Max et les Maximonstres: vive l'enfant-roi !Istock
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L'enfant face aux grands monstres

"Un soir,/Max enfila/son costume de loup." Ainsi débute l'odyssée d'un gamin de six ou sept ans. Max, turbulent garçon, n'a pas vraiment besoin d'un costume de loup pour terroriser sa mère: il accumule les bêtises, sans forcèment penser à mal, mais simplement parce qu'il est roi ou parce qu'il croit l'être dans les pièces de "sa" maison (dans laquelle Sendak ne fait jamais apparaître la mère, dont on peut lire les paroles, ni le père, totalement absent).

Très vite enfermé dans sa chambre, Max découvre une sorte de jungle aux couleurs criardes, peuplée par des créatures aussi fascinantes qu'effrayantes: les Maximonstres. Dans ses premiers croquis préparatoires, Sendak envisageait de peupler son territoire de chevaux, idée vite évacuée par son éditeur américain, attéré par les dessins médiocres que lu fournissait le dessinateur. Pour sa nouvele mouture de Where the Wild Things Are, titre original, Sendak remplaça les chevaux par... des caricatures de ses oncles et tantes, en partie croquées alors qu'il était jeune ! Cela ne s'invente pas...

De l'égoïsme involontaire des enfants

Puisqu'il ne peut plus être roi en son royaume "naturel", Max va trouver l'aplomb et le courage d'imposer son autorité aux Maximonstres, qui s'avèrent finalement d'assez fidèles compagnons, malgré une prédilection certaine pour le désordre et la destruction: "nous vous aimons terriblement, nous vous mangerons" déclarent-ils à Max en guise de déclaration d'allégeance éternelle. En s'exilant sur l'île des Maximonstres, Max s'affranchit certes de toutes les règles parentales, mais découvre un univers sans douceur maternelle, où le mot "manger" signifie simplement... dévorer, sans connotation affectueuse. Les mots d'adieux des Maximonstres seront d'ailleurs strictement identiques que leur discours d'accueil, comme s'ils restaient irrémédiablement condamnés au stade premier des rapports humains: manger ou être mangé.

En étant confrontés à ces créatures, Max découvre un égoïsme involontaire, mais bien réel, dont il fut le représentant auprès de sa mère.

Vidéo du jour

Le coût du carpe diem

A la parution de l'album, en 1963, Françoise Dolto et Bruno Bettelheim, respectivement pédopsychiatre et spécialiste de l'impact des contes sur le développement psychologique de l'enfant, déconseillent franchement la lecture du livre, arguant que les Maximonstres risquent d'effrayer les plus jeunes, ou soulignant l'ambigüité de la conclusion de l'ouvrage: Max n'est pas puni, et n'a pas accompli d'exploits ou de bonnes actions en guise de conclusion à son périple. Malgré ses reproches, plus ou moins justifiés, Max et les Maximonstres renferme bien un enseignement pour les plus jeunes, en leur faisant voir les coups du carpe diem perpétuel.

Dans La littérature et le Mal, Georges Bataille écrit qu' "il est nécessaire de retrouver le domaine de l'instant (le royaume de l'enfance), et cela demande la transgression temporaire de l'interdit". Le royaume de l'instant présent, Max le retrouve avec les Maximonstres, sur trois doubles-pages, où Sendak choisit le seul dessin, sans texte, comme si l'instantané et la vitesse interdisaient tout commentaire. Mais cet instant présent, ce carpe diem, s'il est agréable, ne peut être maintenu indéfiniment, comme le constate finalement l'enfant, qui punit à son tour les Maximonstres.

Ôde à l'imaginaire infantile

Avec Max et les Maximonstres, Maurice Sendak semble avoir retrouvé le royaume de l'enfance, celui où les "choses sauvages" ("Wild Things") évoluent librement. La trame de l'ouvrage est une illustration parfaite de la capacité typiquement enfantine de créer du jeu à partir de leur seule imagination. La jungle où vivent les Maximonstres apparaît ainsi dans la chambre du garçon, et le voyage reste toujours mystérieux, sans que le lecteur ne sache vraiment s'il a eu lieu, ou s'il est une tortueuse construction de Max.

L'adaptation cinématographique de l'album, réalisée par Spike Jonze, constitue un excellent prolongement au récit de Sendak, parvenant à en restituer l'étrangeté et l'originalité. Le roi est jeune, vive le roi !