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Planet : Un nouvel ouvrage, intitulé Les Fossoyeurs, revient en détail sur les dysfonctionnements des Ehpad Orpea. Les révélations des journalistes ayant travaillé sur ce dossier font grand bruit, tant et si bien que la ministre déléguée chargée de l'Autonomie – Brigitte Bourguignon – a déclaré lancer une enquête administrative de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et une enquête financière sur le groupe. D'aucuns blâment maintenant le privé et parfois l'État, pour l'avoir laissé s'infiltrer dans le secteur. Quelle pourrait être pourtant la responsabilité du service public ?
Florence Legros : Très sincèrement, y compris à la lecture des extraits de l'ouvrage de Victor Castanet, il m'apparaît injuste de jeter l'opprobre sur l'ensemble d'une profession au prétexte qu'une entreprise se serait mal comportée. Bien sûr, ces témoignages sont monstrueux. Ils font tressaillir. Cependant, si tant est que tout ceci soit avéré, je ne suis pas convaincue que le problème relève du domaine politique ou de celui de la santé. A mon sens, c'est bien davantage un problème pénal. Il ne s'agit ni plus ni moins que de voyous qui escroquent et dépouillent les gens.
On ne peut pas, me semble-t-il, jeter l'opprobre sur un secteur dans son intégralité parce que l'une de ses composantes agit de façon répréhensible. Ce n'est pas juste et ce n'est pas justifié.
Scandale Orpéa : "Si le privé prospère, c’est que le public ne se montrait pas performant"
Ceci étant dit, ces révélations soulèvent de fait un certain nombre de questions. N'oublions pas qu'il s'agit d'un secteur assez largement abondé d'argent public et cela signifie donc que la responsabilité du contrôle revient à l'Etat. Lequel me semble d'ailleurs pour partie responsable des tarifs aberrants pratiqués par ces établissements : en couvrant bien trop les frais à charge des particuliers, il encourage naturellement le secteur privé à gonfler ses prix. Bien sûr, ceux-ci sont chers ! Mais puisque l’Etat rembourse ensuite - et que le reste à charge est statistiquement assez peu élevé -, il est attendu que le privé en profite. En pratique, rappelons-le, ce reste à charge mensuel moyen n’excède que de quelques centaines d’euros la pension de retraite mensuelle moyenne en France.
Il importe aussi de rappeler que la proéminence du secteur privé n’est pas anodine : la nature ayant horreur du vide, y compris en économie, cela signifie simplement que le secteur public ne s’est pas montré assez performant. S’il n’avait pas rencontré de problème, le privé n’aurait pas su se développer ainsi qu’il l’a fait ; quand bien même il est essentiel de souligner les efforts engagés ces dernières décennies.
Je crois aussi qu’il faut interroger la responsabilité, dans une certaine mesure, des familles. Comment peut-on passer à côté de telles malnutritions et maltraitances ? Sont-elles assez présentes, assez attentives ? Tout ceci pose question.
Cela ne veut pas dire, évidemment, que le secteur privé est exempt de reproches. Jean-Marie Robine, gérontologue et co-validateur de la longévité de Jeanne Calment, estime par exemple qu’il n’y a pas besoin de médecins payés aussi chèrement sur place ; puisqu’ils se contentent souvent d’une visite de formalité auprès des patients, lesquels sont ensuite redirigés vers des médecins de ville en cas de problème. Selon lui, une "bonne infirmière scolaire", pour peu qu’elle fasse preuve de bon sens, ferait parfaitement l’affaire et coûterait nettement moins cher. Il y a de toute évidence des problèmes de gâchis d’argent dans le secteur… Alors même qu’il faut revaloriser le salaire des aidants et faire des efforts de recrutement. Il faut rendre de l’optimisme à ces métiers, redonner de l’attractivité à ce genre d’activité. Mais le secteur de la vieillesse est moins trépidant que celui de la jeunesse, y compris sur le plan politique…
Scandale Orpea : "Ne pas faire d’office le procès du privé"
Planet : Le privé est souvent tenu pour responsable des défaillances sanitaires ou sociales en France ; comme cela peut-être le cas pour l'hôpital ou l'école. Ces discours vous semblent-ils répondre de la même logique ? Auquel cas, peut-on vraiment les juger pertinents ?
Florence Legros : Dans ce genre de situation, on assiste assez systématiquement à la condamnation du secteur privé. Cela n’a rien d’étonnant, puisqu’il s’agit de sujets par essence très politiques. Ils parlent en effet de la déliquescence du service public en France et les griefs habituels - lesquels portent la plupart du temps sur les moyens consacrés à ces secteurs - ont pignon sur rue.
Ceci étant, ces discours très politiques me paraissent incomplets, sinon biaisés. Cela fait des années que l’on ne met l'accent que sur la question des moyens. Cette dernière n’est pas sans importance, bien évidemment, mais elle ne saurait résoudre le problème à elle seule. Il y a aussi, me semble-t-il, un souci de répartition de ces mêmes moyens ; en témoigne les déclarations de Jean-Marie Robine par exemple. Il ne suffit pas toujours d’engager davantage de médecins ou plus de professeurs…
Ceci étant dit, il ne faut pas se contenter de faire le procès du public ou du privé. Il serait bien plus pertinent de remettre les choses à plat, de prendre un peu de recul et pourquoi pas d’aller voir comment se passent les choses à l’étranger. En Belgique, me semble-t-il, la situation n’est pas la même : l’hébergement y est moins cher et je ne serais pas surprise que de nombreux Français frontaliers décident de placer leurs parents chez nos voisins.
Scandale Orpea : "Le secteur est abondé d’argent public, pourquoi n’est-il pas plus contrôlé ?"
Planet : Faut-il penser que ce nouveau livre-enquête saura faire bouger les choses, comme d'aucuns pourraient le croire avec le limogeage du DG d'Orpea ? Le choix d'une figure venant du milieu pharmaceutique n'est-il pas un symbole dérangeant ?
Florence Legros : Si cette dénonciation suffit à faire changer les choses, ce sera un soulagement. Des enquêtes ont été annoncées par le gouvernement ; espérons qu’elles déboucheront sur davantage de contrôle. Il m’apparaît d’ailleurs très étonnant que le secteur de la dépendance, largement abondé d’argent public, ne soit pas davantage surveillé. Ensuite, en fonction de ce qui ressortira de ces analyses, se posera ou non la question du maintien de ces financements.
Du reste, si le problème n’est pas systémique et relève d’un souci de management, il apparaît évident qu’il fallait changer la tête du groupe. Je ne suis pas convaincue que la nomination de Philippe Charrier soit particulièrement plus maladroite qu’une autre. Qu’aurait-on dit s’il émanait d’une école de commerce ou de marketing ? Ne perdons pas de vue que les responsables associatifs n’auraient jamais accepté un tel poste ; dont les missions apparaissent d’ailleurs conséquentes. Il ne faut pas seulement savoir manager une équipe, mais aussi pouvoir s’occuper du patrimoine immobilier - parfois historique - du groupe.