Présidentielle 2022 : à quoi va ressembler la France, à la fin du mois d’avril ?AFP
Le premier tour de l'élection présidentielle s'est clôturé sur la qualification d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. Leurs réussites respectives annonce une inévitable recomposition du paysage politique.
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Peut-être était-ce là le destin. Dimanche 10 avril 2022 au soir, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont tous deux émergé des affres du premier tour de l’élection présidentielle. Ils se sont, l’une comme l’autre, qualifiés pour la suite du scrutin et s’affronteront donc en duel le dimanche 24 avril — date rendez-vous prise avec les électeurs pour la deuxième manche. Avant cela, ils auront l’occasion de croiser le fer une nouvelle fois devant les caméras, le 20 avril à 21h. 

Quel que soit le résultat final de l’élection présidentielle, le paysage politique s’en trouvera irrémédiablement modifié. Ce premier tour a d’ores et déjà porté Jean-Luc Mélenchon, la “tortue sagace”, aux portes du deuxième tour qu’il n’aura raté qu'à 421 420 voix. Les partis traditionnels, que sont Les Républicains et le Parti socialiste, ont été balayés : Valérie Pécresse est désormais contrainte de faire appel à la générosité de ses électeurs pour rembourser sa campagne quand Anne Hidalgo n’arrive pas à recueillir 2% des suffrages exprimés. A quoi pourrait donc ressembler la France, le 25 avril 2022 ?

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Présidentielle 2022 : la fin d’une ère ?

Avec de tels résultats, en tous points historiques, d’aucuns pourraient craindre la disparition pure et simple de ces deux partis. La débâcle est indéniable, la traversée du désert se poursuit.  "Je ne suis pas certain que le PS ou LR puissent se refaire une santé lors de ces législatives. On constate que les résultats des législatives sont similaires à ceux de l'élection présidentielle et ces élections ont tendance à épouser les résultats du second tour", explique d’ailleurs Jérémie Pelletier, directeur des études à la Fondation Jean Jaurès, interrogé par France 24.

Pour Stéphane Le Foll, ancien ministre de l’agriculture de François Hollande, c’est la fin d’une ère. "C'est la fin du PS tel qu'il a existé, c'est certain", a-t-il affirmé. Pourtant, explique le politologue Christophe Bouillaud, la formation continuera à exister. “Un parti politique ne disparaît jamais vraiment. Il y aura toujours un petit groupe de personnes pour maintenir la marque, la filiation. L’existence du parti radical de gauche en témoigne encore aujourd’hui”, rappelle-t-il d’abord. Pour autant, difficile de penser que l’importance du PS et de LR pourrait rester la même. “Il est évident que le PS et que LR ont vécu. Je serais très étonné si ce premier tour n’engendrait pas, en interne,d’importantes scissions et recompositions. L’un comme l’autre pourraient chercher leur survie dans le ripolinage de la marque. Rappelons, en effet, que le PS n’a pas changé d’identité depuis 1971”, confirme en effet le chercheur, qui enseigne à l’Institut d’études politiques (IEP, Sciences-Po) de Grenoble.

Présidentielle 2022 : à quelle recomposition du paysage politique faut-il s’attendre ?

L’état réel de la France et de son paysage politique ne dépendra évidemment pas que du premier tour de l’élection présidentielle. La conquête de l’Elysée par l’une ou l’autre des deux candidats brossera assez mécaniquement un tableau différent dans un cas comme dans l’autre.

“Si Emmanuel Macron l’emporte, ce qui apparaît aujourd’hui comme le scénario le plus probable, on peut alors estimer que la gauche et la droite ont déjà été victimes de la recomposition du paysage politique. Le président sortant continuera à agréger derrière lui l’ensemble de ce qui était la vieille classe politique, d’une partie des Républicains et des gaullistes jusqu’aux radicaux de gauche. Bien sûr, il restera quelques petites enclaves socialistes et de droite républicaine… mais seulement de manière résiduelle”, juge Christophe Bouillaud, pour qui l’élection d’Emmanuel Macron actera définitivement l’émergence de trois grands blocs politiques. “D’un côté, on retrouve le pôle du président : un vaste centrisme. De l’autre, ce sont d’une part une aile gauche et de l’autre une aile droite. L’union par le centre sera beaucoup plus simple dans ce scénario tandis que la droite et la gauche auront beaucoup plus de mal à s’accorder sur la réorganisation. A l’extrême droite sera nécessairement abordée la question des trahisons d’opérette tandis qu’à gauche, un certain nombre se refuseront encore à accepter la suprématie des Insoumis”, analyse-t-il.

“Si c’est Marine Le Pen qui l’emporte, la situation sera inversée. Le centre va s’écrouler et tous les espoirs seront permis à gauche comme à droite. Jean-Luc Mélenchon pourrait alors s’imposer comme le rempart à l’extrême-droite tandis que Les Républicains pourraient être tentés de s’improviser en majorité d’appui pour la nouvelle présidente. L’échec personnel du chef de l’Etat soulèverait aussi la question de son remplaçant, qui s’avère plus difficile qu’il n’y paraît”, poursuit l’expert.

La question des législatives joue aussi beaucoup. En cas de victoire, Emmanuel Macron pourrait être tenté de rassembler plus encore en promettant de ne pas présenter de candidat LREM face à un élu socialiste ou un élu LR susceptible de le rejoindre. “C’est l’occasion de rassembler une majorité pléthorique, mais cela délégitimerait notre système politique”, observe encore Christophe Bouillaud.

Présidentielle 2022 : que retenir des appels aux dons de Jadot et Pécresse ?

Incapables d’atteindre les 5% requis pour pouvoir prétendre au remboursement de l’intégralité de leurs frais de campagne, Yannick Jadot (EELV) et Valérie Pécresse (LR) ont tous deux lancé des appels aux dons à l’attention de leurs électeurs.

De telles attitudes, explique Christophe Bouillaud, pourraient coûter cher aux deux candidats. Au moins sur le plan politique… “Yannick Jadot et Valérie Pécresse se sont grillés politiquement. Ils n’ont plus aucun avenir politique d’ampleur. Elle finira certainement sa carrière de présidente de région et lui semble avoir vocation à rester eurodéputé mais force est de constater le ridicule d’un appel au don, le soir même de l’élection”, assène-t-il.

Pour autant, assure l’enseignant-chercheur, le problème de fond est à chercher ailleurs. “Dans un cas comme dans l’autre, il faut se poser la question de la qualité de la campagne, de la compatibilité de la personne avec l’exercice. Valérie Pécresse paie d’avoir trop user de clientélisme pour gagner la primaire de la droite, comme a pu l’expliquer Mediapart. Elle n’avait pas non plus le niveau et la stature pour une campagne présidentielle. Yannick Jadot non plus n’était pas adapté. Il a manqué de charisme et s’est montré ennuyeux aux yeux de nombreux électeurs”, détaille le politologue, pour qui “d’expérience, il n’est pas possible de se relever après un échec pareil”.

Et lui de poursuivre, sans ambages : “Cela n’a rien d’anodin, puisqu’une telle situation pose la question du renouvellement du personnel politique à droite comme à gauche. L’essentiel des figures connues de la politique française se retrouvent désormais - ou ne tarderont guère à le faire - du côté d’Emmanuel Macron. Il ne reste que quelques têtes de gondoles du côté des leaders de l’opposition et si cette élection enseigne une chose, c’est bien que l’on ne peut pas aller loin sans s’être durablement installé dans la vie politique. Jean-Luc Mélenchon comme Marine Le Pen n’ont pas eu besoin d’imposer leur nom.”

Pour les électeurs issus des rangs du PS ou des Républicains, l’élection de Marine Le Pen peut cependant apparaître comme un désirable tabou, juge le chercheur. “Du point de vue de la survie de leur organisation, c’est probablement la meilleure chose qui pourrait se passer. Face à Emmanuel Macron, ils se feront balayer aux législatives. Si l’extrême-droite l’emporte, ils ont une chance de ne pas se retrouver écrasés et d'entamer la reconstruction de leurs partis respectifs”, souligne-t-il.

Présidentielle 2022 : une prime à la radicalité ?

Jean-Luc Mélenchon, que d’aucuns aiment à classer à l’extrême-gauche, est arrivé aux portes du deuxième tour et est désormais installé en position de faiseur de roi ou de reine. Marine Le Pen, rangée à l’extrême droite, a su une fois de plus grimper jusqu’en deuxième position. Difficile, dès lors, de ne pas voir dans cette élection, une certaine prime à la radicalité !

Pour autant, d’après Christophe Bouillaud, ce serait confondre causes et conséquences. “Cette radicalité, bien réelle, est le fruit d’un égoïsme qui la précède. Le vote en faveur d’Emmanuel Macron provient majoritairement des retraités, qui ont décidé que tout allait globalement bien pour eux et que la situation des autres les intéressaient peu. Il y a donc bel et bien un manque d’empathie et une radicalité du haut de la société qui ne se soucie guère plus du bas. C’est cela qui pousse ensuite les autres dans les bras de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon”, estime l’enseignant en sciences-politiques.

La source de cette radicalité ne provient pas des partis politiques à proprement parler. Elle vient du fait que l’on retrouve toute la France qui s’en sort (les retraités, les catégories socio-professionnelles les plus aisées…) derrière Emmanuel Macron et que de l’autre côté figurent les perdants. Cela ne peut qu’engendrer du ressentiment”, juge encore le spécialiste.