De nouvelles règles d’indemnisation entreront en vigueur en avril 2025 et impacteront durement les plus âgés.
Jacques Bichot est membre honoraire du Conseil économique et social, économiste et l'auteur de Cure de jouvence pour la Sécu (éditions l'Harmattan).
Planet.fr : Depuis les débuts de la crise sanitaire, le gouvernement n'a eu de cesse de creuser les déficits pour soutenir l'économie française. L'exécutif a fait savoir qu'une partie du plan de relance serait réglée par l'Union Européenne. D'autres soutiennent qu'il est temps de faire payer les retraités, qui ont moins souffert sur le plan financier. Sans prendre en compte les risques électoraux que représenterait une telle initiative, cela vous paraît-il pertinent ?
Jacques Bichot : Tout cela n'est pas faux et il me semble que réduire le montant des pensions de retraite pourrait théoriquement constituer un pan de la solution. Nous avons dramatiquement besoin de diminuer le déficit public. Sur le papier, une baisse des pensions de retraites pourrait donc faire office de mesure de salubrité publique.
Rappelons que la dette publique que la France est en train d'accumuler ne correspond à aucune richesse réelle : on emprunte simplement pour boucher les trous, pour éviter que le pays s'embourbe dans une crise économique plus grave encore que celle que l'on constate actuellement. Dans un tel contexte, la réduction du montant des pensions de retraite reviendrait donc à prendre un peu d'avance sur ce que l'on sera de toute façon obligé de faire un jour à l'autre. Nous n'avons pas le choix, il faudra mécaniquement réduire le budget de la protection sociale pour faire des économies. Or, les pensions représentent l'un des points de dépense les plus importants en la matière.
"Tout gouvernement responsable devrait dire aux Français que l'on ne pourra pas s'en sortir sans consentir à un important effort", Jacques Bichot
Dès lors que l'on se penche sur tous les facteurs, il devient difficile de dire quand il faudra se résigner à de telles mesures. L'opinion publique, les échéances électorales et les calculs politiques sont autant d'éléments à prendre en compte. Cependant, si l'on se concentre sur le volet économique de la question, alors la réponse est plus simple à donner. Je le dis à contre-coeur, certes, mais oui, il serait pertinent de réduire le montant des pensions rapidement.
Réduire les retraites : une solution qui présente moins d'inconvénients que les autres
Ce n'est peut-être pas la meilleure mesure, mais il importe de rappeler qu'à ce stade il n'existe plus de solution parfaite. Chacune d'entre elles présentera des inconvénients. Celle-ci en présente globalement moins que les autres, d'autant plus qu'il nous est possible de moduler les réductions, de sorte à ne pas faire peser l'effort sur l'effort des plus fragiles. C'est là, à mon sens, le rôle de tout gouvernement responsable : dire aux Françaises et aux Français que l'on ne pourra pas s'en sortir sans que certains - potentiellement les retraités les plus aisés, en l'occurrence - ne soient amenés à consentir à d'importants efforts. Mais attention ! Il faudra doser, de sorte à ne pas faire obstacle à la consommation des ménages… Si cette dernière ralentissait davantage, ce serait littéralement catastrophique.
Réduire les retraites : quelles sont les alternatives ?
Planet.fr : Réduire le montant des pensions de retraite pourrait engendrer d'importantes réactions politiques et il est peu probable que le gouvernement s'y essaie. Dès lors, existe-t-il d'autres alternatives ? Faudrait-il créer un nouvel impôt, augmenter les cotisations, taxer les plus aisés ?
Jacques Bichot : Augmenter les impôts ou réduire les retraites répondent fondamentalement des mêmes logiques. Cependant, ce sont deux solutions assez différentes, en cela qu'elles ne font pas peser l'effort sur les mêmes personnes. En s'attaquant aux pensions de retraite, on estime que c'est à celles et ceux qui ont quitté le monde du travail de porter la charge financière du coronavirus. A l'inverse, si l'on décide de passer par l'impôt, on la fait peser sur toutes les épaules de France, ou presque. Parce que la cible est nettement plus large, on peut donc se permettre un taux de réduction des revenus moindre, tout en arrivant au même résultat quantitatif. C'est un détail important. Dans tous les cas, il ne m'apparaît pas pertinent de cumuler les deux : soit on décide de réduire le montant des pensions, soit on augmente les impôts.
Il est vrai, cela étant, que les retraités ne sont pas confrontés aux problèmes d'emplois que rencontrent nombre de Français aujourd'hui. Certains ont été licenciés parce que leur entreprise a fermé, d'autres ont dû faire face à une mise au chômage partiel ou à une réduction du nombre de leurs heures et donc, mécaniquement de leurs revenus. Sur le plan financier, les actifs souffrent plus que les retraités. Pour autant, j'ai tendance à penser que nous aurions besoin d'un effort national, ce qui signifierait passer par l'impôt plutôt que par la réduction des revenus des retraités.
Je ne suis pas pour le recours à une hausse des cotisations en l'état actuel des choses car je ne pense pas que ce soit l'option la plus pédagogique. Notre système de cotisations, qui sont pour partie patronales et pour partie salariales, constitue un maquis épouvantable. Pour plus de clarté et de transparence, l'impôt m'apparaît tout désigné.
Cela étant, en se concentrant sur le seul volet économique, il existe une meilleure solution. Elle consiste à mettre un terme au confinement. Il faut retrouver une activité économique pour faire reculer les déficits. Certains pays, comme c'est le cas de Taïwan, ont payé moins cher que nous ne l'avons fait et affichent de meilleurs résultats sanitaires. Nous devrions peut-être nous mettre à l'école de ces nations.
Pension de retraite : quelle sera la solution à long terme ?
Planet. fr : Que traduit, selon vous, la capacité de l'Etat à débloquer tant de fonds pour lutter contre le coronavirus et que répondre à tous ceux qui estiment que les gouvernements à venir ne pourront plus tenir des discours de rigueur après cela ?
Jacques Bichot : N'oublions pas que la France est déjà un pays très redistributif et que l'on y distribue l'argent avec une générosité à nulle autre pareille, ou presque. Notre système social est l'un des plus altruistes au monde, il faudrait ne pas le perdre de vue. Mais cela ne fait pas de l'Hexagone le pays le plus astucieux…
Prenons l'exemple des Etats-Unis d'Amérique qui, cela va de soi, ne constituent pas vraiment un modèle en matière de gestion de la crise sanitaire. Quand bien même la situation y est dramatique, le pays a davantage de possibilités de relance de son économie, notamment parce que le rôle de son administration est moins prépondérant. Les Etats-Unis ne sont pas sur-administrés, on y a plus de libertés économique…
"L'exécutif ne peut pas seulement avoir les yeux rivés sur la semaine à venir", Jacques Bichot
Le système de retraite américain, pour poursuivre le comparatif, est lui aussi très intéressant. Comme chez nous, il repose notamment sur la redistribution, mais pas seulement. Plus le salaire est faible, plus le taux de remplacement est efficace : celles et ceux qui gagnent environ 1 000 dollars par mois et font toutes leurs années peuvent aisément prétendre à une pension correspondant à 75 ou 80% de leurs précédents émoluments. Plus l'on grimpe dans l'échelle des salaires, plus la nécessité de compléter la pension par des dispositifs de capitalisation devient importante et cela coûte donc moins cher à l'Etat. C'est un système intéressant, qui n'est pas si éloigné du nôtre. Mais une telle transformation n'est pas une réforme de court terme.
A mon sens, il faudra mécaniquement y réfléchir. L'exécutif, qu'il s'agisse de celui d'Emmanuel Macron ou d'un autre président de la République, ne peut pas seulement avoir les yeux rivés sur la semaine à venir.