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Faut-il annuler la dette publique ? C'est en tout cas ce que prônent certains économistes, parmi lesquels un certain nombre d'économistes - cent cinquante, à en croire la tribune dont parlait Le Monde en février dernier -, dont quelques-uns sont d'ailleurs très connus. Thomas Piketty, pour ne citer que lui, faisait en effet partie des signataires. Depuis, le sujet continue de faire couler de l'encre, comme en témoigne encore la chronique rédigée par Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire et directeur de l'Institut Rousseau, pour Capital. Lui aussi envisage pareille solution.
Cette dernière, dont on parle de plus en plus souvent - et qui a d'ailleurs eu droit à son lot d'articles dans nos colonnes - est-elle seulement crédible ? Devrait-elle inquiéter les épargnants, ainsi que ne semble le craindre l'essayiste Charles Gave, ainsi que le rapporte le site spécialisé Or ? "C'est toujours pareil : tout dépend vraiment de ce que l'on entend par 'annuler la dette'", répond d'entrée de jeu l'économiste Alexandre Delaigue.
"En pratique, cela peut prendre tout un tas de formes différentes… qui varient de la réduction du coût de la dette, jusqu'à ce qu'il soit nul ou presque, au défaut de paiement pur et simple, comme a pu le faire l'Argentine dans les années 2000", poursuit-il ensuite, non sans préciser que certaines solutions pourraient s'avérer tout simplement catastrophiques. Pour la France comme pour ses habitants.
Annulation de la dette publique : de quoi parle-t-on au juste ?
"Quand on entend parler d'annulation de la dette publique, en ce moment, il est rarement question d'évoquer un véritable défaut de paiement", souligne le professeur agrégé d'économie et de gestion, qui enseigne à l'université Lille-1 et est passé par l'école Saint-Cyr. Selon lui, les experts débattent bien davantage de la dette détenue par la Banque centrale européenne (BCE), dont le statut est très spécifique. Mais qu'est-ce que cela change, pour le Français ou la Française lambda ?
"La dette que détient la BCE ne génère pas de coût, en cela que les intérêts payés par la France lui reviennent sous forme de bénéfices pour la Banque de France, laquelle fait partie de l'État. Cela revient donc à se payer des intérêts à soi-même. C'est d'ailleurs ce qu'avancent les partisans du remboursement", souligne l'enseignant-chercheur. Cependant, précise-t-il encore, cette situation n'est pas nulle. "Certes, annuler la dette présente un coût pour un gain économique inexistant. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la dette permet aussi de justifier des politiques d'austérité. C'est aussi pour cela que d'autres veulent l'annuler", indique-t-il encore. C'est peut-être là le risque qui guette certains contribuables.
Dette publique : les contribuables devraient-ils craindre son annulation ?
"Si les choses demeurent en l'État, il ne fait aucun doute que la dette publique sera utilisée pour la mise en place de politiques austéritaires et relativement restrictives sur le plan économique. Sauf changement d'orientation insoupçonnable, c'est clairement la ligne que s'apprête à suivre Emmanuel Macron et son gouvernement", tranche Alexandre Delaigue, qui n'hésite pas citer le rapport Arthuis sur les finances publiques, publié en mars 2021, et les récentes déclarations du ministre de l'Economie au sujet de la dépense publique. "Ce discours n'est pas seulement celui du président. C'est aussi celui de toute une série de candidats", souligne-t-il d'ailleurs, rappelant que même si le chef de l'Etat ne parvenait pas à assurer sa propre succession, il reste probable que ce type de politique persiste.
Du reste, faut-il craindre une annulation de la dette qui ne se caractériserait pas par un défaut de paiement ? "Je ne suis pas sûr que cela changerait drastiquement les choses. Le contexte politique ne s'en retrouverait pas nécessairement transformé, quand bien même nous devrions faire face à de nombreuses incertitudes européennes. En outre, il est possible de sortir de l'austérité sans avoir à s'arracher les cheveux sur la dette. C'est ce que font les Etats-Unis, dont le niveau de déficit public est très élevé", estime l'enseignant en économie et en gestion.
Si la France décidait de faire banqueroute, alors la situation serait incomparable. "C'est un scénario vraiment effrayant, parce qu'il est proprement catastrophique. Faire défaut signifie bien sûr ne plus avoir à payer d'intérêts… Mais surtout, c'est se fermer toute possibilité d'emprunter", insiste le chercheur. "Cela veut donc dire qu'il faut être en mesure d'assumer toutes les dépenses publiques sans jamais générer de déficit", poursuit-il. Comprenez donc : il faudrait pouvoir financer la Sécurité sociale, les retraites, le paiement des fonctionnaires, les infrastructures, etc., sur les seuls deniers de l'Hexagone.
Et Alexandre Delaigue de conclure : "Aujourd'hui, la France en est incapable. Une situation pareille pousserait nos gouvernants à réaliser urgemment des coupes drastiques dans nos dépenses et à augmenter les taux de prélèvements".
Dette publique : faut-il s'attendre à une hausse d'impôts pour financer la dépense en France ?
Les Etats-Unis d'Amérique ont déjà commencé à réfléchir au monde d'après, rapporte Le Monde. L'administration Biden présentait récemment - à travers la voix de Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain - un nouveau projet de plan fiscal international. "Ensemble, nous pouvons utiliser un impôt minimum mondial pour nous assurer que l'économie prospère sur la base de règles du jeu plus équitables en matière d'imposition des sociétés multinationales", affirmait-elle en effet le 5 avril 2021.
En France, cependant, Bruno Le Maire a depuis longtemps fait savoir qu'il se refusait à l'augmentation des prélèvements obligatoires ou à la création de nouveaux impôts. Une rhétorique sans prise sur le réel, assure Alexandre Delaigue.
"Ce genre de discours n'a pas beaucoup de sens. Il s'agit surtout d'une promesse électoraliste qui conduit ensuite à faire des contorsions pour ne pas augmenter les impôts… avant de finalement le faire tout en se masquant derrière un autre nom. Supprimer un allègement de charges, par exemple, ne signifie pas augmenter un impôt. En pratique, pourtant, le résultat est le même", analyse l'enseignant-chercheur, qui juge d'ailleurs que le gouvernement français surestime parfois les effets néfastes - sur le plan politique, au moins - de certains impôts. Pour appuyer son propos, il cite notamment la réforme de l'ISF.
"Pour autant, il faut savoir raison garder. Ces pays qui souhaitent aujourd'hui augmenter leurs impôts partent de taux plus bas que ceux que l'on trouve en France", précise-t-il néanmoins.