TÉMOIGNAGE. Je correspond avec des détenusIstock
Émilie, une francilienne de 45 ans, a un passe-temps pour le moins hors du commun. Elle est bénévole pour l'association le Courrier de Bovet et pratique l'art de l'échange épistolaire avec… des détenus. Elle nous raconte.
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Depuis deux ans, Émilie correspond avec des détenus, leur offrant sans mauvais jeu de mot, un "moment d’évasion" à travers ses courriers. 

C’est grâce à l’association Le Courrier de Bovet, fondée en 1950, qu’elle a trouvé ses correspondants. "L’association met en relation des personnes détenues, quel que soit leur profil, le lieu de leur détention ou la durée de leur peine, avec des bénévoles, afin de maintenir un lien avec l’extérieur, et de rompre l’isolement auquel sont confrontés les détenus", précise-t-elle.

Émilie, 45 ans, connaissait déjà bien cette problématique avant d’intégrer Le Courrier de Bovet. "J’étais déjà bénévole dans une association qui intervenait en milieu carcéral, en présentiel. Mais avec le Covid, ça s’est arrêté pendant un temps. Et le lien avec la prison me manquait", confie-t-elle. 

"L'association va 'matcher' le correspondant avec la personne détenue"

Au détour d'une recherche internet, Émilie découvre alors l’action du Courrier de Bovet, et finit par intégrer l’association en tant que bénévole.

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Dans le processus d’adhésion, on est reçus en tant que futurs bénévoles en entretien, par un accueillant. Pendant deux heures, au téléphone, il va nous aiguiller, nous expliquer les tenants et les aboutissants de l'engagement et voir dans quel mesure on pourra vraiment remplir notre mission. Car il faut comprendre qu’on doit s’engager pour la durée de la peine d’un correspondant dont on ignore tout - Émilie, bénévole de l’association Le Courrier de Bovet 

Car le correspondant bénévole est confronté, dans son exercice épistolaire, à des situations délicates, et plus largement, à la brutalité de la vie en prison.  "Il n'y a pas besoin de connaître le milieu carcéral, mais il faut être motivé", souligne Émilie. 

"Ensuite, l'association va chercher à faire 'matcher' le correspondant avec la personne détenue, en termes d’âge et de centres d’intérêt par exemple", poursuit la quadragénaire. 

Parce qu’il faut, évidemment, avoir des choses à se dire, par courriers interposés. 

Avec cette variable, non négligeable : de l’autre côté de la correspondance, une personne a été condamnée et vit derrière les barreaux

Correspondant pénitentiaire : "On ne peut pas leur demander pourquoi ils sont incarcérés"

"Le point clé de cette correspondance, insiste Émilie, c’est l’anonymat. On connaît le nom et la maison d’arrêt de notre correspondant, mais eux écrivent à un pseudonyme, et leur courrier arrive dans les locaux de l’association, qui réexpédie ensuite la lettre chez nous". 

Mais alors, que raconte-t-on à une personne détenue ? Et que nous raconte-t-elle à son tour ?

Émilie en convient : au départ, elle a failli avoir le syndrome de la page blanche

Mais chaque nouveau bénévole, heureusement, est accompagné par l'association dans la rédaction de ses premiers courriers. Ils nous orientent sur ce qu’il faut dire, et ce qu’il faut éviter. En tant que correspondant, on ne peut pas demander pourquoi ils sont incarcérés, et on ne doit pas donner trop d’informations personnelles. - Émilie, bénévole de l’association Le Courrier de Bovet 

Le mot d’ordre, selon elle, serait plutôt : "parler de ce que vous faites, pas de ce que vous êtes"

"On commence souvent une première correspondance en parlant de nos centres d'intérêt, en posant des questions, en leur parlant de la vie à l’extérieur… L’objectif, c’est de leur faire penser à autre chose. Ce sont des discussions souvent courtes, mais parfois très intéressantes", poursuit-t-elle. 

Les détenus, eux, "peuvent nous dire ce qu'ils veulent", ajoute Émilie, "tant qu’ils sont respectueux". Ainsi, elle a reçu quelques conseils de jardinage de l’un de ses correspondants, et un autre lui a parlé de son projet d’organiser un concert en prison. 

Au fil des échanges, c’est même un véritable lien qui se tisse, à en croire Émilie. 

Correspondant pénitentiaire : "Je suis son seul lien avec l'extérieur" 

La quadragénaire échange depuis deux ans avec deux détenus. "Forcément, cela crée un lien", murmure-t-elle. 

C’est une autre personne dans notre vie, qu’on ne verra jamais, mais qui est bien là, c’est une présence qui a beaucoup de sens. - Émilie, bénévole de l’association Le Courrier de Bovet 

Entre détenus et correspondants, les parloirs, et les appels téléphoniques sont interdits, pour préserver l'anonymat des bénévoles. "Lorsque le détenu est libéré, la correspondance peut continuer, en revanche, si les deux le souhaitent", précise Émilie. 

Pour la bénévole, cette activité, qui ne lui prend que quelques minutes chaque semaine, est extrêmement gratifiante.

"On peut écrire n’importe quand, du moment qu’on envoie une lettre tous les 15 jours ! Donc, c’est compatible même avec un emploi du temps chargé", elle assure. Avant d’ajouter : "on se sent utile, il y a un lien privilégié dont on sent qu’ils ont grandement besoin. L’un de mes correspondants était, au début de nos échanges, en très mauvaise posture. Je suis son seul avec l'extérieur. Suite à nos discussions, il a entrepris une formation en prison". 

Le côté désuet et littéraire de la correspondance épistolaire n’est pas non plus pour déplaire à cette francilienne. 

Cela me rappelle ma période adolescente, lorsque j’écrivais des lettres à mes amis. Et puis, j’adore ce moment lorsque j’ouvre ma boîte aux lettres et que je trouve une lettre dont je ne connais pas encore le contenu. Parfois, mes correspondants me glissent de jolis dessins, etc… - Émilie, bénévole de l’association Le Courrier de Bovet 

Correspondant pénitentiaire : "Nous avons beaucoup de demandes de la part des détenus"

Pour être bénévole, il faut, selon elle, être à l’écoute, bienveillant, et garder l’esprit ouvert. "Il y a aussi une forme de pur altruisme, car la correspondance peut s’arrêter du jour au lendemain, par exemple, si le détenu en décide ainsi. Il ne faut donc pas y chercher à tout prix de la reconnaissance", nuance-t-elle. 

L’association est pourtant inondée de demandes en provenance des prisons. "La plupart viennent du bouche-à-oreille entre détenus, ils sont tellement contents qu’ils en parlent autour d’eux", explique Émilie. 

Certains viennent même… depuis les Etats-Unis, et sont mis en relation avec des bénévoles qui parlent anglais. 

Alors, pour faire face à l’engouement, Le Courrier de Bovet recrute des correspondants. Pour vous inscrire, c’est par ici.