"Mon lourd secret : j’ai appris à lire à 50 ans"Service de presse
TEMOIGNAGE. Des décennies durant, Aline Le Guluche a vécu cachée derrière son illettrisme et sa dyslexie. Malgré les nombreuses ruses mises au point pour ne pas être démasquée, peur, honte, dépendance et exclusion sociale ont rythmé son quotidien. La porte-parole de, "Write her future", programme de lutte contre l'illettrisme des femmes lancé par Lancôme, nous livre son émouvant combat.
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"Rendre la liberté intellectuelle aux invisibles." Aline Le Guluche lutte désormais pour cette cause, demeurant taboue et méconnue de l’opinion. Remplir un formulaire administratif, lire une ordonnance, un panneau d’affichage, ou encore un bulletin de vote… 7% de la population en France, soit 2,5 millions de personnes selon l’Unesco, et 76 millions de femmes dans le monde éprouvent de grandes difficultés à le faire… Comme elles, l’autrice de l’ouvrage "J’ai appris à lire à 50 ans", (Ed. Prisma), paru le 1ᵉʳ octobre 2020, a vécu en cachant son illettrisme. Enfance privée d’apprentissage, impasse scolaire, embuches professionnelles… Un témoignage intime, où le sentiment de honte s’impose en filigrane.

Dès son entrée à l’école, au CP, à l’âge de 6 ans, Aline a eu en effet des difficultés d’apprentissage. Si elle s’en sortait bien en mathématiques, grâce aux tâches quotidiennes qu’elle réalisait au sein de la ferme familiale, la lecture et l’orthographe n’étaient pas son fort. Devant privilégier le travail à la ferme, la benjamine d’une fratrie de 8 enfants n’avait également que très peu de temps à consacrer à ses devoirs. Les difficultés se sont ainsi accumulées, et sont devenues au fil des années, malgré des redoublements, insurmontables. Ce n’est d’ailleurs que bien plus tard qu’elle a appris sa dyslexie.

"La peur, le sentiment d’exclusion et la honte ne m’ont jamais quittée. J’ai dû faire preuve d’imagination et combler mes troubles de l’écriture et de la lecture par de nombreuses ruses, tout au long de ma vie", nous confie-t-elle.

Illettrisme : user de stratagèmes pour ne pas être démasquée

"A l’école, je me plaçais généralement toujours au fond de la classe, pour me faire la plus discrète possible. Je demandais à ma meilleure amie de me lire les énoncés des exercices et me débrouillais pour toujours lire la dernière. Cela me permettait d’écouter les autres élèves, et d’apprendre les phrases par cœur", détaille l’autrice dans son livre.

"Plus tard, au travail, j’utilisais également toutes les ruses possibles. J’ai d’abord été employée dans une usine de pâtisserie, puis dans le service de restauration d’un hôpital en région parisienne. A l’époque, on ne m’a rien demandé lors des embauches. J’ai donc pu dissimuler mes lacunes."

"Lorsque je devais écrire ou lire des étiquettes, puis des menus, je m’arrangeais toujours pour me faire aider. Je demandais par exemple, l’air de rien : "Comment s’écrit ce mot ? Je ne m’en rappelle plus". Ou bien, "Je n’ai pas mes lunettes", "J’ai mal à la tête, tu veux bien l’écrire ou le lire pour moi", "Je ne parviens pas à déchiffrer l’écriture de cette personne", "Tu as une plus belle écriture que la mienne, mieux vaut que tu écrives cette lettre", etc."

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Aline Le Guluche est ainsi devenue une professionnelle dans l’art de la diversion. Menus, listings… Elle s’entraînait également seule, le soir, pour retenir et écrire des mots qu’elle devait recopier sur des étiquettes ou sur des plats qui devaient être distribués aux patients de l’hôpital. La pression était forte, car si elle venait à mélanger les menus, elle pouvait mettre en danger les malades. C’est donc dans l’anxiété et la peur qu’elle a dû vivre au quotidien.

Après être restée dans l’ombre de ses difficultés, pour s’affranchir de sa dépendance conjugale et retrouver une vie sociale, elle a osé en parler à sa hiérarchie…

Illettrisme : se former à l’âge adulte pour ne plus souffrir

"Plusieurs fois, j’ai demandé une formation qu’on m’a refusée. J’avais tellement bien dissimulé mon illettrisme qu’on estimait que j’étais au niveau. Ce n’est qu’à mes 50 ans, lorsque la formation était devenue un droit en entreprise, que j’ai insisté, grâce à une nouvelle lettre que m’avait rédigée ma fille. C’est ainsi, qu’une fois par semaine, durant 6 mois, j’ai suivi des cours au centre de formation Compétences Clés, à Paris, situé à plus d’une heure de mon domicile", nous indique l'autrice.

"Si m’y rendre en transports en commun a été compliqué et angoissant au départ, je suis parvenue à m’orienter grâce à ma légendaire débrouillardise, en demandant mon chemin aux passants", admet Aline Le Guluche.

Au départ, la crainte d’être moquée était présente, personne n’était à l’aise. Grâce à la bienveillance des intervenants, les participants de tout âge et tout horizon ont gagné en confiance et ont pris plaisir à apprendre. Si bien qu’Aline s’est ensuite inscrite à un CAP d’intendante hôtelière. Diplôme qu’elle obtiendra à ses 52 ans. Une belle revanche sur la vie dont elle est fière. Elle est à présent pleinement épanouie, même si elle fait "encore des fautes", nous précise-t-elle. "J’assume totalement, ce n’est pas si grave. Et les nouvelles technologies, dont l’écriture intuitive sur le portable et les correcteurs orthographiques sur l’ordinateur, m’aident à me corriger."

Son parcours inspirant, elle a alors voulu le partager au plus grand nombre. Pour redonner espoir. Pour insuffler le courage. Pour inciter les personnes illettrées à surmonter cette situation, à s’émanciper. Leur donner la force d’en parler ; de reprendre le chemin de l’école, quel que soit l’âge.

L’une de ses plus grandes fiertés ? Avoir su écrire elle-même son histoire. Son nouveau combat ? Témoigner.

Illettrisme : témoigner pour lutter

"A tout âge, il est possible d’acquérir sa liberté d’expression." Aline Le Guluche en est persuadée. "J’en suis la preuve. C’est pourquoi je me suis engagée auprès de Compétences Clés, en participant à des débats à travers la France. Je suis aujourd’hui la porte-parole de "Write her future", programme de lutte contre l’illettrisme des femmes, créé par Lancôme." 

Principale mission de la marque ? Accompagner les femmes dans leur épanouissement personnel en s’engageant auprès de celles dont l’indépendance et l’expression sont entravées. L’illettrisme place en effet les personnes touchées en situation d’exclusion. Les conséquences peuvent être lourdes sur leur insertion sociale, professionnelle et leur estime de soi.

"Il faut pouvoir s’avouer, même si cela est dur, que déchiffrer des mots ce n’est pas savoir lire. Pouvoir écrire son adresse ne signifie pas non plus savoir écrire", rappelle l'ambassadrice.

 Pour elle, le système éducatif est à revoir. "Chaque individu est différent et vient d’un milieu différent. On ne peut donc pas tous apprendre de la même manière. D’autant plus au sein de classes qui sont aujourd’hui surchargées. Il n’y a pas de place pour les enfants qui ne rentrent pas dans un moule. Ils seront alors laissés pour compte", déplore-t-elle.

"A l’époque, les troubles de la lecture et de l’écriture étaient considérés comme un manque d’intelligence. Ce n’est pourtant pas le cas ! Si aujourd’hui, la dyslexie est prise en charge et peut se soigner grâce à l’aide d’un orthophoniste, les places sont limitées. C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il faudrait intégrer ces professionnels dans les écoles primaires et les collèges, afin que l’apprentissage soit plus équitable", atteste-t-elle.

"Il devrait également y avoir des tests de niveau ludiques, au sein des entreprises, afin de ne pas vexer les gens et de les affranchir de leurs problèmes (illettrisme ou troubles de la lecture et de l’écriture)", ajoute-t-elle.

"Je me suis engagée auprès de Lancôme pour inciter les femmes ayant des difficultés de langage, d’écriture et de lecture, à retourner à l’école. Elles peuvent avoir une vie meilleure en gagnant leur liberté intellectuelle. Qu’elles soient femmes de ménages, aides-soignantes ou ouvrières, peu importe. Il leur suffit de demander à leur employeur d’effectuer une formation, ou de composer le numéro vert dédié à l’illettrisme."

Le 0 800 11 10 35 a en effet été créé pour rompre l'isolement et accompagner les personnes souffrant de ce handicap invisible dans leurs démarches du quotidien.

En deux ans, le programme a déjà été déployé dans 7 régions françaises prioritaires. Il a  profité à plus de 700 femmes et pourrait atteindre 2000 bénéficiaires, d’ici à 2025. Vous connaissez des personnes ayant ce type de difficultés ? Incitez-les à appeler le numéro vert. Vous pouvez changer leur vie.