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Frédéric Farah est économiste, enseignant-chercheur en sciences-économiques et sociales à l'université Panthéon-Sorbonne. Il a signé plusieurs ouvrages sur la question de la dette publique et des finances de la France dont : Fake State : l'impuissance organisée de l'Etat en France (2020, ed. H&O).
La récente crise pandémique a jeté une lumière crue sur la situation économique et sociale des personnes âgées.
Le rapport des Petits frères des pauvres du 30 mars était éloquent sur le sujet."Le premier confinement a entraîné une profonde modification des relations sociales avec une intensification des relations familiales et une baisse d'intensité des relations amicales et de voisinage. Mais 720 000 personnes âgées n'ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement. Et si 87 % des personnes âgées ont eu quelqu'un à qui se confier, 650 000 personnes âgées n'ont eu aucun confident. 32 % des Français de 60 ans et plus ont ressenti de la solitude tous les jours ou souvent, soit 5,7 millions de personnes. 13 % ont ressenti cette solitude de façon régulière. Le manque le plus important a été de ne pas voir ses proches. En 2019, 27 % des Français de 60 ans et plus (4,6 millions de Français de 60 ans et plus ressentaient de la solitude), dont 9 % de façon régulière (soit 1,5 million de personnes)."
L'État travaille activement à la précarisation des retraités
Cette situation vient s'ajouter aussi à la précarisation progressive d'un certain nombre de retraités et au retrait de l'État en matière de services publics.
Dans l'histoire sociale française, la pauvreté des travailleurs âgés a constitué un véritable défi. Il a fallu attendre la mise en place de la Sécurité sociale et sa montée en puissance à partir de la fin des années 1960, pour voir leur pauvreté se réduire.
Le rajeunissement récent de la pauvreté ne peut faire oublier la précarisation des retraités même si notre système de protection sociale reste encore très largement un système protecteur.
Cette précarisation emprunte plusieurs chemins. Elle se retrouve avant toute chose dans les transformations qui ont affecté notre système de retraites.
Pensions de retraites : comment l'État les a diminuées d'années en années
Depuis 1993, les différentes réformes de retraites dites paramétriques ont eu pour effet d'allonger la durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein, et ont rendu le calcul des pensions moins favorables.
Un rapide portrait de la situation s'impose :
Les règles d'indexation des pensions diffèrent selon les régimes (fonction publique, régimes complémentaires AGIRC-ARRCO…). Entre 2003 et 2013, le pouvoir d'achat des pensions brutes a diminué de 0,4 point à l'ARRCO et de 2,4 points à l'AGIRC.
Dans le même temps, les taux des prélèvements sociaux sur les pensions de retraite ont augmenté, notamment dans les années 1990, d'où une évolution des pensions nettes moins favorables que celles des pensions brutes.
Plus encore dans son dernier rapport de novembre 2020, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a indiqué que le niveau de vie des retraités devrait passer en dessous de celui des actifs. En 2018, il restait encore au dessus de celui des actifs. Gardons bien à l'esprit que le taux de remplacement des nouveaux retraités est moins intéressant que celui de leurs aînés.
La baisse du pouvoir d'achat a été liée à l'augmentation de la CSG, de la non revalorisation des pensions de base et de la complémentaire du privé
Le niveau de vie moyen des retraités rapporté à celui de l'ensemble de la population s'établirait entre 88 et 92% en 2040 et entre 75 et 83% en 2070, alors qu'il est proche de 103% aujourd'hui."Cet indicateur retrouverait alors des valeurs comparables à celles qu'il prenait dans les années 1980", rappelle le COR.
Si l'on suit le dernier rapport du COR de novembre 2020 : "Au niveau individuel, pour les retraités présents/présents, les pensions ont connu au cours des 25 dernières années une érosion de leur pouvoir d'achat différente selon la génération, d'autant plus importante que leur pension est élevée. Ainsi, étudié sur cas type, le pouvoir d'achat d'un retraité non-cadre du secteur privé a diminué entre environ 3 % et 4 % selon les générations, entre l'année de leur départ à la retraite et 2019 ; celui d'un retraité cadre né en 1932 a enregistré une baisse de près de 14 %. Ces érosions s'expliquent principalement par les mécanismes d'indexation des pensions et par la hausse des prélèvements sociaux sur les retraités (notamment celle de la CSG depuis sa création au début des années 1990)"
"Faire partager au plus grand nombre la précarité"
Selon une enquête de Silver Alliance réalisée par le CSA et dont les résultats ont été présentés dans un communiqué de presse du 13 avril 2021 :
"En effet, près de 7 retraités sur 10 déclarent avoir ressenti une baisse de leur pouvoir d'achat depuis leur départ à la retraite. Des résultats à prendre avec nuance puisque pour la moitié d'entre eux, la baisse est évaluée à moins de 15 %. Ils sont 6 retraités sur 10 à redouter une diminution de leur pouvoir d'achat dans les prochaines années".
Il est à craindre que la réforme systémique en cours de préparation amplifie les tendances à l'œuvre. La contraction durable de l'activité économique en raison de la présente crise, donnera des raisons supplémentaires au gouvernement pour réduire l'enveloppe des retraites. Sans compter que la progression du chômage et son installation dans la durée vont rendre les carrières de plus en plus heurtées.
Réintroduire de la justice sociale ne peut se faire en laissant entendre que les retraités sont des privilégiés. Un certain libéralisme a une conception déroutante de la justice sociale, faire partager au plus grand nombre, la précarité.
La précarisation emprunte d'autres chemins comme la mise à mal des services publics ou bien encore par l'appauvrissement de l'hôpital public. Or, ce sont les personnes âgées qui vont être au cœur de l'hôpital public de demain.
Les services d'urgence, toujours en première ligne, devraient voir les demandes dédiées s'accroître de 42%, pour atteindre plus de 3 millions de consultations en 2030. Sans initiatives à court terme, les départements en manque de médecins généralistes ou de gériatres, comme la Lozère ou l'Ariège, risquent de connaître des engorgements sans précédents (54% de consultations).
Sur les 241 359 lits ou places disponibles en France, seuls 4,8% sont dédiés à la gériatrie. Pour répondre aux exigences qui s'imposent démographiquement, il faudrait augmenter d'au minimum 102 178 le nombre de possibilités d'accueils en hospitalisations dédiées aux personnes âgées d'ici 2030.Les régions qui devront fournir les efforts les plus importants en termes de possibilités d'accueil sont l'Occitanie (10 439 lits ou places), les Pays de la Loire (6 163) et la Bretagne (6 045).
A l'heure où l'État avec le rapport Arthuis veut sérieusement limité la progression de la dépense publique, les inquiétudes sur le sort des personnes âgées ne peuvent que croître.
Sans compter que la nouvelle branche de la sécurité sociale dédiée à l'autonomie apparaît déjà largement sous financée.
La précarisation des retraités emprunte plusieurs chemins : les réformes des retraites et celle à venir de nature systémique, le manque des moyens des hôpitaux et des services publics.