Ce lundi 25 novembre est celui de la journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes. Zoom sur The Sorority, cette application réservée aux femmes et aux minorités de genre qui propose de leur...
Planet : Des études de marchés montrent que les seniors se tournent de plus en plus vers des sites de rencontre. C’est un nouveau phénomène ?
Jean-Jacques Amyot* : Les sites de rencontres s’intéressent aux seniors parce que c’est un marché gigantesque, entre 10 et 15 millions de personnes. Il y a aussi un vent de liberté avec les générations de 68 qui arrivent à la retraite et qui ont une autre image de ces questions. Mais il faut faire attention quand on parle de seniors, et prendre en compte la génération plutôt que l’âge. Quelqu’un qui a 65 ans aujourd’hui est très différent de quelqu’un de 83 ans par exemple. Sur les sites de rencontres, on est plutôt sur une tranche d’âge 60-70 ans. Pour cette tranche-là par exemple, c’est normal de refaire sa vie, ça l’est moins encore aujourd’hui pour les plus de 80 ans.
Planet : Est-ce qu’on recherche des choses différentes quand on a plus de 60-70 ans ou entre 20 et 30 ans ?
Jean-Jacques Amyot : Je pense que les différences se jouent plutôt au niveau individuel. A tous les âges, on trouve des gens qui ne recherchent que le sexe, que la stabilité, que la lutte contre l’isolement ou la solitude. Mais quel que soit l’âge qu’on a, on peut tomber amoureux, avoir un coup de foudre et faire des projets. C’est d’ailleurs quand la physiologie devient compliquée, que ce qui reste c’est l’idée de l’amour. Aujourd’hui, pas un livre ou un film ne sort sans une histoire d’amour. On a toujours l’idée, pour reprendre Aristote, qu’on va trouver la moitié qui nous manque.
Planet : Vous parlez justement de films, de télévision, pourtant on représente peu d’histoires d’amour entre seniors ?
Jean-Jacques Amyot : La difficulté de la représentation sociale de la sexualité c’est qu’en fait, ‘’il faut être beau pour avoir une sexualité’’. Cela fonctionne d’ailleurs pour tous les âges. La relation entre sexualité et beauté est très forte. Et comme on pense que « vieillir c’est s’enlaidir »…
Planet : Comment l’importance de la sexualité chez les seniors évolue avec l’âge ?
Jean-Jacques Amyot : Encore une fois, cela dépend des profils, avec des différences parfois considérables. La sexualité c’est un cycle, cela fonctionne si vous le faites marcher. Plus vous le faites fonctionner, plus ça fonctionne. L’institut de la sexualité dit qu’après 80 ans, un homme sur deux dit avoir de la sexualité, quelle qu’en soit la forme. C’est 30% des femmes. Après il faut évidemment prendre en compte la physiologie, chez l’homme on résiste plus facilement à l’éjaculation, avec donc une phase de plateau beaucoup plus longue. On peut aussi avoir une relation en plusieurs fois. Chez la femme, il y a aussi des modifications physiologiques.
Planet : On lit souvent que le rapport est moins important en termes de génitalité, et plus tourné vers la sensualité...
Jean-Jacques Amyot : Les seniors ne pensent pas forcément leurs sexualité comme les plus jeunes, en terme de performance ou de nombre de fois. D’autant qu’on ne découvre pas sa sexualité quand on est seniors, c’est une progression sur toute la vie. On change petit à petit ses modèles et surtout il ne faut pas oublier que c’est le partenaire en face qui joue pour beaucoup. Avec l’âge on a peut-être un côté pulsionnel moins fort, ce qui change forcément le rapport à la sexualité.
Planet : On utilise de plus en plus l’expression « nouvelle sexualité des seniors », revêt-elle une réalité sociologique particulière ?
Jean-Jacques Amyot : Plus que nouvelle sexualité, ce sont surtout des nouveaux seniors, une nouvelle génération. Là, c’est la génération de 68, après il y aura la génération SIDA. Ces nouveaux seniors ont moins de tabous et des pratiques différentes. Plus que leurs aînés, ils ont eu la chance d’avoir une sexualité diversifiée.
Planet : Comment la sexualité est abordée et prise en compte dans les EHPAD ?
Jean-Jacques Amyot : Ce qui entre dans ces établissements, c’est la vie courante et donc ses tabous. Pour faire l’amour, il faut aussi au moins être deux, et à partir d’un certain âge, il y a moins d’hommes que de femmes. En institution, les hommes sont rares, sans compter que 90% du personnel est féminin et 90% des résidents sont des femmes, c’est donc un univers complètement féminisé. Il faut prendre cela en compte. Il peut d’ailleurs y avoir des attouchements ou des caresse entres femmes, parce que quand vous avez du désir, comment vous faites ? La deuxième question c’est que trois-quarts des gens qui rentrent en institution n’ont pas désiré y rentrer. Comment dès lors désirer dans un lieu non-désiré ? Ensuite, quand on rentre dans ce type d’établissement, c’est aussi parce qu’on a un problème physique. Cela implique souvent des traitements. Enfin quand vous regardez comment fonctionne les institutions, vous n’avez soit un lieu purement privé, la chambre, alors que tout le reste est public. Cela complique les processus de la rencontre, parce qu’il n’y a pas d’espace intermédiaire.
Planet : Est-ce qu’on va vers une meilleure prise en compte de ce problème dans les institutions ?
Jean-Jacques Amyot : Ça reste quelque chose de difficile. On sent que les professionnels sont sensibles à ces questions, mais c’est difficile à appréhender. Au cours d’une des formations que j’ai données, on est venu me voir en me racontant : "Il y a un couple qui s’est formé dans l’institution, avec un lit une place". Imaginez à 80 ans… Et la nuit, souvent, il y en a un des deux qui tombent. Cela n’a pas les mêmes conséquences à 20 ou 80 ans. Faire rentrer un lit deux places, c’est aussi compliqué. Il y a plein de résistances, à la fois pratiques et psychologiques. Le corps en institution, c’est aussi un corps qu’on soigne, il est médicalisé. Ca révèle d’ailleurs tout le paradoxe de ces établissements, ce sont à la fois des lieux de soins, et des lieux de vie. Enfin, il y a aussi les familles, certaines ont du mal et considèrent « qu’après papa », il ne peut y avoir personne. Elles n’acceptent pas l’idée que leur parent refasse sa vie. A ce niveau-là, la pression sur les femmes est assez forte.
*Jean-Jacques Amyot a récemment publié Mettre en œuvre le projet de vie dans les établissements pour personnes âgées (Dunod)