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Et toi, tu portes un masque ? Depuis le début du déconfinement le 11 mai dernier, de nombreux Français ont choisi de porter un masque lorsqu’ils sortent de chez eux, pour se balader dans la rue ou pour faire leurs courses. Son port est d’ailleurs obligatoire dans les transports en commun, mais aussi dans de nombreux commerces. Lorsqu’il n’est pas imposé, le port du masque dépend de chacun mais, depuis quelques semaines, les pro-masques s’opposent aux anti-masques. Qui sont ceux qui refusent d’en porter lorsqu’ils ne sont pas obligés ? Comment ces choix peuvent-ils s’expliquer ? Y a-t-il un risque de division dans la société ? Dominique Desjeux, anthropologue, professeur émérite à la Sorbonne et auteur du livre L'empreinte anthropologique du monde (éditions Peter Lang), explique, pour Planet, ce que change le port du masque dans nos relations sociales.
Port du masque : "Une distance physique qui signifie une distance sociale"
Que change le port du masque dans nos relations sociales ?
Dominique Desjeux : Il y a derrière tout ça une notion intéressante, la proxémie, c’est-à-dire la distance physique qui est acceptée en fonction des cultures. Derrière le masque, il y a une espèce de structure du comportement humain. Avec ce qu'on a pu observer, il y a des comportements humains qui préexistent à l’existence du masque et qui vont nous aider à l’accepter ou pas.
Quels sont ces comportements humains ?
Dominique Desjeux : Dans les pays où il fait froid et où il y a une distance physique forte, le port du masque ne pose pas trop de problèmes. On peut dire qu’il y a un lien entre une habitude d’être très proche, de se toucher et le nombre de morts et, peut-être, la difficulté ou pas à porter le masque qui exprime une distance physique. Ce qui rend compliqué le port du masque, c’est que, dans certains pays, où la distance est faible, on a l’habitude de se toucher, ça signifie une distance physique qui signifie une distance sociale.
"Le masque est surtout porté par des papy boomers"
Avec ce qu’on a pu observer jusqu’à présent, qui a plus tendance, en France, à porter un masque ?
Dominique Desjeux : Aujourd’hui, on a l’impression que le masque est surtout porté par des personnes âgées, par des papy boomers, donc le masque est aussi un signe de générations. Les personnes plus âgées portent plus volontiers le masque, car elles savent qu’elles sont une population plus fragile. Les plus jeunes portent moins le masque, peut-être parce qu’ils ont moins peur. Le lien commun entre tous ces rapports au masque c’est la peur. La peur de perdre le lien social à cause du masque, la peur de la maladie... La peur joue un rôle important.
Peut-on comprendre la réticence de certains à le porter ?
Dominique Desjeux : Oui, c’est clair. Il y a deux réticences. La première, c’est le refus de se voir imposer quelque chose, c’est très français ! On a une espèce d’anarchisme anti-masque, anti-règles. La deuxième réticence, c’est la peur de la perte du lien social, qui varie énormément en fonction des individus. On ne peut plus se toucher, on ne peut plus s’embrasser… Dans ces cas-là, le port du masque est vécu comme une rupture du lien social.
Port du masque : "Sous la contrainte de la peur, le masque peut durer"
Peut-on imaginer que le masque s’installera durablement dans les habitudes des Français ?
Dominiques Desjeux : Si la peur reste, oui, on peut le penser. Les changements d’habitudes se font, ou ne se font pas, en fonction des contraintes. Pour toutes les personnes qui sont retournées travailler, car elles dépendent du travail, le port du masque est une contrainte énorme. Sous la contrainte de la peur, le masque peut durer.
Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une scission entre les pro-masques et les anti-masques ? Comme il en existe sur de nombreux sujets…
Dominique Desjeux : C’est sûr ! Ce n’est pas impossible que les gens qui soient en télétravail ne soient pas favorables au masque et que ceux qui travaillent physiquement soient plus favorables. Ce n’est qu’une supposition mais, derrière le masque, il peut y avoir un effet de classe sociale. On peut aussi analyser le masque comme un révélateur des clivages sociaux et des classes sociales.