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Jacques Chirac, Valéry Folamour… Pourquoi les présidents sont-ils des tombeurs ?
"Tu te l’es faite, celle-là ?", demandait Claude Chirac à son père, alors président de la République. "Oui, oui", aurait répondu sans ambages l’homme d'État, qui tenait pourtant une réception. Un épisode parmi tant d’autres dans la tumultueuse vie l’ancien maire de Paris, connu pour ses conquêtes et ses nombreux adultères, rappelle Gala. Il faut dire que celui qui occupa l'Élysée de 1995 à 2007 était un séducteur invétéré. "Il avait un succès formidable. Bel homme, et puis très enjôleur, très gai. Alors les filles ça galopait", reconnaissait d’ailleurs Bernadette Chirac en 2001, dans les pages du livre Conversation. Un ouvrage dont le Journal du Dimanche reprend les informations.
Si mémorable qu'ait pu être la vie sentimentale et sexuelle du défunt président, sa situation n’avait rien d’exceptionnel, compte tenu des précédents déjà établis par des personnalités comme François Mitterrand ou Valéry Giscard d’Estaing, d’ailleurs surnommé Valéry "Folamour". Le premier avait réussi à construire une deuxième famille, tenue loin des regards et issue de son amour caché pour Anne Pingeot. Il lui aura écrit 1218 lettres enflammées, en plus de la mettre enceinte. De leur union naît Mazarine Pingeot, le 18 décembre 1974 souligne France Info. VGE, pour sa part, gagne son titre après un célèbre accident de voiture, survenu place de l'Étoile. À bord de sa Maserati et en très charmante compagnie, le président percute le camion d’un laitier. Le Canard Enchaîné, journal d’investigation satirique, dévoile l’affaire et l’affuble d’un surnom qui ne le quittera plus, raconte Gala.
"Incontestablement, il demeure une certaine culture de la séduction au sommet de l'État. Celle-ci ne date d’ailleurs pas de la Vème République. En témoigne, entre autres anecdotes, l’histoire de Félix Faure. C’est une constante des hommes de pouvoir", analyse l’historien Jean Garrigues, auteur du livre Une histoire érotique de l’Elysée, publié aux éditions Payot. "Cependant, la toute puissance dont jouit le président de la République sous la Vème République renforce cette tendance. D’abord à cause du sentiment qu’elle confère au chef de l'État, mais aussi en raison du ressenti qu’elle impose au partenaire choisi : elle crée une certaine forme de vulnérabilité", poursuit le spécialiste d’histoire politique.
Autres facteurs à prendre en compte : la génération dont sont issus ces anciens présidents. François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac ont tous connu la Seconde Guerre mondiale ainsi que l'occupation allemande — quoique de façon différente, souligne le professeur d'histoire contemporaine, enseignant à l'université d'Orléans. "Ce n'est pas insignifiant. Un tel événement laisse des traces, particulièrement dans le cas de François Mitterrand, qui fut un résistant. Dans un tel contexte, où la vie peut s'avérer très brève, le temps accordé à la séduction se révèle souvent court. C'est pourquoi il y avait, avec ces chefs d'État, une volonté affichée d'aller vite, une certaine immédiateté pour les choses de l'amour", explique le président du Comité d'histoire parlementaire et politique.
"De tous les anciens présidents de la République, celui qui incarne le plus cette forme de gauloiserie à la française est sans doute François Mitterrand. Il en est le plus emblématique", estime d'ailleurs l'historien. "Avant d'accéder aux plus hautes fonctions de l'État, il a été maintes fois ministre, élu député, sénateur ou maire à plusieurs reprises et était déjà connu pour son appétit pour la séduction. L'exercice du pouvoir, qui va avec l'omnipotence déjà abordée, n'a fait que le décupler", ajoute-t-il. Jacques Chirac, si esthète et épicurien qu'il fut, vint après.
Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron... Quel président marque la rupture avec ce jeu de séduction ?
Depuis la fin du règne de Jacques Chirac, les choses semblent avoir changé. Qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron ou de Nicolas Sarkozy, qui ont tout deux occupés l'Élysée et sont aujourd'hui plus proches qu'il ne pourrait paraître, les nouveaux chefs de l'État ne semblent plus être connus pour leur libertine extravagance ou leur goût de la conquête féminine. François Hollande, certes, n'est pas le plus fidèle des compagnons — en témoigne la façon dont il a traité Ségolène Royal, d'abord, et Valérie Trierweiler ensuite, mais il ne sera probablement pas retenu pour sa capacité à séduire à la manière d'un Valéry Giscard d'Estaing ou d'un François Mitterrand.
"La transformation se fait sous Nicolas Sarkozy. Au travers de sa rupture avec Cecilia Attias et de sa nouvelle idylle, puis de son mariage, avec Carla Bruni, il a littéralement scénarisé sa vie sentimentale. Qu'il s'agisse de sa relation compliquée avec la première femme qui l'a accompagné au palais de l'Élysée ou de son union avec la seconde, les médias ont été rapidement informés", se rappelle l'historien, pour qui cette situation est révélatrice d'un phénomène bien spécifique : dans cette nouvelle société, même les présidents ne peuvent plus garder leurs liaisons et autres relations secrètes. "François Hollande l'a découvert à son insu", précise-t-il encore.
"Le secret qui accompagnait la vie sentimentale exceptionnelle des anciens chefs d'État n'est plus tenable depuis l'arrivée d'Internet, des réseaux sociaux... Déjà sous Jacques Chirac, les potentielles fuites avaient de quoi effrayer les équipes de communication présidentielle. Il n'est donc plus possible de prendre ce genre de risques aujourd'hui", estime l'enseignant. Est-ce à dire que cette culture de la séduction, qui sillonne plusieurs générations de chefs d'État est vouée à disparaître ? Une chose est sûre en tout cas : les hommes politiques, ou en tout cas ceux qui grimpent les marches jusqu'aux plus haut sommets du pouvoir, n'ont pas nécessairement changé.
"François Hollande n'est pas si différent de ses prédécesseurs. C'est davantage une question de contexte que d'hommes et cela ne s'arrête pas après lui. Emmanuel Macron, lui aussi, exerce une certaine forme de séduction. La sienne est plus politique, en cela qu'elle vise ses interlocuteurs plutôt que d'éventuelles partenaires", juge le professeur. Si la rupture avec l'ancien monde commence avec Nicolas Sarkozy, c'est peut-être avant tout parce que la situation "empêche ce type de comportements de se répéter", détaille le chercheur.
Les futurs présidents auraient-ils intérêts à être perçus comme d'impénitents casse-coeurs ?
"Aux yeux des Françaises et des Français, Jacques Chirac, François Mitterrand ou Valéry Giscard d'Estaing étaient de véritables personnages d'exception. Par conséquent, il n'était pas illogique qu'ils jouissent aussi d'une vie amoureuse exceptionnelle", rappelle d'entrée de jeu Jean Garrigues. Pour autant, il importe aussi de préciser que la population n'était pas au fait de l'intimité de ces grands hommes comme elle peut l'être aujourd'hui. "Si personne n'ignorait que les présidents jouaient les Casanova, nul n'avait en tête le détail précis de ce qu'il pouvait se passer derrière les portes de la chambre à coucher", confirme l'auteur d'Une histoire érotique de l'Élysée (éditions Payot).Pourtant, d'une façon générale, cette capacité à séduire n'était pas préjudiciable pour les anciens locataires de l'Élysée, au contraire. "Le caractère enjôleur, gaulois même, des anciens présidents était mis à leur crédit. Il venait complémenter leur toute puissance politique. Une telle situation ne serait plus envisageable aujourd'hui", explique le chercheur.
Et pour cause ! Ce n'est pas uniquement parce que les liaisons élyséennes sont bien plus scrutées que de tels récits de prédation ne sont plus possibles. C'est avant tout parce que la perception même des présidents séducteurs a considérablement évolué aux yeux de l'électorat. "Le savoir s'accompagne aujourd'hui d'un jugement moral potentiellement hautement dommageable pour les personnalités politiques", note le président du Comité d'histoire parlementaire.
Et lui de conclure : "Il y a eu un vrai mouvement de recul à l'égard du président séducteur après différents débordements médiatiques comme l'affaire Strauss-Kahn, qu'il s'agisse de viol ou même de harcèlement. Dans une société post Me too, cette grivoiserie du chef de l'État n'est plus admissible. Le rapport de subordination implicite qui faisait de l'homme le prédateur n'est plus accepté. D'autant plus quand on sait que la toute puissance présidentielle fait l'objet de critiques de plus en plus acerbes..."