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L'ouvrage, explique Le Parisien dans son portrait de l'autrice, n'hésite pas à dire les choses ainsi qu'elles sont. Le langage est parfois cru : Bertoulle Beaurebec se présente par exemple, dans les pages de son manifeste intitulé Balance ton corps (ed. La Musardine), comme "une salope heureuse", "une pute cultivée et réfléchie". Il s'agit selon elle de "se réapproprier ces insultes pour mieux "les vider de leur substance". Une façon, explique cette afro-féministe de 24 ans et travailleuse du sexe, de lutter contre la "putophobie" ; un mal que dénoncent divers courants féministes depuis déjà des années. Il désigne, pour le dire simplement, le mépris et l'hostilité systémique qui pèsent sur celles et ceux qui ont fait de l'un ou l'autre des métiers de ce secteur leur profession.
Cela n'a rien d'anodin : ainsi que le rappelaient récemment les féministes du groupe de collages contre les féminicides et les violences conjugales de Paris, c'est un fléau qui tue. En 2020, il a fait au moins onze victimes. Sans compter toutes les autres qui n'en sont peut-être pas mortes mais en souffrent néanmoins. Il n'est évidemment pas le seul et participe d'un système plus global, lequel regroupe notamment le sexisme, l'homophobie ou la transphobie, expliquent-elles, et c'est autant de combat qu'elles entendent donc mener.
La putophobie, un combat vieux de plusieurs années ?
Si Balance ton corps constitue une occasion de plus d'aborder le problème que représente la putophobie, force est de constater que ce n'est pas la première fois. Déjà en 2013, indique PureMédias, le sujet s'était imposé au magazine Causette. Le titre de presse s'était alors fendu d'un article titré "55 raisons de résister à la tentation (pour vous, messieurs)", lequel avait été jugé à la fois insultant, humiliant et putophobe. Le Strass (Syndicat des travailleurs sexuels), avait d'ailleurs employé le qualificatif "abominable". Les salariés du journal s'étaient mis en grève après la publication d'un tel papier, indique Le Monde.
L'article comportait plusieurs propos particulièrement brutaux, lesquels se voulaient amusants, précise le quotidien du soir. Des écrits stigmatisant les prostitué(e)s, aux yeux d'une partie de la rédaction. Et la direction d'expliquer son état d'esprit, son positionnement : "En choisissant ces '55 raisons', nous avons voulu [voulu l'écriture] grinçante, choquante parfois, violente toujours. A l'image de la réalité de ces esclaves du sexe", déclaraient alors Liliane Roudière, rédactrice-en-chef du magazine et Grégory Lassus-Débat, le directeur de la publication.
Lutter contre la putophobie : apprendre à respecter les travailleuses du sexe ?
Pour Morgane Merteuil, militante féministe engagée en faveur des droits des prostituées et elle-même travailleuse du sexe, la putophobie ressemble beaucoup à la transphobie ou à l'homophobie. Elle signait, en 2013, une tribune dans les colonnes du Nouvel Observateur, intitulée Homophobie, putophobie, même combat ?.
"En tant que pute, je me sens concernée et liée aux luttes LGBT, parce que lorsque je vois ce qu'on vous balance dans la gueule, bien souvent, je crois reconnaître les mêmes phrases qu'on nous balance dans notre gueule à nous, putes, qui réclamons nos droits", écrivait-elle alors en introduction de son texte.
Selon elle, il s'agissait alors de reconnaître les droits des prostituées pour leur permettre une meilleure sécurité et un meilleur confort de travail plutôt que de les contraindre à exercer de façon dangereuse, en leur mettant des bâtons dans les roues. Et, somme toute, de tirer un trait définitif sur "le stigma de pute" qu'elle présente comme "une menace qui pèse sur toutes les femmes faisant preuve d'un peu de liberté sexuelle". Les protéger, donc, d'une violence qu'elles subissent déjà et à laquelle la putophobie participe.
Elle poursuit : "Légaliser la prostitution ne signifie pas dire aux enfants que le consentement d'une personne est toujours monnayable, mais justement à leur apprendre que jamais ils ne doivent tenter de contraindre ou forcer une personne à faire ce qu'elle ne veut pas, notamment dans le domaine sexuel". Et d'asséner ensuite, que le seul effet néfaste de la reconnaissance du travail sexuel concerneraient "celles et ceux pour qui le simple fait que des putes existent constitue déjà une agression". "Mais alors c'est à ces personnes de s'adapter, pas à nous de disparaître", écrit-elle encore.
Putophobie : du droit des femmes à revendiquer le contrôle sur leur corps, leur liberté sexuelle
Bertoulle Beaurebec de son côté, s'attaque entre autres choses à l'invisibilisation des prostituées qu'elle décrit comme "libres", à qui l'on nierait le droit de choisir leur métier, de disposer de leur corps.
Ce manifeste, explique-t-elle, vise justement à permettre aux femmes d'obtenir enfin ce droit. "C'était ce qui me semblait le plus important à écrire. J'ai cherché un livre qui racontait la réalité d'une travailleuse du sexe noire féministe mais je n'ai pas trouvé. A la différence des Etats-Unis ou de l'Angleterre, il y a un vrai vide sur ces sujets dans l'espace littéraire, politique et médiatique", détaille-t-elle aux micros du Parisien.
Il s'agit donc de rappeler que toutes les prostituées ne sont pas des victimes incapables "de pouvoir assurer leur subsistance en mettant à profit leur intellect" ou "des survivantes de trafic d'être humains". Deux réalités que ne nie pas l'autrice, mais qui ne représentent pas l'intégralité de ce que peuvent être les travailleuses du sexe. Certaines, assure-t-elle, l'ont aussi choisi. N'en déplaise à celles et ceux qui pourraient penser que cela ne saurait être un choix de vie réfléchi.
"La parole des travailleuses du sexe est très largement discréditée. Dès que l'une d'entre nous prend la parole, on va dire qu'elle n'est pas capable de définir ce qui est bon pour elle. Or, toutes les femmes ont le droit à l'autodétermination en matière de sexualité", confirme Amar Protesta, la porte-parole de la Fédération Île-de-France du syndicat du travail sexuel, elle aussi contacté par le quotidien régional. Et elle de rappeler combien l'ouvrage de Bertoule Beaurebec compte : "Elle explique en quoi le fait de disposer librement de notre corps renverse les codes du patriarcat".