Pendant la période des fêtes de fin d’année, une nouvelle méthode de fraude particulièrement sournoise émerge : des faux conseillers bancaires qui utilisent WhatsApp pour tromper les Français.
Orphelins et sans revenus, ils n'avaient pas le choix. Roman Malo est l’aîné d’une fratrie de trois enfants et a donc deux petites sœurs, dont la dernière est âgée de seulement 14 ans. Il y a un an, à la fin de l’été 2021, ces trois orphelins avaient attendri la France entière en racontant leur histoire au Journal du Pays Yonnais. Ils se remémoraient alors leur arrivée en Vendée – depuis leur Belgique natale – la découverte de grands espaces, la vie rurale, mais surtout le moment où toute la famille a basculé dans la pauvreté... Jusqu'au cancer qui a emporté leurs deux parents.
De la Belgique à la Vendée, de la classe moyenne à la précarité
Au début des années 2010, la petite famille devait reprendre un élevage canin déjà bien installé, ce qui ne s’est jamais fait. Il s’agissait en réalité d’une arnaque, ce que sa mère a mis du temps à accepter, contrairement à son père. Sans revenus, sans aide de personne, ils basculent doucement dans la pauvreté, alors que leur mère enchaîne les missions d’intérim et les CDD, souvent de l’aube à la nuit tombée, pour nourrir les quatre bouches de la famille. Les années passent, toujours plus difficiles, avec la mort de leur père quelques temps après, les petits boulots que Roman Malo débute à 14 ans et le besoin de s’en sortir pour assurer un avenir à ses sœurs.
De ses 14 à ses 24 ans, Roman Malo n’aura qu’un objectif en tête : réussir à l’école, puis dans ses études, pour pouvoir sortir de la précarité. Un rêve réalisé maintenant, mais qui a connu de nombreuses secousses, surtout après le décès de leur mère au mois d’août dernier. Si les deux aînés sont majeurs, leur petite sœur est toujours mineure et personne ne peut prendre sa garde à part eux. Problème, ils doivent justifier de ressources suffisantes pour pouvoir l’élever, ce qui n’est pas le cas pour ces deux étudiants qui ont déjà beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Une cagnotte, ouverte pour payer les obsèques de leur mère, rencontre un succès national et inattendu, qui leur a permis d’assurer financièrement la garde de la cadette… Qu’ils ont obtenue au mois de mars 2022.
"La plupart des gens ont compris qu'on allait devenir orphelin, mais ils ont aussi le droit de savoir comment on en était arrivé là"
Cette histoire, Roman Malo a décidé de la raconter à la première personne dans un livre qui vient de sortir, écrit avec Catherine Siguret. Intitulé Nous n’avions pas d’argent, mais nous avions l’amour (Albin Michel), l’ouvrage revient sur les désillusions de ses parents, les joies de ses sœurs et ses rêves à lui. Tout au long des pages, il dresse aussi un constat sans filtre, parfois brutal, de la précarité et de ceux qui sont tombés dedans. Nous l’avons rencontré.
Vous avez tout fait pour cacher votre situation la moitié de votre vie. Pourquoi écrire ce livre maintenant et tout dévoiler ?
Roman Malo. Avec un certain recul, je peux dire qu’il y a deux raisons principales. Premièrement, je voulais écrire ce livre comme une sorte de remerciement à l’ensemble des personnes qui nous ont aidés, grâce à la cagnotte. Ils l’ont fait sans vraiment savoir pourquoi : la plupart ont compris qu’on allait devenir orphelins, qu’on allait être en grande précarité financière, mais les gens ont le droit de savoir comment on en était arrivé là, devant eux.
Il y a aussi une raison qui m’anime depuis longtemps. Ce qui m’a permis d’en être où j’en suis aujourd’hui c’est la rencontre avec des livres, des auteurs. Certains m’ont empêché de devenir fou à l’adolescence. Je ne trouvais pas pour autant ce qui correspondait à ma réalité : soit c’était romancé, soit il y avait trop de dédain de la part de ceux qui étaient sortis de la précarité. J’espère que mon livre pourra aider ceux qui, dans la même situation, sont perdus. En fait, j’ai écrit ce que j’aurais aimé lire il y a quelques années.
"Je voulais montrer que ma mère s'est toujours battue, en ne prenant jamais de vacances"
Vous dépeignez une facette parfois très brutale de la précarité et des "pauvres" qui "font pauvres"…
Roman Malo. Pendant très longtemps, je pensais que c’était la faute de mes parents. Quand on n’a pas d’argent le moindre de nos choix a de grosses conséquences, surtout lorsque ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. Je voulais montrer que ma mère s’est toujours battue, en ne prenant jamais de vacances, en n’acceptant pas une seule fois d’être au chômage, en n’arrêtant jamais de travailler. Elle n’était pas une victime, comme on peut parfois le dire de ceux qui sont tombés dans la pauvreté. Au contraire, elle a tout fait pour qu’on ne reproduise pas ce schéma, notamment grâce à l’école.
Vous n’épargnez pas non plus votre famille par moment, on vous sent aussi très en colère…
Roman Malo. Dans beaucoup de cas de précarité que j’ai rencontrés, les parents n’osent pas être exigeants envers leurs enfants, car ils s’excusent de la vie qu’ils leur ont donnée. C’était pareil pour ma mère : elle avait peur de mettre du cadre à Morgane [la plus âgée des deux sœurs, NDLR] car elle pensait devoir s’excuser de cette vie-là. Avec mon livre, je voulais montrer que, quel que soit le milieu d’où l’on vient, on a le droit d’avoir de l’ambition et de s’en donner les moyens. Ma mère a toujours insisté sur l’hygiène, d’essayer d’avoir des vêtements à notre taille et refuser le stéréotype du pauvre : il ne sent pas bon, il mange mal, il ne fait pas de sport… Ce n’est pas du tout la réalité ! J’ai essayé d’être très dur là-dessus, avec ma sœur, pour lui dire : "On se réveille, il va falloir te prendre en main, soit tu acceptes de t’enfoncer, soit tu te prends en main". Pour changer il faut accepter la critique.
"Je vis encore hanté par la question de l'argent, alors que je gagne correctement ma vie"
Vous consacrez beaucoup de pages à la descente de votre père, qui n’a rien voulu voir, jusqu’à sa mort et qui dépensait de l’argent que vous n’aviez pas ?
Roman Malo. Mon père a vécu ce déclassement, mais il est resté accroché à un idéal de vie, à l’idée de lui avec de l’argent – comme c’était le cas avant – de lui en Belgique… Il a refusé ce changement. Moi j’ai provoqué ce changement, mais je vis encore hanté par cette question de l’argent, alors que je gagne correctement ma vie. J’ai beaucoup de choses dans ma vie, mais j’ai toujours l’impression de ne pas être légitime, alors que mon parcours me montre l’inverse. Ca a laissé une empreinte assez forte.
Un autre passage fort de votre livre concerne votre orientation après le lycée. Face à la conseillère, vous expliquez devoir travailler pour subvenir à vos besoins, ce qu’elle n’a pas l’air de comprendre ?
Roman Malo. Ce passage m’a hanté très longtemps. Elle ne comprenait pas que je sois "difficile", car avec mon dossier je pouvais aller où je voulais. Oui, mais je n’avais pas d’argent ! Je ne pouvais pas faire une classe préparatoire, il fallait me dégager du temps pour que je puisse gagner ma vie. J’ai songé aux études courtes, puis finalement je suis allé à l’université, car mes cours me permettaient facilement de travailler à côté, ce que j’ai fait durant toutes mes études, comme depuis l’âge de 14 ans.
A la mort de votre mère, vous savez que votre sœur ne peut pas aller en foyer, car c’est le seul moyen pour qu’elle s’en sorte. Combien de temps avez-vous mis à obtenir sa tutelle ?
Roman Malo. Avec ma sœur, on a récupéré Yonah à la fin du mois d’août et on a eu la décision officielle au mois de mars, il y a donc sept à huit mois. Dans les familles où il y a de l’argent, du réseau, cette question ne se serait même pas posée, car un oncle ou une tante se seraient proposés tout de suite. Morgane et moi nous étions la seule et unique solution. Aujourd’hui, il y a le Conseil de famille qui encadre la tutelle de Yonah, mais vous voyez, dedans il y a la mère de ma compagne. Il n’y a pas de membres de la famille de mon père par exemple, ce qui montre quand même un certain abandon.
"Notre maman n'est plus là, mais on a toujours la même fusion avec mes deux soeurs, la même complicité"
Un an après la médiatisation de votre histoire et l’ouverture de la cagnotte, comment allez-vous tous les trois ?
Roman Malo. On va bien ! Notre maman n’est plus là, mais on a toujours la même fusion avec mes deux sœurs, la même complicité. La vie a changé sur bien des aspects, car il y a de nouveaux projets et on est tous à des moments charnières de nos vies. Aujourd’hui je suis enseignant vacataire à l’université de Nantes, je finis ma thèse et j’ai une petite activité de psychologue en libéral. La priorité maintenant c’est de terminer ma thèse et essayer de récupérer un train de vie un peu plus normal. On a aussi plusieurs projets avec notre association Pré-care. On aimerait communiquer dans les lycées ou sur les réseaux sociaux, pour éviter à des lycéens perdus, brillants mais devant travailler, de gâcher leur avenir comme ça a failli m’arriver.