Laurent Seksik, perdu dans l'Ouest américainIstock
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Décors changeants

On imaginera aisément, à la lecture de La Légende des fils, que Laurent Seksik connaît bien l'Arizona. La région le fascine, sans doute. Ou peut-être n'y est-t-il jamais allé. Après tout, l'écrivain peut convaincre à l'aide des mots, et dessiner des paysages inédits au monde. L'exactitude a finalement peu d'importance. "Il contemplait le ciel. Il tenait en équilibre sur la lueur des ondes, dansait au milieu des étoiles, sondait tout l'horizon et plus rien n'était triste, amer ou désolé, la nuit avait vaincu tout ce qu'était le jour."

Les descriptions de Seksik saisissent par leur capacité à incarner chaque élément dans une action symbolique ou synesthésique: "Des buissons d'ocotillos dérouleraient sous ses pas des tapis de lumière". Les sens s'affolent, comme la boussole attirée par l'aimant, mais Scott, héros torturé (par son père et par l'idée de son père même), est serein, plongé au coeur de l'immensité naturelle.

Ecrasante inertie

La Légende des fils commence par une fuite. Le lecteur découvre Scott, adolescent perturbé par la violence et la bétise de son père, mais tendrement attaché à sa mère. Il fuit un quotidien sombre, qui influence ses sentiments et ses réactions: "Quel effet procurait de mettre en joue l'auteur de ses jours?" se questionne-t-il malicieusement. Le personnage semble déjà à bout, prêt à se surpasser. Mais il fait demi-tour, passivement. Le lecteur espère alors la fuite, mais toute tentative sera immédiatement désamorcée.

Ce ne sont pas tant ces barrages intempestifs qui agacent le lecteur, mais bien l'inertie totale qui règne sur les personnages et l'intrigue. Scott, quant à lui, n'a pas la chance de disposer d'une véritable personnalité: il commente épisodiquement son admiration pour John Fitzgerald Kennedy, souligne combien il aime sa mère, et voilà tout.

Des routes injustement oubliées

Vidéo du jour

Le lecteur sera dubitatif tant le corps du roman semble avoir été négligé: toutes les voies que Seksik nous propose, il les quitte quelques pages plus loin, pour ne se focaliser, finalement, que sur une admiration béate du fils envers la mère. Une sorte de triangle relationnel, qui aurait pu fonctionner en circuit fermé dans un roman de Marguerite Duras, par exemple (en étant circonscrit à quelques lieux bien délimités et bien localisés), piège l'intrigue dans un romanesque essouflé, jamais surprenant.

Le point de vue omniscient adopté par le narrateur n'arrange rien à l'affaire, puisqu'il ne fait qu'accentuer les "obsessions" de Scott: détester son père, aimer sa mère. Ajoutons à cela un côté à la Lennie Small (le simple d'esprit de Des Souris et des Hommes de John Steinbeck), qui rend toute irruption dans l'intériorité de Scott terriblement... lente. Dommage, surtout que le personnage aurait pu s'ajouter aux galeries des êtres créés de toutes pièces par Faulkner (on peut penser au mode de réflexion de Vardaman Bundren, dans Tandis que j'agonise, hélas beaucoup moins complexe).

Innocence perpétuelle

"Le récit de l'innocence perdue." assure la quatrième de couverture. Drôle de formule pour qualifier La Légende des fils, qui nous expose pendant deux cents pages l'innocence ininterrompue et butée d'un jeune homme. Les dernières pages du livre laisseront d'ailleurs perplexes plus d'un lecteur. Quelle perte? Tout semble très bien entretenu, et même renforcé malgré un évènement plus que formateur, choquant.

Les fils du titre, ce sont Scott et John Fitzgerald Kennedy, tous deux placés sous la férule d'un père trop autoritaire, tyrannique (Joe Kennedy, père du futur Président). Un parallèle qui aurait pu s'avérer fertile, en y ajoutant le malaise propre à la société américaine de l'époque, terrifiée par les terreurs balistiques venants de l'Est. Cependant, quand John Kennedy est devenu un personnage américain a mi-chemin entre le mythe et la caricature, Scott ne parvient pas à créer sa propre légende. Et est condamné à rester simplement fils.