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Les rumeurs bruissaient depuis des mois. Depuis que la Première ministre a arraché l'approbation du texte sur les retraites aux parlementaires puis au Conseil constitutionnel. Depuis que l e Président a donné 100 jours à son bras-droit pour "élargir" une majorité relativeen pagaille. "J'espère qu'elle y arrivera", avait-il glissé, soudain menaçant. Une tâche ardue, impossible même, alors que la Macronie rebute plus qu'elle n'attire sur les bancs de l'Assemblée nationale. Inutile de rappeler qu'Elisabeth Borne n'a pas pu mener à bien sa mission, et que le gouvernement profite actuellement de vacances inquiètes avant un automne qui s'annonce difficile au Parlement pour la majorité affaiblie.
C'est peu dire que la Première ministre marche sur des œufs, sans parler même des rumeurs persistantes de mésententes avec son président, qui donnent tout bonnement l'impression qu'Elisabeth Borne a passé 14 mois d'un sursis permanent. "Vous m'avez vendu Élisabeth Borne comme la perle rare, et voilà où on en est !", aurait râlé le président de la République auprès de sa garde rapprochée après l'utilisation du 49-3 sur la réforme des retraites, selon un article du Point. Le désaveu est renouvelé quelques semaines plus tard lorsqu'un président agacé assure aux journalistes qu'il n'est "pas responsable des interviews à l’AFP de la Première ministre", après que celle-ci ait assuré à l'Agence qu'elle n'utiliserait plus le 49-3 hors des textes financiers. Ambiance.
Pourtant, la Première ministre dont la tête a menacé de tomber plusieurs fois a réchappé au remaniement opéré par l'exécutif le 20 juillet. Une surprise pour certains, un choix de raison pour d'autres. Emmanuel Macron a lui justifié son choix par une volonté de "stabilité" et affirmé vouloir poursuivre "travail de fond" qu’il estime avoir entamé dès mai 2022. Avec un remaniement partiel, le président a décidé de ne pas renverser l'échiquier, par peur de l'avenir.
"C'est une reconduction qui acte d’une situation politique où le président de la République n’avait pas tellement de marge de manœuvre pour changer de Premier ministre", rappelle Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et professeur de communication politique à l'Université Paris-Sorbonne. Il rappelle qu'aucun infléchissement dans la ligne politique présidentielle et aucune nouvelle alliance politique n'est venue légitimer un changement de Premier ministre. De son propre aveu, le président a fait le choix de la stabilité, alors que le gouvernement va au-devant d'une rentrée chargée, avec le vote au Parlement de deux textes de loi de financement, de la loi de programmation sur l'énergie et le climat et d'une loi sur l'immigration. "Sur le texte sur l’immigration, à ce stade il ne semble pas y avoir de possibilités d’adoption à l’Assemblée", rappelle Arnaud Benedetti. "Emmanuel Macron se dit peut-être que la situation sera encore plus compliquée dans quelques semaines et qu’il ne sert à rien de tirer une cartouche supplémentaire pour que cette dernière soit contrainte par la situation parlementaire, voire une motion de censure adoptée. Imaginez qu’il change de Premier ministre, et que celui-ci tombe sous une motion de censure. Donc au moins avec Elisabeth Borne il a une continuité, et si celle-ci est soumise à une motion de censure finalement adoptée, là il pourra changer de Premier ministre." La Première ministre est donc reconduite "par défaut", sans entrain, mais possède néanmoins des atouts vitaux pour la Macronie en cette période de troubles, juge Arnaud Benedetti. "Elle est loyale, elle est parvenue durant la première législature à éviter malgré tout une mise en minorité et elle est un point d’équilibre au sein de la majorité, venant de la gauche mais incarnant une forme de fermeté." Enfin, le professeur pointe la symbolique néfaste que représenterait pour le camp présidentiel l'éviction d'une femme Première ministre, 14 mois seulement après sa nomination. "Après Edith Cresson qui n'avait tenu que 10 mois, on dirait "la durée de vie à Matignon pour une femme est bien courte !" La volonté du ministre de l'Intérieur d'accéder à Matignon n'était plus un mystère pour personne dans la majorité. Le maître des lieux place Beauvau avait ainsi multiplié les signaux, dans une campagne qui ne disait pas son nom, jusqu'à solliciter selon Le Figaro une entrevue avec François Bayrou, patron du MoDem qui avait exprimé mi-juin ses réserves sur Gérald Darmanin. De surcroît, la ligne incarnée politique par le clivant ministre de l'Intérieur cadrait avec certains des derniers discours d'Emmanuel Macron, qui a appelé fin juillet "à l'ordre, l'ordre et l'ordre" et posé "le retour à l'autorité" comme la priorité des mois à venir. Réponse tranchée aux émeutes qui ont secoué la France après la mort de Nahel, et qu'a fortement condamné (on vous le donne en mille) Gérald Darmanin. Mais le ministre a été devancé sur la ligne d'arrivée par Elisabeth Borne. " Il incarne une ligne droitière au sein de la majorité, qui n’est pas forcément partagé par l’ensemble de la majorité", analyse Arnaud Benedetti. De plus, Gérald Darmanin existe fortement médiatiquement, mais a assez peu de troupes.(...) Aujourd’hui il n’a pas de courant Darmanien, c’est une forme de handicap. Emmanuel Macron n’a pas vu un intérêt immédiat à sa nomination. Peut-être qu’il le nommera plus tard. Avait-il besoin de griller une cartouche alors que des combats plus difficiles vont arriver ?" Et encore une fois, il n'y a pas de quoi envier la situation d'Elisabeth Borne, à la veille d'un automne législatif ardu. "L’hypothèse d’une motion de censure n’est pas quelque chose qu’il faut totalement exclure, c’est une possibilité forte", estime le professeur. Alors que les oppositions de gauche et d'extrême-droite devraient dégainer de nouvelles motions de censure, l'ingrédient mystère à l'Assemblée nationale demeure Les Républicains, dont certains ont déjà fait faux-bon à la majorité lors du vote du texte de la réforme des retraites. Alliés ou fêlons pour la Macronie ? "Les LR sont-ils prêts à aller du côté d’une stratégie de renversement ?", se questionne Arnaud Benedetti. "D’autant qu’Emmanuel Macron a toujours laissé dire qu’en cas de renversement du gouvernement il dissoudrait l’Assemblée nationale. Donc les députés vont réfléchir à deux fois. La viabilité sur 5 ans sur cette législation me paraît très aléatoire." L'hypothèse d'une dissolution de l'Assemblée nationale serait cependant et sans nul doute favorable à l'opposition, et plus particulièrement à l'extrême-droite, ce qui pourrait dissuader le président d'opérer dans ce sens. La France se prépare à un automne de conviction-dissuasion.Peu de marge de manœuvre pour le président
Elisabeth Borne, le choix par défaut
L'alternative Darmanin
La rentrée de tous les dangers