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- 1 - “Une petite fille de 15 jours, un bébé nommé Titania, nous attendait”.
- 2 - Trafic d’enfants au Sri-Lanka : des mères et des bébés “stockés” dans une maison
- 3 - Trafic d’enfants au Sri-Lanka : “Prostituées avec des européens pour obtenir un produit plus clair”
- 4 - Trafic de bébés au Sri-Lanka : “Notre fille a été volée à l’hôpital”
- 5 - Trafic de bébés au Sri-Lanka : “La France était au courant”
“It’s a baby business” ("c'est un trafic de bébés"). C’est par ces mots glaçants que Véronique Piaser-Moyen a appris qu’elle avait adopté un bébé volé, il y a 35 ans, au Sri-Lanka.
A l’époque, la mère de famille et son époux, qui vivent en Isère, sont les heureux parents de deux enfants. Ils veulent agrandir leur famille. “Je n’avais pas encore 30 ans, nous confie Véronique. J’avais eu mes garçons très jeune, et j’avais été très malade par la suite, donc la possibilité d’avoir un enfant naturellement n’était plus envisageable”.
Le couple décide de se tourner vers l’adoption internationale. “A l’époque, on trouvait le geste beau. Dans les années 1980, nous étions une jeunesse plutôt altruiste, l'ambiance était à l'optimisme, à l'entraide... On pensait pouvoir changer le monde, sans jamais être dans une démarche “colonialiste” comme nous le reprocheront certains par la suite”, poursuit Véronique.
Très vite, ils entreprennent des démarches pour concrétiser leur projet d’adoption. “Nous avons tout fait dans les règles, insiste la mère de famille auprès de Planet. Notre préoccupation, c’était justement de ne pas tomber dans le trafic d’enfants, car on savait que cela existait, notamment en Amérique du Sud, où certaines organisations véreuses demandaient d’ailleurs des sommes très importantes.” De fait, le couple élimine donc cette destination, et se tourne vers l’Asie, et notamment, le Sri Lanka.
“On a appris, par le bouche à oreille, comme cela se faisait beaucoup pour les adoptions à l’étranger à l’époque, que c’était possible et encadré au Sri Lanka, et nous sommes entrés en contact avec Mme P., la responsable d’un orphelinat sur place. La DDASS a validé toutes nos démarches”, explique Véronique.
Nous avions confiance dans notre gouvernement, dans les institutions, et dans l’organisation au Sri Lanka. Jamais je n’ai mis quoi que ce soit en doute - Véronique Piaser-Moyen
“Une petite fille de 15 jours, un bébé nommé Titania, nous attendait”.
Le couple se rend sur place au début de l’année 1985. “C’était le 14 janvier 1985, se souvient Véronique. Nous sommes arrivés à Colombo, la capitale, où nous avons rencontré Mme P, que je prenais alors pour la directrice de l’orphelinat. Elle nous a dit qu’il y avait une petite fille de 15 jours, un bébé, nommé Titania, qui nous attendait.”
Les parents la rencontrent, tout en sachant très peu de choses sur son histoire. “On nous a seulement dit que sa mère avait 17 ans, et on voyait que ça n’était pas un bébé particulièrement replet, mais tout s’est passé tellement vite, sur le moment, on n’a pas eu cette réflexion de se dire : quelque chose cloche, adopter un bébé si jeune, ça n’est pas normal”, expose la mère de famille.
Trafic d’enfants au Sri-Lanka : des mères et des bébés “stockés” dans une maison
Surtout que, sur place, les autorités assurent au couple qu’ils n’ont rien à craindre. “L’ambassade de France à Colombo ne nous a jamais dit : “méfiez-vous”, et pour nous, il n’y avait donc aucune raison de se méfier. Et puis, nous avions énormément voyagé, nous n’étions pas non plus des gens ultra-naïfs, qui découvraient le monde”.
Surtout, les jeunes parents sont comblés d’adopter enfin leur petite fille. Titania rentre avec eux en France, et grandit, entourée d’amour, sans une ombre au tableau.
“Nous étions heureux, et nous n’avions jamais eu la curiosité de chercher plus en profondeur autour de ses origines, nous avons eu une vie de famille normale”, rapporte Véronique.
Mais en 2018, tout bascule. Cette année-là, Titania, alors âgée de 33 ans, explique à ses parents qu’elle souhaite connaître son histoire. “Elle nous dit, légitimement, qu’elle aimerait bien connaître ses origines, savoir ce qu’est devenue sa mère biologique, sans parler de forcément la rencontrer… Et bien sûr, nous l’avons aidée tout naturellement”, poursuit la mère de famille.
Véronique et son mari, qui ont gardé de nombreux contacts au Sri-Lanka, commencent par contacter l’un de leurs amis à Colombo. Ils lui transmettent le dossier d’adoption de leur fille ; histoire de voir s’il peut déjà creuser un peu avant un voyage de la famille sur place, prévu plus tard dans l’année.
“Dans le dossier, il y avait une adresse, supposée être celle du lieu de résidence de la mère biologique au moment de l’adoption”, raconte Véronique.
Cet ami s’y est rendu. Le jour même, il m’a appelé pour me dire : “Véro, it’s a baby business”. Il m’explique qu’à l’adresse en question se trouvait une grande maison, où bien sûr depuis les gens avaient déménagé, mais en interrogeant les voisins, on lui a raconté qu’à l’époque y logeaient des mères avec des bébés qui y étaient “stockés”, il n’y a pas d’autre mot, par des entreprises mafieuses qui organisent des trafics de bébés. - Véronique Piaser-Moyen
Le monde de Véronique s’écroule. “On était effondrés. Et maintenant, il fallait le dire à notre fille. Comment lui dire un truc pareil ?”, s'émeut-t-elle.
Dans un premier temps, les parents décident toutefois de mener leur propre enquête, et fouillent les moindres recoins d’internet à la recherches d’informations sur ce sombre trafic.
Trafic d’enfants au Sri-Lanka : “Prostituées avec des européens pour obtenir un produit plus clair”
Le système que découvrent Véronique et son mari est glaçant. “Tout était vrai, cela nous est tombé dessus avec une grande violence, explique Véronique à Planet. Les Pays-Bas, la Suisse et la Suède avaient déjà mené des enquêtes sur ce trafic, on a découvert toute l’ampleur, l’horreur du phénomène. Il y aurait même eu, selon les enquêteurs suisses, des femmes prostituées par ces mafieux avec des touristes européens, pour obtenir un “produit plus clair”, des bébés plus “blancs,” car soit disant cela était plus apprécié par les occidentaux”.
Le trafic a généré, pendant des années, des rentrées d'argent colossales, pour les responsables, mais aussi, plus largement, pour le pays, qui profitait alors du tourisme des adoptants. “Il y avait, en même temps, une telle demande de la part de parents adoptifs, que pour ces gens c’était la poule aux œufs d’or, ils fallaient qu’ils “produisent”...”, lâche la mère de famille dans un soupir.
Désormais, le couple en est bien certain : ils ont été victimes de cette entreprise criminelle. “Nous avons dû l’annoncer à notre fille, c’était un petit moment d’horreur. Elle s’attendait à tout sauf à ça. Et maintenant, elle voulait aller sur place”, relate Véronique.
Trafic de bébés au Sri-Lanka : “Notre fille a été volée à l’hôpital”
Véronique et son mari accompagnent Titania au Sri-Lanka, sur les traces de ses origines dramatiques. “On était impliqués, c’était aussi devenu notre histoire”, insiste la mère.
Sur place, ils découvrent, petit à petit, les dessous du trafic. “On a appris que l’acte de naissance de Titania était un faux, qu’elle n’avait jamais été enregistrée à l’état civil sri-lankais, comme la plupart des enfants trafiqués. On a compris que les enfants étaient volés soit à la naissance, soit plus tard”.
La famille parvient également à retrouver Mme P, la “directrice d’orphelinat” qui avait supervisé l’adoption de Titania en 1985. “On est allés chez elle escortés par des policiers. Elle nous a fait tout un cinéma, comme quoi elle était désormais vieille et qu’elle ne se souvenait pas… Mais on a fini par lui arracher cette promesse : elle avait une semaine pour retrouver la mère biologique”.
Mme P. finit par les adresser à un officier d'État civil. “Ce monsieur avait retrouvé l’état civil de l’une des sœurs de notre fille. La mère avait eu deux autres enfants. En quelques minutes, ma fille a appris que sa mère biologique était toujours vivante et qu’elle avait trois sœurs. On avait peur que ce soit encore un mensonge, une mère de substitution, mais l’officier a regardé ma fille et lui a dit : vous lui ressemblez beaucoup”, se rappelle Véronique.
On est allés retrouver la mère, dans un petit village, après avoir longtemps sillonné la campagne sri-lankaise, poursuit la mère de famille. L’émotion qui a suivi, c’est l’histoire de ma fille. On a questionné la famille. Il s’avère que Titania avait été volée à la naissance, à l’hôpital, alors que sa maman avait tout juste 17 ans. - Véronique Piaser-Moyen
Trafic de bébés au Sri-Lanka : “La France était au courant”
La révélation va briser à tout jamais la famille de Véronique, qui n’a cessé, depuis, de vouloir faire toute la lumière sur ce scandale.
“On va très mal, cela détruit une famille. J’ai sacrifié ma vie professionnelle, personnelle… Nous sommes très seuls avec mon époux, isolés dans notre combat, nos amis n’ont plus envie de nous voir… On finance toutes nos recherches avec notre argent, et nous ne sommes pas très fortunés.. C’est la réalité de notre vie : actuellement, on a une vie foutue.” - Véronique Piaser-Moyen
Titania, de son côté, n’a pas vu ses parents adoptifs depuis deux ans. “Pour notre fille c’est abominable, je n’arrive pas à m'imaginer ce qui se passe dans sa tête, et je ne lui en veut pas, même si j'aimerais tellement que ça ne soit pas comme ça, que ça ne soit pas arrivé, qu'il s'agisse d'une adoption dans les règles…”, souffle Véronique, rongée par la tristesse.
La tristesse, et la colère, aussi. La mère de famille et son époux dénoncent aujourd’hui l’omerta qui règne autour du trafic d'enfants, et la réaction “complice” des autorités françaises à l’époque. “L’ambassade n’a rien vérifié, alors même que y’a des incohérences sur le dossier de notre fille, comme pour beaucoup d’adoptés. On s’en est rendus compte après coup, de toutes ces choses qui auraient pu nous mettre la puce à l’oreille”, explique Véronique Piaser-Moyen. Pour elle, il ne fait aucun doute : la France était au courant de ce qu’il se passait sur place.
“En fouillant dans les archives des institutions diplomatiques, on a trouvé des documents qui prouvent qu’en 1983 l’ambassadeur en poste à Colombo a fait un courrier au ministre des Affaires étrangères en lui disant qu’il y avait un trafic d’enfants probable. Deux ans plus tard, ils nous ont laissé partir quand même. L’alerte a été relancée par d’autres diplomates en 1990, en 1991, en 1992. Mais ces signalements ont été ignorés par le gouvernement. Pourquoi ? Aujourd’hui, nous voulons qu’une enquête soit ouverte”, demande Véronique.
L'État français aurait dû nous protéger. Je n’en démords pas, eux étaient garants, ils nous ont fait remplir des documents, nous ont mis des coups de tampons… Alors qu’il y avait eu toutes ces alertes. - Véronique Piaser-Moyen
La mère de famille regrette aussi le manque d'unité parmi les nombreuses victimes de ce trafic. “Beaucoup de parents ont tellement honte, ou peur des conséquences, et ils n’osent pas en parler. Il y a un terrible déni, et une véritable omerta”, déplore t-elle.
C’est aussi dans ce sens que Véronique a écrit un livre, qui retrace l’histoire et le combat de son couple : Ma fille, je ne savais pas (ed. City). “C’était comme un devoir pour moi. Je savais écrire, et je me devais de le faire”, confie Véronique Piaser-Moyen. Même si elle le précise : “Ce livre, c’est notre vécu, notre combat, ça n’est pas l’histoire de ma fille, ça, c'est à elle de le raconter si elle le souhaite un jour. Quoi qu’il arrive, Titania reste notre fille chérie, on ne le remettra jamais en cause”.
Ma fille, je ne savais pas - Quand l’adoption internationale tourne au trafic d’enfants, de Véronique Piaser-Moyen (éditions City), 18,50 €