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Privilèges ? Les retraités ont beau avoir été épargnés par le volet financier de la crise sanitaire, ils n'en demeurent pas moins scrutés de toute part. Leur niveau de vie est étudié et sans cesse comparé à celui des actifs, aujourd'hui statistiquement inférieur. Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, au moins, c'est une rhétorique à laquelle il devient difficile d'échapper et elle n'est pas sans soulever un certain nombre de questions.
La première d'entre elles est évidente : pourra-t-on continuer à assurer le confort de vie actuel des Françaises et des Français ayant liquidé leur droits à la retraite ? Faudra-t-il, un jour, envisager la chute du montant des pensions ? Le sujet est politiquement explosif. Ce qui n'empêche pas certains experts de donner de la voie : eux, ont tranché.
Pour un nombre conséquent de spécialistes ainsi que pour certaines institutions, il n'y a pas de doute possible. Les solutions manquent, aussi il faudra à terme s'y résoudre, sauf à retrouver une croissance susceptible de financer les dépenses de retraite sans avoir à amputer les revenus des anciens travailleurs. C'est une des lectures de la situation et, comme toujours, elle n'est pas dénuée de politique.
Et leur prise de parole dans bien des médias n'a rien d'anodin, à en croire les travaux de l'économiste Edward Herman et du philosophe Noam Chomsky. Dans leur essai Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, ils estiment que ce genre d'interventions participe potentiellement à la fabrique du consentement.
Pensions de retraite : quels sont les arguments de ceux qui voudraient les voir chuter ?
Les différents économistes qui prônent une réduction des dépenses de retraite avancent plusieurs raisons pour justifier leur analyse. Certaines sont systémiques, structurelles - elles ont trait au système de solidarités intergénérationnelles français dans son ensemble, donc - tandis que d'autres sont conjoncturelles. Ces dernières dépendent donc de la situation actuelle et évoluent avec le temps. Le coronavirus Covid-19 et la crise économique qu'il engendre en constitue un bon exemple. Il a provoqué la hausse du déficit du modèle de retraite hexagonal et, pour combler ce défaut de finance, le Conseil d'orientation des retraites (COR) juge nécessaire de baisser le montant des pensions de retraite, rapporte La Dépêche. "Les cotisations des actifs doivent payer les pensions des retraités et s'équilibrer en moyenne année après année", rappelle d'ailleurs Didier Blanchet, le président du Comité de suivi des retraites (CSR), dans les colonnes du Figaro.
Quels sont les problèmes structurels du modèle de retraite français ?
Plusieurs problèmes structurels fragilisent, estiment les experts en faveur de la baisse des dépenses de retraite, le modèle de solidarités intergénérationnelles français. Le vieillissement démographique est l'un des plus importants : le nombre de retraités progresse en comparaison à celui des actifs. En 1980, on recensait deux anciens travailleurs pour 10 individus toujours au charbon tandis qu'aujourd'hui ils sont trois contre dix. En 2060, alerte l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), dont les conclusions sont reprises par Le Point, ils seront 6 contre 10.
Par ailleurs ; ainsi que l'a expliqué dans nos colonnes l'économiste Florence Legros, qui dirige l'ICN Business School, l'effet "noria" fait augmenter "naturellement" la pension moyenne à chaque nouvelle génération de retraités, les nouveaux travailleurs bénéficiant statistiquement de meilleurs salaires que leurs aînés. Dès lors, en plus du nombre grandissant de retraités, ces derniers deviendraient plus coûteux…
Reste donc trois solutions pour maintenir l'équilibre d'un système par essence prompt à créer des déficits, au regard de cette grille de lecture. Relever l'âge de départ à la retraite, augmenter le taux de cotisations des actifs ou baisser le niveau des pensions.
Cependant, il importe aussi de préciser que d'autres économistes avancent d'autres arguments et que cette analyse, si répandue soit-elle, ne fait pas consensus partout. Explications.
Retraite : quels sont les arguments des autres économistes ?
"Doit-on souscrire à la petite musique qui circule parfois dans l'espace social, de voir les retraités comme des privilégiés ?", interrogeait récemment l'économiste Frédéric Farah dans nos colonnes. Et lui de pointer du doigt la baisse du niveau de vie des retraités et le "partage de la précarité" que souhaiterait nous imposer "un certain libéralisme".
Selon les économistes qui partagent l'analyse de Frédéric Farah, il n'est pas possible de se contenter de cela. Un autre monde, alternatif, pourrait être viable sur le plan économique. Ce dernier, implique de renverser la table et de lire l'économie et les rapports de force autrement - via le prisme du travail, plutôt que celui du capital - comporte une part de politique assumée, comme le projet défendu par les universitaires précédemment évoqués. Cependant, le choix de société et les intérêts identifiés comme ceux du bien commun ne sont pas les mêmes.
Théoriquement, cet autre projet permettrait à la fois un meilleur niveau de vie aux retraités et aux actifs, jugent ses adeptes.
"Il faut aussi restaurer une politique fiscale qui reviendrait sur des années d'injustices sociales et financières. Les travaux de Thomas Piketty constituent, en la matière, un bon point de démarrage. Une chose en appelant une autre, nous pourrons reconstituer une véritable politique de revenus, avec revalorisation régulière des salaires - négociées, bien sûr avec les acteurs sociaux - et une redynamisation de la démocratie. Je ne parle pas seulement de rendre du pouvoir d'achat aux Françaises et aux Français, mais bel et bien de revoir en profondeur la répartition du travail et du capital", analysait l'auteur de Fake State: L'impuissance organisée de l'État en France pour Planet.