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"J’espère qu’un désaxé va l’abattre", lâchait tout de go Bernard Chenebault à propos de Greta Thunberg. Le président de l’Association des Amis du Palais de Tokyo, rappelle Libération, a depuis été démis de ses fonctions par l’institution parisienne. Pour toute forme de défense, l’homme a plaidé la plaisanterie, avant d’expliquer que le "visage haineux" de la jeune militante appellerait à la "haine en retour"...
Il est loin d’être le seul à avoir ainsi malmené la figure écologiste : sur Amazon, il fut un temps possible d’acheter des stickers "Fuck You Greta". Originellement trois euros pièce sur la plateforme américaine, l’autocollant peut désormais se trouver sur d’autres sites, note le journal suisse Le Temps. Sans oublier, évidemment, l’intervention d’Emmanuel Macron au sujet de celle qui fut pourtant invitée à l’Assemblée nationale ! Sur les ondes d’Europe 1, il a dénoncé un discours "radical", "de nature à antagoniser nos sociétés". "On ne peut pas mobiliser avec du désespoir, presque de la haine", avance pour sa part Brune Poirson, Secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, souligne BFMTV. "Haine". Quand il est question de Greta Thunberg, le mot revient (très) régulièrement. Pourquoi une telle hostilité, particulièrement quand on sait que le discours tenu par la militante n’a rien de récent ?
Greta Thunberg : pourquoi tant de haine ?
"Il y a plusieurs ressorts qui expliquent la détestation dont Greta Thunberg peut faire l’objet. Certains de ses contradicteurs jouent sur son caractère juvénile pour dire autre chose. On ne peut nier le climato-scepticisme de certains de ses adversaires", estime Sylvain Boulouque, historien qui travaille notamment sur le militantisme et les mouvances de gauche (communisme, anarchisme, syndicalisme, etc) d’une façon générale. "D’autres acceptent mal qu’une adolescente leur fasse la leçon ainsi qu’elle le fait. Ceux-là ne sont pas toujours hostiles au discours qu’elle tient, cependant, ils critiquent la légitimité de la personne qui en porte les arguments. Elle est remise en question à cause de son âge. Ne perdons pas de vue, d’ailleurs, que ces deux ressorts ne sont pas mutuellement exclusifs : ils peuvent tout à fait se cumuler", poursuit le chercheur au micro de Planet, qui mentionne une troisième position : "Dans d’autres sphères, comme celle du pouvoir politique, certains acteurs adoptent une posture d’autorité. C’est le cas d’Emmanuel Macron par exemple qui, défendant son action personnelle, attaque aussi Greta Thunberg."
Naturellement, juge l’historien, le genre de la militante n’est pas étranger aux critiques dont elle fait l’objet. "Elle fait surtout réagir des hommes blancs hétérosexuels, comme Eric Zemmour ou Michel Onfray. Il y a évidemment une part de misogynie dans leurs reproches", explique-t-il.
Pour Eddy Fougier, politologue et chargé d’enseignement à Sciences-Po Aix, d'autres facteurs sont aussi à évoquer. "La période actuelle est assez particulière et face à l'angoisse collective, il arrive souvent qu'on en veuille aux lanceurs d'alertes, ce qu'est Greta Thunberg. Cependant, à mon sens, cela n'explique pas tout : si elle est critiquée c'est aussi parce qu'un pan de la population a des problèmes de fond comme de forme avec son message", analyse-t-il.
"Sa façon de s'exprimer peut être perçue comme abrupte et est susceptible de déranger. Particulièrement quand l'on sait qu'elle est le symbole d'une génération qui agace d'ores et déjà ses aînés et incarne un clash entre deux époques. Le culte dont elle semble bénéficier n'est pas non plus sans impact", juge le politologue. "Par ailleurs, le caractère culpabilisant et catastrophique du message qu'elle délivre et sa manière de pointer du doigt tant les gouvernants que celles et ceux venus avant elle laisse un goût amer à tous ceux qui se sentent mis en accusation", poursuit-il, non sans préciser qu'il s'agit ici "d'expliquer la critique, pas de la légitimer".
Greta Thunberg peut-elle délivrer son message sans choquer ?
"Pour faire la une du 20h aujourd'hui, il est presque devenu indispensable de montrer des poubelles brûlées. Mécaniquement, cela implique donc de mettre en place des actions spectaculaires", estime Sylvain Boulouque pour qui Greta Thunberg s'inscrit clairement dans "la lignée des mouvances écologiques des années 1970", avec tout ce que cela peut comprendre comme "actions d'éclat". "C'est pour eux le seul moyen de se faire entendre, quand bien même on peut discuter de sa pertinence pour parvenir à générer de l'adhésion", ajoute l'historien.
Pour autant la forme n'est pas l'unique raison pour laquelle le message de l'égérie écologique suédoise ne peut que choquer : "Le militantisme force, dans une certaine mesure, à adopter une posture radicale. Sans quoi, encore une fois, il est difficile de se démarquer. D'autant plus quand, comme Greta Thunberg on milite pour un projet de société à ce point différent du système en place. Certains veulent en effet une rupture avec le capitalisme consumériste, voire la mise en place de la décroissance. Ce qui constituerait une véritable rupture", poursuit-il.
Mécaniquement, différentes visions de société s'opposent avec toute la conflictualité que cela peut engendrer. "Greta Thunberg se situe dans cette logique de l'autre mondialisation. Elle est proche de la gauche radicale, qui est très forte en Suède, ce qui joue probablement sur son engagement. Elle prône une révision des rapports sociaux, vers une société plus égalitaire. Ce qui la rend d'autant plus détestable aux yeux de celles et ceux installés au pouvoir : son discours dérange. Les gouvernements en place font face à un choc frontal et sont obligés de louvoyer", souligne l'historien spécialisé.
Une analyse que partage, au moins partiellement, Eddy Fougier. Selon lui, la jeune militante pointe en effet du doigt notre mode de consommation ainsi que de production et pose la question du mode économique actuel. "Cependant, la vision qu'elle a fait l'objet de nombreuses critiques car elle peut s'avérer très pessimiste sur la nature de l'humain. Elle voit en l'Homme une espèce prédatrice, dangereuse pour l'environnement là où certains optimistes pensent au contraire que nous serons en mesure de nous adapter et de trouver les solutions", explique-t-il.
"Fondamentalement, on reproche à Greta Thunberg d'ignorer les éventuelles alternatives qui sont susceptibles d'exister. Le changement qu'elle propose consiste, somme toute, à passer d'une situation d'abondance à une situation de pénurie. C'est une forme de nouveau communisme, en cela que la gestion des ressources sera nécessairement autoritaire. Dans ce système, il faudrait mettre en place des mesures coercitives pour pouvoir limiter les déplacements par exemple. C'est ce qui ressort de nombreuses critiques qui craignent une forme de dictature verte", juge le politologue.
Greta Thunberg est-elle la première militante à subir un tel traitement ?
Si Donald Trump n'hésite pas à s'en prendre à Greta Thunberg sur Twitter, comme le rappelle Le Parisien, elle n'est "clairement pas la première militante à subir un tel traitement", assure le chargé d'enseignement à Sciences-Po Aix. "Le discours que tient Gretha Thunberg n'a rien de très nouveau ou de très original. C'est le même que celui du biologiste américain Paul R. Ehrlich, qui avançait des arguments sensiblement similaires dans les années 1960", rappelle-t-il.
"Pour autant, il est probablement plus prégnant aujourd'hui : d'une part parce que la défiance qui existe à l'égard du politique favorise ce type de propos critique mais aussi parce que l'urgence climatique le rend beaucoup plus audible. Ce qui rend, mécaniquement, la situation inédite et n'est pas sans conséquences réelles sur notre réalité contemporaine", note-t-il.