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Philippe Crevel est économiste, spécialiste des questions macroéconomiques. Il a fondé Lorello Ecodata, société d'études et de stratégies économiques, et dirige le Cercle de l'Epargne. Il s'agit d'un centre d'études et d'information consacré à l'épargne et à la retraite.
Planet.fr : L'Etat a engagé des milliards d'euros de dépense pour lutter contre l'épidémie de coronavirus CoVid-19. Si le plan de relance devrait partiellement être couvert par l'Union Européenne, les autorités n'ont pas été très claire sur l'exactitude du financement. Faut-il craindre la tentation d'un nouvel impôt pour remplir les caisses ?
Philippe Crevel : Force est de constater que les déficits sont abyssaux. Début novembre, Bercy tablait sur un déficit public à 11,3% du PIB pour l'année en cours, rappelle 20 minutes. La dette approche des 120% du produit intérieur brut... Dès lors, il paraît évident que la tentation pourrait exister. Sans prendre en compte les problèmes économiques et sociaux que cela pourrait engendrer, la création d'un nouvel impôt pourrait théoriquement ressembler à une solution attrayante. Cependant, le gouvernement s'y oppose dans l'immédiat. Ce n'est pas surprenant.
Emmanuel Macron et ses ministres gardent en mémoire l'épisode de 2012-2014, pendant lequel François Hollande avait décidé de mettre un tour de vis fiscal. Le pays commençait alors à reprendre du poil de la bête après la crise économique survenue pendant la précédente mandature et a très mal supporté ce choix politique. Actuellement, il pourrait entraîner une récession.
Le président, je suppose, se souvient aussi du mouvement des Gilets Jaunes qui avait débuté après une hausse de taxe sur le carburant. Compte tenu de la façon dont les choses se sont déroulées ensuite, il semble compréhensible qu'il ne soit pas très tenté par une nouvelle hausse de la pression fiscale dans l'immédiat.
A long terme, une probable augmentation de la fiscalité
Tant sur les plans économiques que sociaux, la création d'un nouvel impôts – ou l'augmentation d'une taxe déjà existante – présente des complications importantes qui sont susceptibles d'engendrer de vrais problèmes. Dans un contexte pareil, je doute que ce genre de mesure soit d'actualité... En tout cas à court terme.
A moyen ou à long terme, il est plus difficile de se projeter avec certitude. Si nous ne parvenons pas à relancer la croissance et que les déficits restent aussi inquiétants, la question finira mécaniquement par se poser. Au vu du contexte électoral qui est le notre, il semble peu probable qu'un président récemment élu – Emmanuel Macron inclut – s'y essaye avant l'année 2023. Peut-être même en 2024.
Les problèmes d'un impôt pesant uniquement sur les plus riches
Planet.fr : D'aucuns soutiennent qu'il faudrait réfléchir à une évolution de la fiscalité, notamment pour atténuer un éventuel sentiment d'injustice. Certains équilibrages non évoqués précédemment permettraient-ils en effet la hausse des impôts sans condamner l'économie ?
Philippe Crevel : Où que l'on se tourne, l'idée que la fiscalité se doit d'être juste et équitable constitue un sentiment très amplement partagé. Il n'est pas sans présenter certaines limites, cependant. C'est quelque chose que l'on constate très souvent en France : pour une majorité des contribuables ; cette recherche d'équité et d'égalité serait théoriquement parfaite si elle s'arrêtait à leur palier. Les impôts doivent être justes, certes, mais chacun aimerait ne pas avoir à supporter cette justice, somme toute.
Naturellement, l'on pourrait penser à taxer davantage les riches. C'est une idée récurrente que l'on entend souvent. Elle soulève une question : comment définit-on un individu "riche" ? S'agit-il, comme l'estimait François Hollande, de toutes celles et ceux qui perçoivent quatre mille euros par mois ? Techniquement, cela signifie alors s'attaquer à un pan de la classe moyenne, qui n'est pas assez aisée pour pouvoir se soustraire à l'impôt en partant. Plus important, les contribuables concernés sont nombreux. L'assiette fiscale est donc importante.
Si l'on estime au contraire que les "riches" en question sont celles et ceux qui touchent plus de dix milles euros par mois, accumulent des millions d'euros de patrimoine, etc., on s'expose à une situation très différente. D'abord, l'assiette fiscale se réduit considérablement. Même en les taxant à 30 ou 40%, il ne serait pas nécessairement possible de récupérer assez d'argent. Ils ne peuvent pas, à eux seuls, financer des milliards de déficit, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux. Ensuite, ils ont aussi les moyens de partir s'ils estiment que la pression fiscale devient insoutenable...
Il y a là un dilemme, mais ce n'est pas pour rien que les hausses d'impôts pèsent généralement sur les mêmes. Les autres ne sont pas nécessairement imposables ; ou alors ils sont trop mobiles.
CoVid : vers une taxe spéciale sur les retraités ?
Planet.fr : Que répondre à celles et ceux qui appellent à une plus forte taxation des bénéfices extraordinaires, de celles et ceux qui auraient moins souffert de la crise sanitaire, outre plus aisés ?
Philippe Crevel : C'est une option qui est toujours très tentante.
Certes, d'un point de vue purement financier, tout le monde n'a pas souffert de la même façon que les autres. Les retraités, par exemple, ont été globalement épargnés. Je doute cependant qu'un candidat, quel qu'il soit, se lance sur ce sujet. Tout le monde sait combien les marges de manœuvres politiques sont restreintes quand il est question des plus âgés d'entre nous : les retraités votent beaucoup et n'hésitent pas à se mobiliser comme ils l'ont fait après la hausse de la CSG.
On pourrait aussi penser aux fonctionnaires qui, sur le plan financier, sont moins malmenés que d'autres. Mais là encore, une hausse de l'impôt sur cette catégorie de la population spécifiquement semble très dure à défendre. Depuis le début de la crise sanitaire, les soignants, les professeurs, les policiers, les militaires... Tous se mobilisent et front. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'il s'agit globalement d'un corps très syndiqué et donc là aussi capable de se mobiliser.
Du reste, la France pourrait s'en prendre aux GAFA, mais le dossier est complexe. Il dépasse notre seul pays. D'aucuns soutiennent aussi qu'il faudrait s'attaquer aux grandes surfaces mais je n'en suis pas convaincu : c'est prendre le risque de rendre la situation plus compliquée encore, et de supprimer des emplois en masse.
Enfin, les bénéfices extraordinaires sont déjà taxés en France. Depuis le début de la crise, ils le sont d'ailleurs parfois de façon cavalière... C'est notamment le cas pour les société d'assurance et les mutuelles de santé.