des rapports de force politiques et sociaux. La justice sociale s'immisce dans la création même des règles du modèle de retraite, pensé non pas pour rémunérer les anciens travailleurs, mais pour corriger les inégalités d’entrée de jeu. Puis, un autre correctif - une deuxième strate, donc - est appliquée à l’aide de la redistribution. C’est un problème, puisque le système ne saurait être transparent et cela rend l’évaluation des politiques publiques impossibles. Nous ne pouvons pas, aujourd’hui, affirmer comment le modèle de retraite à la française réduit les inégalités et qui est responsable de son bon fonctionnement.
Une véritable mesure de justice consisterait donc à permettre l’avènement d’un système aveugle, vertueux et efficient. Cela veut dire que l’on tiendrait la dépense publique éloignée de la définition même des règles et que l’on ne prendrait pas en compte des problèmes tels que la pénibilité qui s’avèrent toujours être des pièges à idiots (chacun estime son métier pénible, c’est donc là la porte grande ouverte à la surenchère clientéliste). La correction des inégalités, qui prend évidemment en compte les réalités différentes, ne survient qu’après à travers un système de redistribution, dont les modalités devraient être discutées chaque année par le Parlement.
Ce que propose Emmanuel Macron, qui en revient à ses premières amours, c’est une réforme conservatrice qui implique de tout changer pour ne rien changer. S’il s’agit de maintenir le système par répartition, qui est tout sauf juste socialement, alors oui, dans l’immédiat, il faut passer à 65 ans. Si, toutefois, on cherche un arbitrage avec plus de sens démocratique et économique, ce n’est pas la bonne solution. Mais cela permet facilement de donner dans le "en même temps"...
Retraite : "Dire de la répartition que c’est un modèle social, c’est se moquer du monde"
Planet : Au-delà de la dimension "sociale" de la réforme, il faut aussi discuter de sa pertinence et de son efficience sur le plan matériel. Le recul de l'âge de départ à la retraite apparaît-il comme une réforme sensée à cet égard ? Que sait-on de l'efficacité d'une telle solution ?
Don Diego de la Vega : Avant toute chose, me semble-t-il, il faut faire la distinction entre la comptabilité et l’économie.
D’un point de vue comptable, oui, repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans est efficient. Emmanuel Macron en revient à une logique paramétrique, laquelle repose sur trois curseurs et il s’agit là du critère le plus évident, dans un pays comme le nôtre. L’essentiel de la marge de manœuvre, tant sur les plans comptable que médiatique et politique, se trouve sur le report de l’âge légal. Les autres curseurs, qui rassemblent le taux d’activité et le rapport entre cotisations nettes et versements nets, sont plus délicats à manier pour des raisons économiques et politiques. Ce choix peut donc apparaître logique.
En revanche, il est issu d’un problème d’analyse économique en cela qu’il est pensé pour sauver le système de retraite par répartition… et c’est bien le cœur du souci. Considérer ce modèle de retraite comme social, c’est se moquer ouvertement du monde. Il n’y a rien de social à faire en sorte que les actifs financent les retraités. C’est une modalité possible, mais elle n’est pas par essence sociale. La capitalisation, qui passe souvent pour plus "méchante" peut l’être bien davantage, notamment à travers des dispositifs d’épargne collective ou via des assurances. L’autre gros avantage dont il faut tenir compte c’est qu’il s’agit aussi d’un système plus efficace et plus respectueux de l’épargne. Toute croissance nécessite une accumulation de capital, laquelle repose sur l’incitation à l’épargne, et plus précisément à l’épargne qui permet de progresser. C’est la magie des intérêts composés, qui affiche un bien meilleur rendement social que ne le fait la répartition. Cette dernière correspond fondamentalement à un système de flux tendu, que les Britanniques caractérisent d’ailleurs comme un système de "Pay as you go". Les deux systèmes ne se valent pas.
D’ailleurs, personne n’est dupe : en France, l’épargne individuelle progresse beaucoup, soit via des dispositifs comme le PER, soit via des mécanismes plus anciens comme l’assurance-vie. En réalité, les Français n’ont pas confiance dans notre système de retraite - à raison ! - et préparent déjà de quoi compenser le montant de leur pension. La capitalisation progresse donc, mais vers le bas et ce sont les ménages les plus riches qui en profitent donc le plus.
C’est en partie pour cela, je crois, qu’il faudrait la mise en place d’un capitalisme français. Sans être très patriote, il faut bien reconnaître que se dire que l’on travaille à longueur de temps pour enrichir des sociétés étrangères, ce n’est pas motivant. Il faudrait bien plus que les entreprises françaises soient détenues par les Français et que ces derniers travaillent pour eux-même. L’avènement d’un capitalisme populaire, domestique, repose en partie sur un système de participation et pourrait considérablement diversifier les revenus de la population plutôt que de nous condamner à des taux de rendement faibles.
Retraite : "Tout est vain si on ne traite pas la question de la désépargne publique"
Planet : Comment convaincre les Françaises et les Français de la pertinence d'une telle réforme ?
Don Diego de la Vega : Toujours de la même façon : en jouant sur les mots, en trompant le public. Par le passé, on parlait de "junk bonds", ou d’obligations pourries. Désormais, on les appelle des obligations d’Etat. La même logique avec la capitalisation et l’épargne retraite. Il s’agit de s upprimer ce mot, parce que les mots ont un pouvoir évocateur fort.
Pour autant, s’il s’agit de répondre de façon un peu moins cynique, il est possible de parler de la progression d’un système de participation, comme évoqué précédemment. Il faudrait mettre en place un modèle distributif, qui donne des droits de propriété aux travailleurs, et ne se limite pas à la seule participation ou au seul intéressement en entreprise. Le capitalisme souffre de ne pas avoir assez de propriétaires. Ce sujet, qui doit se travailler à froid, permettrait aux Français de devenir détenteur d’une plus grande part des entreprises et donc de se réapproprier l’outil de production. En somme, il faut donc un mix entre une montée en capitalisation et l’avènement d’un vrai système de participation. Pourtant, cela n’arrivera pas : personne ne veut en entendre parler dans l'Hexagone.
Il y a aussi un troisième terme capital : évaluation. Cela signifie qu’il va falloir que l’on décide enfin des responsabilités précises et exclusives de chacun. Les gens chargés de poser les règles générales ne peuvent être ceux chargés de la correction des inégalités après coup. Pour autant, tout ce dont on parle est illusoire si la désépargne publique - c’est-à-dire la dérive des finances publiques - se poursuit. La création de déficit tire vers le bas l’épargne de la nation, et cela implique que l’épargne des ménages soit plus investie dans le financement de l’Etat, ce qui rapporte assez peu. Il va donc falloir repenser notre système de finances publiques.