La Ballade de Bob Dylan: biographie en pointillésIstock
La Ballade de Bob Dylan bénéficie d'une aura particulière grâce à la relation entre son auteur et son sujet.
Sommaire

En personne

Daniel Mark Epstein est un admirateur averti de Bob Dylan, et sans être un de ces Bobcats (le terme qui désigne les groupies de Dylan) vaguement inquiétants, il a suivi le parcours lambda du fan, grandissant au même rythme que son idole: étonnement mélé de piété quasi-religieuse face au jeune homme encore adolescent (au Lisner Auditorium, en 63), heureux retour teinté d'amertume (Madison Square Garden, dix années plus tard), retour en "grâce" à la fin du XXème siècle (Tanglewood, en 97) et enfin une tournée sans fin, Never Ending Tour, qui prépare la légende du ménestrel (Aberdeen, 2009).

Quatre cités américaines, quatre prestations auxquelles Epstein a assisté, avec plus ou moins d'enthousiasme, lui autorisant la critique et des analyses assez inspirées de quelques titres du chanteur, particulièrement sur ces titres les plus anciens, et surtout d'un point de vue purement musical. Mais, et c'est ce à quoi aboutit la biographie d'Epstein, est-il juste de dater précisement les textes, les chansons de Dylan - neuf, ancien - quel intérêt?

Image de l'artiste en mouvement

Ces quatre points d'attache qu'Epstein s'accorde lui permettent d'imposer au lecteur de profondes ellipses (rattrapées par la suite, évidemment, l'auteur fournissant les informations que requiert toute biographie digne de ce nom) qui reproduisent les chocs violents qu'imposait Dylan à son public, et que son public lui rendait bien: le passage de l'acoustique à l'électrique fut totalement rejeté par un grand nombre de ses fans "de la première heure", qui ne juraient d'ailleurs que par l'hymne pacifiste et tolérant Blowin' in the Wind.

C'est une biographie où la toile qui supporte le portrait de l'artiste est déchirée, abîmée par plusieurs changements brusques de direction: musicaux, métaphysiques, avec cette fameuse conversion qui fit de Dylan un born again de l'église évangélique et transforma quelques concerts en sermon géant, ou encore gestionnels: les soumissions commerciales d'abord (dont le passage au MTV Unplugged fut sûrement le summum, avec un Dylan éteint), puis le passage à une auto-production plus apaisée.

Vidéo du jour

"The Times They Are A-Changin"

Ce qui transparaît dans La Ballade de Bob Dylan, c'est bien évidemment la modernité, l'intemporalité, la modernité (autant d'adjectifs bien trop courants pour caractériser justement une oeuvre) des textes et musiques de Bob Dylan. Mais ce qui affleure également, et c'est sûrement ce constat qui se révèle le plus puissant dans la biographie rédigée par Daniel Mark Epstein, c'est la silhouette d'un "vagabond solitaire" ("I am a Lonesome Hobo", titre paru sur John Wesley Harding en 67) qui se courbe au fur et à mesure que son oeuvre le dépasse et que les années le rattrapent.

Epstein fait connaissance avec Dylan en posant le premier album vinyle de celui-ci sur sa platine: "Il ne me semblait pas naturel qu'un homme aussi jeune possède la voix ou essaie d'imiter la voix d'un vieil homme". Plus de quarante ans plus tard, il le retrouve: "Dylan n'avait plus les capacités vocales nécessaires pour chanter sa célèbre chanson, ni des doigts assez agiles pour en jouer la partie de guitare". On pourrait parler de "déconstruction du mythe", mais non: Dylan a été vieux avant d'être jeune, comme il aimait lui-même le dire, et garde une longueur d'avance. Quand ses fans lui réclament l'un de ses grands succès, il en a déjà écrit une centaine d'autres. "Il disait qu'il avait peur de dormir, de crainte d'en rater une" rapporte Epstein. L'artiste va plus vite que la reconnaissance.

Des personnages, des partitions

Parmi la multitude d'ouvrages parus sur le chanteur folk-rock, qu'apporte La Ballade de Bob Dylan au grand édifice bibliographique? Si l'on salue cette approche fractionnée qui permet de mieux aborder la carrière tumultueuse, on déplorera une certaine paresse dans la documentation pour la période 60 - 70, la plupart des informations et conclusions étant sensiblement les mêmes que celles de Don't Look Back, Eat the Document ou No Direction Home (la biographie de référence écrite par Robert Shelton, puis le film documentaire de Martin Scorcese).

De même, la période de la vie de Dylan passée aux côtés de Sara, précédant son divorce et surtout le déchirant Blood on the Tracks, est rapidement évoquée. Les monomaniaques de Dylan se retrouveront donc un peu frustrés par certaines lacunes, peut-être volontaires, mais néanmoins dommageables, y compris pour une vision strictement cantonnée à la carrière musicale. Ceux qui n'ont jamais approché la discographie de Bob Dylan, et encore moins le récit de son existence, resteront perplexes devant quelques incohérences et des mystères irrésolus, qu'il soient musicaux ou humains. Mais là, le biographe n'y est pour rien.