La Famille : les rites de la communauté la plus secrète de FranceIstock
Vieille de 130 ans, la Famille est la communauté religieuse la plus secrète de France. De la naissance à la mort, ses 3 000 membres obéissent à des règles strictes, faites pour les protéger de l'extérieur. Le journaliste Nicolas Jacquard a mené l'enquête dans son livre "Les Inspirés".
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Une famille secrète en plein Paris. Pendant plus de cent ans, les membres de cette communauté religieuse, établie dans la capitale depuis toujours, sont passés presque inaperçus, s’attirant simplement les regards étonnés des riverains, des commerçants ou des instituteurs de leurs enfants. Plus que discrète, la Famille a été forcée de fissurer sa carapace en 2020, après la publication d’un article du Parisien.

Dans une longue enquête, le journaliste Nicolas Jacquard décrit les origines, les rites et les croyances de ceux qui seraient 3 000 en France et qui ne portent que huit patronymes différents.

La Famille : la communauté la plus secrète de Paris

Cet article, qui fait grand bruit immédiatement, est suivi un an plus tard d’un livre, intitulé Les inspirés et publié aux éditions Robert Laffont. L’occasion pour le journaliste de plonger un peu plus dans les méandres de cette communauté que les autorités ne qualifient pas de secte, mais qui pose tout de même problème à la Miviludes [Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, NDLR]. Il aura fallu des décennies, plus de cent ans même, pour que ce groupe de milliers de personnes fasse parler de lui et ça ne tient pas seulement à sa discrétion.

Comme l’explique d’emblée Le Parisien, on ne rejoint pas la Famille, on y naît. Le droit d’entrer ne s’obtient pas par un don faramineux ou une approche rigoriste de la religion catholique, il se donne exclusivement par le sang.

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Dans la longue enquête qu’il a publiée aux éditions Robert Laffont, et dont Planet a pris connaissance, Nicolas Jacquard remonte aux origines de la communauté religieuse, qui descend des "convulsionnaires de Saint-Médard", mais qui ne prend sa forme actuelle qu’en 1892. Cette année-là, celui que la Famille appelle "mon oncle Auguste" décide de fermer à tout jamais les portes donnant vers l’extérieur, rassemblant ses membres autour de huit patronymes et d’un lieu, la rue de Montreuil. C’est dans ce quartier que les membres de la Famille puisent leur histoire, mais ils vivent désormais dans les XIe, XIIe et XXe arrondissements de Paris, parfois même en banlieue, non épargnés par la hausse des loyers. Peu importe l’adresse du moment qu’on y vit entre cousins, le surnom que se donnent leurs membres. Par endroit, des immeubles entiers sont occupés par la Famille, sans que les propriétaires ne trouvent rien à redire à ces locataires qui paient en temps et en heure et qui ne posent pas de problème.

Pourtant, au-delà de la religion, c’est une vie toute entière qui est façonnée par la Famille pour ceux qui en sont membres. Naissance, mariage, travail, mort… Tous les aspects de la vie quotidienne obéissent à une série de règles définies bien avant les dernières générations et qui sont faites pour perdurer après elles. Plongée dans les secrets de la famille la plus discrète de France.

La Famille : mariage entre cousins et consanguinité

Naître au sein de la Famille implique de respecter un certain nombre de règles. Certaines ont plus de cent ans, quand d’autres ont été édictées il y a moins longtemps. Certaines sont respectées par tous, quand d’autres peuvent être aménagées selon les us et coutumes de chaque clan au sein du groupe. Si la Famille ne forme qu’un tout, elle est en réalité un amoncellement de noyaux plus petits, répartis selon les patronymes et qui diffèrent parfois sur certains points.

Si une plus grande importance peut par exemple être donnée au travail ou aux études dans certains clans, d’autres obéissent à la lettre aux préceptes ancestraux. Il y a en tout cas une chose qui ne change pas, peu importe le patronyme des membres ou leur ouverture sur l’extérieur : on se marie strictement entre membres.

Dès le début de son enquête, le journaliste Nicolas Jacquard est mis en contact avec des dissidents de la Famille, qui lui décrivent alors les mariages entre cousins. Les adolescents et jeunes adultes se rencontrent par le biais de grands rassemblements ou renforcent des liens existants depuis l’enfance. Dans son livre, un de ces dissidents explique : "Avec ma femme, nous avions trois arrière-grands-parents communs et nous ne nous considérions pas comme cousins".

Il est pourtant parfois difficile de s’y retrouver dans cet arbre généalogique où des parents sont parfois cousins issus de germains. Les générations suivantes découvrent alors qu’elles ont un, deux, trois parents en commun avec celui ou celle qu’elles souhaitent épouser. Si cela ne pose pas de problème à la Famille – le mariage n’est pas enregistré à l’État civil et ne se fait qu’au sein de la communauté – la réalité de la consanguinité a pourtant rattrapé beaucoup de ses membres.

Dans son livre, Nicolas Jacquard parle des nombreuses conséquences qui résultent de ces mélanges et des maladies qui en découlent. L’une d’elles est le syndrome de Bloom, extrêmement rare dans la population mondiale, mais qui s’observe en plus grand nombre dans les communautés qui vivent en autarcie. C’est notamment le cas au sein de la Famille, a découvert le journaliste. La maladie se caractérise par une petite taille de ceux qui en sont atteints, des tâches rouges sous les yeux et le nez, mais surtout une fragilité des os et des défenses immunitaires. L’espérance de vie est d’une trentaine d’années, au maximum. Pourtant, pas question de laisser entrer les médecins ou scientifiques dans le secret de la Famille. C’est un des autres aspects importants de la communauté, jusque dans la mort.

La Famille : présente jusque dans la mort

La médecine n’a pas sa place au sein de la Famille. Maladies génétiques rares et cancers pédiatriques ne changent rien à cette règle qui protège le groupe de l’extérieur. Durant de nombreuses années, un infirmier a réussi à pénétrer dans ce huis clos, pour prodiguer des soins à ceux qui en avaient besoin, mais rares sont les membres du clan à se rendre à l’hôpital, attendant parfois le dernier moment. Si certains consultent finalement, souvent pour des cancers chez les jeunes enfants, d’autres font le choix de ne pas faire appel aux médecins.

Nicolas Jacquard raconte ainsi, dans son livre, comment une femme âgée n’a pas été prise en charge après un malaise lors d'un rassemblement des cousins et qu’elle est morte le soir même, chez elle. Une histoire racontée par sa petite-fille, dissidente de la Famille.

Comme la naissance et le mariage, la mort est ritualisée au sein de la communauté. Solidarité et entraide sont les maîtres mots des cousins, qui viennent donc en aide à ceux qui en ont besoin. On donne de l’argent – toujours de manière anonyme par le biais d'une cagnotte – on vient aider à déménager et, surtout, on vient veiller un membre qui s’apprête à rendre son dernier souffle. Dans Les inspirés, Nicolas Jacquard explique que, pour les cousins, on ne laisse pas une personne mourir seule. Qu’on soit un proche, une relation éloignée ou simplement un voisin, on se relaie auprès du mourant, jusqu’à son dernier instant.

La Famille : le "baiser de la paix" donné au mort

Quand celui-ci est arrivé, c’est alors que commence les funérailles, toujours au sein de la Famille. Tout se déroule dans l’appartement où la personne est décédée, pendant une veillée funèbre qui dure trois jours. Les connaissances, proches et éloignées, défilent pour dire au revoir au mort. Le journaliste décrit un rite très codifié, respecté par tous : "Si le défunt est un homme, on lui pose un crucifix sur la poitrine. Une femme a le visage recouvert d’un linge. Les fenêtres sont fermées, pour empêcher le diable d’entrer. Le silence est de mise, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’appartement".

Durant les trois jours de la veillée funèbre, les cousins défilent donc dans l’appartement, par centaines. Chaque personne doit ensuite faire le "baiser de la paix" au défunt. Le journaliste explique qu’"on doit lui déposer, quand bien même le corps est déjà entré en décomposition". "On s’exécute une première fois quand on arrive, avant de faire la bise à tous les présents. On embrasse à nouveau le mort avant de quitter les lieux, préalable à une seconde tournée de bises". Toutes les portes et fenêtres fermées, la chaleur de l’appartement rendue suffocante, certains décrivent alors une odeur pestilentielle, comblée tant bien que mal par des couches déposées dans le cercueil.

Au bout de ces trois jours, le corps est mis en bière, par des membres de la famille eux-mêmes, ce qui est normalement interdit. Nicolas Jacquard cite alors des témoins qui affirment avoir vu "du liquide s’écouler entre deux paliers" de l’immeuble lorsque le cercueil est déplacé et qu’il faut ensuite nettoyer. Chaque mort de la communauté est enterré au cimetière de Thiais, à une quinzaine de kilomètres de Paris, au sein du carré commun, anonyme et discret. Les tombes ne disposent d’aucune gravure ou ornement, ni même de fleurs. Secrète à chaque étape de sa vie, la Famille l'est aussi dans la mort.