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Faut-il supprimer l’héritage ? L’ascenseur social grippé
Un enfant de cadre supérieur a 4,5 fois plus de chances d’appartenir aux 20% les plus aisés qu’un enfant d’ouvrier. Il a même 20 fois plus de chances d’appartenir aux 1% les plus aisés, indique une récente étude France Stratégie portant sur la mobilité sociale. Si elle constate qu’il n’existe pas de déterminisme social systématique, comme le rappelle le magazine Alternatives Economiques, elle souligne tout de même un gros problème en matière d’égalité des chances.
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Il existe plusieurs explications à l’apparente sclérose de l’ascenseur social. L’une d’entre elle a d’ailleurs été au cœur de houleux débats par le passé : il s’agit de l’héritage. "C’est une mécanique inégalitaire, qui trouve sa première origine dans les familles. Comme le soulignait Pierre Bourdieu, il est clair que les familles ne sont pas dotées également en capital économique, mais aussi en capital social et culturel. Naturellement, cela change la donne. Et ce, avant même que l’héritage ne soit perçu", explique Frédéric Farah, économiste affilié au PHARE et enseignant-chercheur à l’université Panthéon Sorbonne, parfois marqué à gauche. "Parce qu’il permet la concentration de plus en plus importante de patrimoine dans un nombre restreint de ménages, l’héritage contribue à figer la société", ajoute-t-il.
Est-ce à dire qu’il faut supprimer l’héritage ? L’économiste n’en est pas certain. "Supprimer l’héritage serait probablement trop brutal et trop confiscatoire", explique-t-il. Il ne s’agit pas, selon lui, de jeter le principe au bûcher. "Restons modérés. Cependant, il faut clairement en repenser les modalités : revoir la fiscalité de l’héritage pour éviter de trop fortes concentrations de capital et la création de véritables dynasties et non pas les simplifier comme on le fait depuis des années, à grands recours de boucliers fiscaux ou de flat tax. Mais une telle réforme serait très difficile à porter… Sauf à vouloir aller au clash avec la construction européenne."
Faut-il supprimer l’héritage : la résurgence d’une société de classes ?
"D'entrée de jeu, l'héritage, dans sa dimension financière, fausse la donne. Parce qu'il permet la concentration de plus en plus importante de patrimoine et que la transmission de ce capital est nettement moins lourde fiscalement aujourd'hui, il a enrayé le processus de moyennisation de la population qui était à l’œuvre jusque dans les années 80", souligne l'enseignant. Cette cristallisation des richesses est d'autant plus problématique qu'elle enraye l'économie de marché, comme l'explique le site d'information Mediapart. L'héritage participe donc au manque de dynamisme économique de nos sociétés via la rétention de sommes astronomiques par une poignée d'individus, privant au passage le reste des acteurs de ce que le journal appelle un "minimum vital".
"Cette logique inégalitaire qui s'impose depuis trois décennies en France s'est fortement accélérée dans les années 2000 : les très riches sont devenus encore plus riches, laissant les autres dans la poussière. En parallèle, on a constaté une montée en puissance de la mondialisation dont les effets négatifs sont essentiellement supportés par les salariés. N'oublions pas que vivre de son travail est plus coûteux que de vivre des revenus du capital, qui sont moins imposés...", poursuit le chercheur. Une situation qui, selon lui, réactive également les logiques de classes.
"Certes, dans les champs politique et universitaire, on constate un épuisement de la lecture marxiste depuis les années 80. Le terme de 'classe sociale' a disparu. Mais le conflit de classe n'a pas disparu pour autant. Il bat son plein, en vérité", analyse l'économiste. Sous des habits différents, la guerre des classes opposerait donc "une frange de la très haute bourgeoisie" à un "camp du travail très fragmenté". "La classe ouvrière a disparu en cela qu'elle n'a plus conscience d'être une classe et ne défend plus ses intérêts. Ce n'est pas le cas de cette frange de la bourgeoisie qui est très organisée, parvient à imposer sa vision du monde, nourrit la mauvaise humeur fiscale et bénéficie d'un allié très efficace : l'Union Européenne, qui s'en prend notamment à la protection sociale et au droit du travail".
Faut-il supprimer l'héritage ? Le problème est aussi socio-culturel
L'héritage ne se limite pas uniquement à sa dimension proprement pécuniaire. Il est également social et culturel. "Naturellement, avoir des parents aisés offre un avantage financier dès le début de la vie. Souvent, cela permet également de bénéficier d'un meilleur réseau social et d'un bagage culturel plus en phase avec ce qui est attendu à l'école ou dans le monde de l'entreprise, accroissant encore les inégalités", détaille Frédéric Farah.
"Pierre Bourdieu disait des enfants des catégories sociales supérieures qu'ils entretenaient un rapport assuré et rassuré au monde. Tout cela est capital pour progresser dans la vie, particulièrement quand on sait que le véritable marché du travail n'est pas ouvert mais caché. Les meilleures offres se trouvent rarement sur des sites... Elles nécessitent très souvent de connaître la bonne personne."