D-Day : "Le peloton de mon père a arrêté un train nazi avec des affaires appartenant à Hitler"
Patrick Kelley a retrouvé le journal de son père Jay Hilary Kelley, officier américain du Génie pendant la Seconde guerre mondiale qui a participé à la capture d'un train transportant des effets personnels du dictateur et de sa compagne Eva Braun. Il livre son témoignage.
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“Il a feint la mort pendant 10 heures lors de la Bataille des Ardennes”, raconte Patrick Kelley. Son père, Jay Hillary Kelley est lieutenant au sein du 51e bataillon du Génie de l’armée américaine lorsqu’il participe à ce terrible épisode de la Seconde Guerre mondiale. Pendant ces dix semaines de terreur durant l’hiver glacial de 1944-1945, un million de soldats alliés affrontent 500 000 militaires allemands au cours de cet affrontement appelé la “Bataille du Renfoncement” (Battle of the Buldge) par les Anglo-saxons, en raison de la forme de la ligne de front.

De Utah Beach à la banlieue d’Erfurt

Pour ne pas se faire repérer, Jay “H” Kelley se terre donc, restant coûte que coûte immobile dans le froid, comme il le raconte dans un journal intime où il consigne jour après jour son quotidien de soldat, que son fils Patrick Kelley a retrouvé bien des années plus tard et dont il nous a confié quelques extraits.  

Quelques mois plus tôt, son père, alors officier de 24 ans, a, comme des milliers d’autres compatriotes, débarqué en Normandie, sur la plage de Utah Beach. Il survit à ce carnage, tout comme au second dans les Ardennes. L’aventure est loin d’être terminée. 

Le 12 avril 1945, la IIIe armée du Général Patton libère la ville d’Erfur t. Non loin de là, dans la bourgade de Gebesee, un SS qui a dirigé un camp de concentration en Lettonie, Fritz Scherwitz, délaisse son uniforme pour des vêtements civils. Il enjoint la poignée de prisonniers qui l’accompagnent depuis Riga à faire de même.

Depuis plusieurs mois, le groupe transportait du matériel dans des wagons, sans doute des uniformes rapiécés dans la prison-usine où ils étaient détenus, Lenta. Aussi fou que cela puisse sembler (1), les anciens prisonniers, Juifs pour la plupart, avaient revêtu certains de ces uniformes afin de passer inaperçus dans l’Allemagne en totale déroute où ils se déplaçaient depuis février ou mars 1945.

La nappe d’Eva Braun 

Vidéo du jour

Ce 12 avril 1945 donc, ce groupe se “rend” au peloton américain présent sur place. Peloton dont fait partie le fameux Jay H. Kelley. Selon son fils, Patrick Kelley, ce train arraisonné “partait de Berlin pour se rendre vers le Berghof”, résidence secondaire d’Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises. Il “contenait des objets personnels ayant appartenu à Eva Braun et Adolf Hitler”, indique le fils de l’officier, qui a d’ailleurs hérité d’une nappe ayant portant le monogramme d’Eva Braun (cette dernière épouse Hitler le 29 avril 1945, avant leur suicide dans le bunker berlinois du dictateur, le lendemain). 

Impossible pour l’heure d’affirmer si les voitures contenant des objets personnels du “Fürher” et de sa compagne d’une part, et ces wagons transportés par Scherwitz et ses prisonniers appartenaient à un seul convoi. Difficile également de déclarer avec certitude qu’il s’agissait du fameux “Führersonderzug”, initialement baptisé “Amerika”, le train qui a fait l’objet d’un documentaire disponible du Netflix. En effet, en mai 1945,à la veille de l’Armistice, les partisans nazis détruisent le wagon personnel d’Hitler

Secrétaire/chauffeur/traducteur

Néanmoins, un train contenant des effets personnels d’Hitler fut bien arraisonné par le peloton de Kelley et le groupe mené par Scherwitz a bel et bien suivi ce même bataillon dans les jours qui ont suivi. Parmi les anciens prisonniers juifs de Scherwitz, un homme, Boris Jankolovics (l’arrière-grand-père de l’autrice de cet article NLDR), devient même le traducteur, secrétaire et chauffeur de Kelley. 

Ancien directeur de la filiale polonaise de la major hollywoodienne Warner Bros, Jankolovics, Letton d’origine, avait été déporté en 1941, sans doute suite à sa participation à la résistance française, au sein du réseau franco-polonais “F2”. Pour lui, comme il l’écrit dans son journal, Kelley tente de contacter Jack Warner, le patron du groupe américain. Il se met aussi en rapport avec l’USO (United States Organizations), qui réunit régulièrement des stars internationales d’alors telles que Bing Crosby, Bob Hope ou encore Marlene Dietrich venues divertir les troupes non loin du front.

Dénazification de la Bavière

Toutefois, au quotidien, le travail de Kelley se révèle bien moins plaisant. Intégré au gouvernement militaire américain après l’armistice du 8 mai 1945, il a pour mission de rétablir une administration locale, dans la région de Dachau, près de Munich. “Pour reprendre le contrôle, il a dû évincer les dirigeants nazis locaux”, qui occupaient tous les postes de pouvoir importants, rapporte Patrick Kelley. “Il était furieux contre ces administrateurs : il y avait de très graves pénuries alimentaires”, ajoute-t-il. 

Méfiant vis-à-vis de son traducteur, qu’il prend vraisemblablement pour un espion (ce qu’il était peut-être), un supérieur hiérarchique de Jay Kelley contraint ce dernier a se séparer de Jankolovics. Mais, il ne le laisse pas tout à fait sans ressource : il lui donne la Mercedes réquisitionnée par les troupes américaines et l’accompagne jusqu’à Paris, où il lui écrit une lettre de recommandation. 

Un ami de JFK

Jankolovics retrouve plus tard sa fille, réfugiée à Londres, mais pas sa femme disparue dans le camp de Stutthof en Pologne, tout comme d’autres prisonniers de Scherwitz. Il est engagé en 1946 par la Paramount dont il devient un représentant au Benelux et en Allemagne, avant son décès en 1973. 

Quant à Jay Kelley, après sa démobilisation et son retour aux Etats-Unis, il reprend ses études et obtient un doctorat. Ami des Kennedy, il devient c onseiller scientifique pour l’ancien président américain ainsi que pour son successeur Lyndon B Johnson. Il est plus tard nommé doyen de l’université de West Virginia. Il est décédé en 2014. Son fils Patrick a entrepris de retranscrire son journal, dont ils nous a livré des extraits exclusifs. 

(1) Ces éléments proviennent d’auditions entre 1948 et 1957 en vue du procès de Fritz Scherwitz, rapportés notamment dans l’ouvrage suivant: Kugler, Anita. Scherwitz: Der jüdische SS-Offizier. 1. Aufl. 757. Köln: Kiepenheuer&Witsch, 2004.