Emmanuel Macron devrait-il avoir peur des retraités ?AFP
Le président travaille dorénavant à sa réélection. Il ne saurait y arriver sans l'aval des retraités.
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Calculs politiques. 2022 approche à grands pas et, de toute évidence, le président de la République le sait. Il n'est d'ailleurs pas le seul, indique le quotidien régional Sud-Ouest, qui se fait l'écho de la presse internationale. A l'étranger, quelques heures seulement après la dernière allocution télévisuelle du chef de l'Etat, sa stratégie sanitaire interroge. Aux États-Unis, il est désormais décrit comme "le funambule qui pourrait tomber". Outre-Manche, le Daily Telegraph jure même que l'élection est d'ores et déjà perdue… Faute de pari sanitaire réussi. "La survie politique de M. Macron n'est plus assurée", écrivent nos confrères britanniques. De quoi inquiéter l'hôte de l'Elysée, peut-être.

Pour autant, ce n'est pas la presse étrangère qui saurait décider du sort du chef de l'Etat. Ce rôle revient aux Français ; et aux Français seulement ! D'aucuns pourrait même arguer que ce seront les retraités de l'Hexagone qui feront la vie ou la mort politique de l'ancien ministre de François Hollande. C'est eux qui lui faut craindre, eux qu'il lui faut convaincre. "Aucun candidat à l'élection présidentielle ne peut aujourd'hui négliger cet électorat ; sauf à ne pas désirer être élu. Il s'agit réellement d'un pan stratégique de la population qui vote", rappelle d'entrée de jeu le politologue Christophe Bouillaud, qui enseigne les sciences politiques à l'IEP de Grenoble.

Emmanuel Macron peut-il gagner contre les retraités ?

"Naturellement, Emmanuel Macron n'a rien à craindre des Panthères grises ou de tout autre mobilisation de retraités dans la rue. En revanche, il ne peut tout simplement pas faire l'impasse sur leur participation", poursuit-il. Car les retraités cumulent deux avantages : ils sont très actifs électoralement parlant, du fait de leur socialisation et d'habitudes ancrées (dans bien des cas, le vote est perçu comme un devoir civique) et ils sont aussi particulièrement nombreux. C'est l'autre effet du baby boom. "En pratique, la ligne de partage arrive un peu avant la retraite. Dès 50 ans, dans la configuration actuelle, on peut se dire que l'on commence à peser électoralement", détaille l'enseignant-chercheur.

Les retraités peuvent donc compter tant sur leur nombre que sur leur tendance au vote pour faire ployer le président et choisir par qui le remplacer… Ou au contraire le sauver des griffes de la défaite. En 2022, quel sera leur choix ?

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Emmanuel Macron doit-il craindre les retraités ?

"Plusieurs évènements pourraient assez aisément dresser les retraités contre Emmanuel Macron, mais en l'état actuel des choses, il aurait plutôt de quoi se rassurer", souligne de prime abord Christophe Bouillaud, pour qui le président n'a pas besoin de beaucoup bouger idéologiquement pour se rendre compatible avec les attentes des plus âgés des votants. 

"Tant qu'il ne prend pas de décision idiote - augmenter soudainement la CSG, par exemple -, il m'apparaît en sécurité. Le chef de l'Etat a d'ailleurs cherché à radicaliser son discours sur l'islam pour séduire cette tranche de l'électorat. Ce n'est peut-être pas assez pour toutes celles et ceux qui sont incapables de voir que les musulmans ont leur place dans notre société et il n'est pas impossible qu'un candidat de droite puisse le doubler sur ces sujets. La situation ne dépend pas que de lui", observe encore le politologue.

Un autre facteur externe pourrait signer la mort politique d'Emmanuel Macron, estime-t-il. "Si l'addition du coronavirus arrive et que l'on s'aperçoit que les retraités, parce que vieux, sont mis à l'écart de l'hôpital afin de sauver les plus jeunes, cela serait probablement très mal vécu. Le président a tout à craindre d'une surmortalité des plus anciens", analyse le chercheur en sciences politiques.

Pour l'économiste Frédéric Farah, enseignant-chercheur à l'université Panthéon-Sorbonne et auteur de plusieurs ouvrages économiques dont Fake state: l'impuissance organisée de l'Etat (éditions H&O), les retraités voteront peut-être pour Emmanuel Macron… "faute de mieux". Il a toutefois du mal à imaginer qu'ils puissent collectivement se montrer attirés par le projet du chef de l'Etat. "A mon sens, les retraités modestes n'ont plus de raison de voter pour le président. Bien sûr, celles et ceux dont la situation économique est aisée peuvent l'apprécier. Mais ils constituent une minorité", juge-t-il. "Peut-être l'exécutif cherchera-t-il à les reconquérir à grands coups de promesses qui n'engageront que ceux qui les écoutent. Il n'est de toute façon plus en mesure d'agir véritablement sur les sujets économiques qui les concernent", assène encore l'auteur. Et lui d'égrener le chapelet des reproches qu'ils pourraient légitimement lui formuler…

Emmanuel Macron : les retraités ont-ils raison d'être en colère ?

"Les retraités ont toutes les raisons du monde d'être en colère. D'aucuns pourraient arguer que le président de la République est revenu sur la hausse de la CSG. C'est vrai, mais c'est passer à côté du message qu'il a décidé d'envoyer : en l'augmentant ainsi, le chef de l'Etat a signifié que la CSG continuerait de servir comme levier, que nous allions vers la fiscalisation de notre protection sociale. Et, par conséquent, que les retraités et leur niveau de vie faisaient désormais partie des variables d'ajustement", rappelle d'abord Frédéric Farah. Un avis que semble partager - au moins partiellement - Christophe Bouillaud, pour qui Emmanuel Macron n'aura pas de retour sur investissement après sa reculade sur la contribution sociale généralisée. "Le chef de l'Etat est certes revenu sur la hausse de la CSG, mais je crois que cela n'a pas été très bien perçu par l'essentiel des retraités, au quotidien. En somme, il a rendu l'argent sans que cela ne serve politiquement", assure-t-il.

L'autre raison qui pourrait légitimer la colère des retraités, juge l'économiste, c'est la ruine progressive de nos services publics, dont la crise sanitaire constitue un exemple très concret. "Naturellement, Emmanuel Macron n'en est pas le seul responsable. Mais il s'inscrit dans une logique de longue date, qui vise à troquer nos services publics pour un filet de sécurité a minima, ce qui n'est évidemment pas sans impact sur les retraités. C'est un problème collectif, que l'on observe à bien des niveaux… comme celui de la précarisation progressive de nos anciens dont on organise l'appauvrissement", souligne-t-il.

Cependant, juge le politologue, il est possible que nos retraités ne soient plus aussi motivés par l'intérêt commun qu'ils n'aient pu l'être par le passé. Et lui de citer en exemple la réforme des retraites souhaitée par le président : "Ils sont de loin les plus favorables à la transformation de notre modèle de solidarités intergénérationnelles… Quand bien même ils ne seront pas concernés. Les retraités français souhaitent une réforme des retraites qui leur garantira que les pensions des autres demeurent moins élevées afin qu'il soit possible de financer les leurs. En somme, ils veulent que l'on coupe l'échelle qui leur a permis de grimper en haut de l'arbre duquel ils goûtent les fruits".