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Planet : Est-ce la première fois que l’on assiste à un scandale d’Etat mêlant à la fois la droite et la gauche sous la Ve République?Thomas Guénolé : "Non, il y en a également eu plusieurs. Je pense à l’affaire dite Elf ou de la Centrafrique : un vaste système de corruption qui a autant existé sous la gauche que sous la droite. Il y a aussi eu le scandale Gordji en 1988. En plein débat télévisé de l’entre-deux tour, François Mitterrand et Jacques Chirac se sont mutuellement accusés de mentir concernant la libération d’un diplomate iranien, Wahid Gordji, impliqué dans les attentats de fin 1986 à Paris. Tous les gens qui avaient la télé cette année-là s’en souviennent. C’est même de là que vient l’expression ‘droit dans les yeux’. En effet, Jacques Chirac a dit à son adversaire : ‘Pouvez-vous, en me regardant droit dans les yeux, maintenir que…’, et c’est ensuite entré dans la postérité.
Jusqu’aux années 1980, il n’y avait pas de système légal prévu pour le financement des partis politiques. Tout ce faisait donc dans une sorte d’illégalité généralisée. Mais à la fin de cette décennie, et sous l’impulsion de François Mitterrand, on a cherché à moraliser les partis politiques. Certains systèmes occultes de financement ont toutefois perduré, ce qui a ensuite provoqué des scandales des deux côtés de l’échiquier politique et à intervalles réguliers. On a ainsi eu le scandale des HLM de Paris pour la droite et l’affaire Urba pour la gauche.
Planet : l’affaire Jouyet-Fillon n’a donc rien de nouveau ?Thomas Guénolé : Elle n’a absolument rien de nouveau. Parler de blancs bonnets et de bonnets blancs est même la marque des extrêmes. Dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen parlait de ‘la bande des quatre’ pour évoquer le RPR, l’UDF, le PS et le PCF. Aujourd’hui, sa fille utilise l’expression ‘UMPS’. Et c’est pareil chez l’extrême gauche : dans les années 1960, Jacques Duclos employait déjà l’expression ‘blancs bonnets, bonnets blancs’ pour qualifier la droite et la gauche. Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon dit qu’ils font ‘la même politique’. Pour les premiers, tous les républicains sont les mêmes tandis que pour les seconds, tous les républicains sont à droite. Pourtant, l’UMP et le PS ne sont pas pareils. Planet : Pourquoi cet argument ne tient-il pas la route ? Thomas Guénolé : Parce qu’il y a plusieurs exemples bien concrets qui prouvent le contraire. Et il n’y a pas besoin de chercher bien loin pour en trouver. Au sujet de l’immigration, le PS facilite l’obtention de la nationalité française tandis que l’UMP, au contraire, en durcit les conditions. Prenez également le cas du mariage gay : le PS est pour quand l’UMP est contre…Planet : Quels sont selon vous les grands perdants de cette affaire ?Thomas Guénolé : En premier lieu et de loin, Jean-Pierre Jouyet. Le problème n’est pas qu’il ait menti. Il est courant que les politiques tentent d’enfumer les journalistes. Le problème c’est qu’il s’est ridiculisé en démentant son propre démenti. Et puis, qui lui fera confiance à présent ? Une situation d’autant plus handicapante qu’il est le bras droit du président. D’autre part, son implication dans cette affaire nourrit le fantasme d’un cabinet noir à l’Elysée, même s’il n’y a pas de preuve de son existence.
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L’autre grand perdant de ce scandale est bien évidemment François Fillon. Il est accusé dans un débat public et comme c’est une personnalité politique, la présomption d’innocence ne s’applique pas. Dans son cas, c’est la présomption de culpabilité qui prévaut. Cette affaire promet de le suivre en termes d’image, à moins qu’il bénéficie d’une réhabilitation médiatique massive mais j’en doute fort. Seul Dominique Baudis en a profité mais il avait quelques avantages : c’était un ancien journaliste de TF1, il était patron du CSA et les calomnies à son sujet étaient vraiment ignobles. Autant d’éléments que ne réunit pas l’ancien Premier ministre.
Entre François Fillon et Jean-Pierre Jouyet, il y en a forcément un qui ne se relèvera pas. Et c’est, selon moi, celui qui passera pour un menteur. De là à savoir lequel… je ne peux rien dire, je n’étais pas autour de la table le 24 juin.
Dans le groupe des perdants, on retrouve aussi et dans une moindre mesure François Hollande. Le chef de l’Etat risque de perdre son bras droit et toute cette affaire participe au procès en amateurisme que l’on fait à son équipe depuis deux ans.
Planet : A l’inverse, quels en sont les grands gagnants ?Thomas Guénolé : Il y a d’abord Nicolas Sarkozy. Toute cette affaire va dans le sens de l’acharnement judiciaire qu’il dénonce à son encontre. Mais en même temps, cela fait aussi ressurgir les affaires qui le visent. Ce qui n’est pas forcément à son avantage… Le véritable grand gagnant est sans conteste Alain Juppé. Il ne fait que gagner, non pas dans l’absolu mais comparativement. C’est en effet le seul des trois postulants UMP pour 2017 qui a été épargné par toutes ces affaires nauséabondes".