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Florence Legros est économiste et directrice générale de l'ICN Business School. Elle a également écrit Les Retraites, publié aux éditions Le Cavalier Bleu.
Planet : Une récente enquête menée par Terres de Senior auprès de leur communauté leur permet de dire que 75% des retraités estiment être mal payés. Le site n'est pas en mesure de fournir un chiffre moyen mais évoque les récits de retraités payés à 800 euros mensuels. Que sait-on, aujourd'hui, du cadre de vie des retraités ?
Florence Legros : Le niveau de vie des retraités, on le sait, est globalement supérieur au niveau de vie médian de l’ensemble de la population. D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), il était 4 à 5% plus élevé entre 2018 et 2019, ce qui correspond aux derniers chiffres disponibles.
Ceci étant dit, il faut aussi reconnaître que le cumul des dernières réformes des retraites entraîne une baisse du niveau de vie des retraités relativement à celui des actifs. Celle-ci ne permet pas encore de dire que les retraités s’en sortent moins bien que les travailleurs.
En 2020, la crise sanitaire a globalement épargné les retraités, dès lors que l’on parle de la dimension économique du problème. Ils font partie des populations qui n’ont pas été touchées par le chômage partiel et dont les revenus n’ont donc pas été grignotés par la pandémie.
"Les retraités sont moins durement frappés par la pauvreté que les actifs"
Bien sûr, certains retraités peuvent être confrontés à la pauvreté. Il est tout à fait possible que certains gagnent tout juste 800 euros par mois. Pour autant, il est essentiel de comprendre que de telles situations ne sont pas représentatives de la population des retraités au global. 800 euros par mois, c’est moins que le revenu médian mensuel des revenus les plus pauvres en 2018. Ce dernier, dans le premier décile – le plus faible de tous, donc – s’établissait à 970 euros mensuels. Il comporte une part importante de minimas sociaux et cela ne concerne que 13% des Français. C’est peu.
Rappelons donc ce qui doit l’être. On dit, en France, d’un individu qu’il est précaire quand il gagne moins de 60% du salaire médian global de la population. Les derniers chiffres de la DREES illustrent bien le fait que la pauvreté frappe moins violemment les retraités qu’elle ne touche les jeunes. Dans la première catégorie, l’écart moyen entre les retraités pauvres et le salaire médian s’établit à 12%. L’essentiel des retraités précaires touche donc 12% moins en moyenne. Pour la population dans son ensemble, ce montant grimpe à 20%.
"Les retraités les plus pauvres ont vu leur niveau de vie progresser"
Planet : Comment expliquer le fait que les retraités s’en sortent mieux ? Pourquoi, alors qu'ils ne travaillent plus pour l'essentiel et ne peuvent donc plus améliorer leur niveau de vie, supportent-ils mieux les crises ?
Florence Legros : Plusieurs facteurs permettent d’expliquer le différentiel de niveau de vie entre les retraités et les actifs. D’une façon générale, force est de constater que la configuration actuelle est plutôt favorable aux premiers : ils ne sont pas encore très frappés par les réformes successives des retraites et ont bénéficié de conditions d’indexation plutôt intéressantes au moment de la liquidation de leurs droits.
Dans la majorité des cas, le niveau de vie des retraités dépend essentiellement du montant de leurs pensions. Combinées, elles représentent jusqu'à 90% de leurs revenus. Dès lors, on peut affirmer que le niveau de vie des retraités, jusqu'au 7ème décile, suit l'évolution des pensions de retraité. Dans les déciles supérieurs, les revenus du capital – ou, parfois, du travail – sont non négligeables et représentent donc jusqu'à 30% de ce que touchent les retraités.
D'une façon générale, il faut bien comprendre que le niveau de vie des retraités les plus pauvres dépend pour partie conséquente des minimas sociaux. Ces derniers ont été revalorisés, de même que le minimum vieillesse, ce qu'il faut rappeler. En revanche, la plupart d'entre eux n'ont pas à eu souffrir de la hausse de la CSG, puisqu'ils en étaient dispensés. Statistiquement, ils ont donc vu leur niveau de vie augmenter.
En pratique, cela peut sembler contre-intuitif, mais les retraités bénéficient globalement d'une situation durant laquelle la croissance demeure relativement faible. En revanche, l'augmentation des prix – sur lesquels sont indexés les revalorisations de pensions – pourraient leur coûter cher à l'avenir.
"On ne peut pas augmenter le niveau des pensions sans augmenter l’âge de départ à la retraite"
Planet : Faut-il gonfler le montant de la pension des retraités, si certains font face à une situation de grande précarité ?
Florence Legros : Le problème, malheureusement, c'est qu'il faut bien que quelqu'un paie. Il faut aussi rappeler que les retraités les plus pauvres – c'est-à-dire ceux dont il est question et qui touchent moins de 800 euros – ne bénéficieraient pas particulièrement d'une hausse des retraites. Ils sont au minimum vieillesse mais ne touchent pas une pension à proprement parler. Dès lors, ils échapperaient à une réforme des retraites stricto sensu.
Un certain nombre de professions ont refusé, en 1945 alors que l'on créait le régime général des retraites, d'intégrer le système. C'est le cas des libéraux et des agriculteurs, par exemple. C'est pour cela qu'en zone rurale, beaucoup de gens ont des pensions faibles. Ils ont peu cotisé. Or, la retraite est un système assurantiel : on perçoit en fonction de ce que l'on a cotisé. Si l'on assure faiblement, on percevra donc forcément peu.
Dans les faits, l'équation n'est pas si complexe : le taux de cotisation, multiplié par le revenu contributif (c'est-à-dire celui sur lequel on paie des cotisations) doit correspondre au montant des pensions que l'on verse. Ceci étant dit, compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie, la pension de retraite est perçue pendant une durée de plus en plus longue. La masse totale à payer est donc de plus en plus importante.
Plusieurs solutions peuvent alors s'envisager : soit on diminue la rente annuelle (ce qui a été fait d'une génération à l'autre, via la désindexation par exemple) comme souhaitait le faire Emmanuel Macron avec son régime par points. Théoriquement, il serait aussi possible d'augmenter le taux de cotisation, ce qui viendrait alourdir le coût du travail. Enfin, il est aussi possible de jouer sur la durée de cotisation pour pousser les gens à partir plus tard à la retraite. Sauf à faire passer l'âge de départ à 70 ans ou à piocher dans le budget de l'Etat, je ne vois pas comment on pourrait augmenter les retraites.